Le 20 mai 2025, l’Autorité des marchés financiers (l’ « AMF ») a publié sa Politique d’autodénonciation et de coopération[1] (la « Politique »). Cette Politique vise à encourager les participants du marché ayant contrevenu à certaines lois financières à s’autodénoncer en révélant volontairement leurs infractions et à coopérer pleinement avec l’AMF dans le cadre d’une enquête, afin de bénéficier d’une possible réduction des sanctions.
Objectifs et portée
L’objectif premier de la Politique est de définir un mécanisme clair d’autodénonciation et de pleine coopération permettant aux personnes et entités (une « Personne ») de prendre des décisions éclairées quant à leur engagement auprès de l’AMF, notamment en évaluant les avantages et les risques d’une pleine coopération avec l’AMF. La Politique s’applique dans le contexte d’un manquement ou d’une infraction par toute Personne à la Loi sur l’encadrement du secteur financier, RLRQ c. E-6.1 (la « LESF »), la loi habilitante de l’AMF, ou l’une des autres lois administrées par l’AMF[2].La Politique couvre toutes les étapes de l’autodénonciation et de la coopération, ainsi que les allègements de sanctions potentiellement disponibles.
Procédures d’autodénonciation et de coopération
Pour bénéficier de l’allègement des sanctions, une Personne doit, entre autres, s’autodénoncer rapidement et ouvertement auprès de l’AMF ainsi qu’offrir une pleine coopération de qualité tout au long de la procédure[3]. Cela implique notamment de fournir des informations véridiques, complètes et fiables ; de mettre à disposition les documents nécessaires ; et de permettre l’accès au personnel concerné pour des interrogatoires. L’AMF conserve son entière discrétion quant à l’application de la Politique et à la forme de l’allègement des sanctions proposées.
Critères d’évaluation et motifs d’exclusion
Pour évaluer la possibilité de coopération, l’AMF tiendra compte d’un large éventail de facteurs incluant, entre autres : le type d’infraction ou de manquement ; la durée pendant laquelle l’infraction ou le manquement a été commis ; le nombre de parties lésées et les sommes en jeu ; le caractère répétitif ou isolé de l’infraction ou du manquement ; ainsi que le préjudice causé aux victimes et l’impact sur les marchés financiers. L’AMF prendra également en considération le moment où débute la pleine coopération, la nature des informations fournies, le contexte de la coopération, et la cessation de l’infraction ou du manquement.
Toutefois, l’AMF se réserve le droit exclusif de ne pas reconnaître la coopération d’une Personne. Ce serait le cas si une Personne privilégie ses intérêts personnels ou ceux de son entreprise au détriment de ses obligations à l’égard des consommateurs, des actionnaires ou de l’intégrité du marché. D’autres motifs d’exclusion incluent notamment l’omission de signaler rapidement et intégralement l’infraction ou le manquement ; le fait de retenir des informations qui devraient être fournies ; ou le fait de détourner les faits d’une situation.
Formes d’allègement de sanctions
L’allègement des sanctions peut varier en fonction du moment où la coopération est totale. Une coopération en début d’enquête ou dans le cadre d’une autodénonciation peut donner lieu à un allègement plus important, mais le tout demeure à l’entière discrétion de l’AMF. Les formes possibles d’allègement comprennent des lettres d’engagement ou d’avertissement ; des sanctions réduites, voire l’immunité dans des cas exceptionnels ; ainsi que le dépôt d’une poursuite administrative plutôt que pénale. L’AMF peut consigner les allègements proposés dans un accord écrit.
Confidentialité et transparence
La Politique prévoit que la coopération s’effectue dans un contexte d’enquête, laquelle se déroule à huis clos, ce qui signifie qu’aucune information liée à l’enquête ne sera communiquée à la Personne. Toutefois, l’AMF peut rendre publics certains dossiers où des allègements de sanctions ont été accordés. Elle peut également utiliser toute information ou document fourni par la Personne dans le cadre d’un recours judiciaire.
Qu’en est-il dans les autres provinces canadiennes ?
Il existe, dans d’autres provinces canadiennes, des programmes très similaires à la Politique. Depuis 2004, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario encourage les Personnes à s’autodénoncer dans les affaires qui peuvent impliquer des manquements au droit des valeurs mobilières de l’Ontario ou des activités qui seraient considérées contraires à l’intérêt public.[4] En 2019, elle a notamment offert à un défendeur un escompte de 30 % pour « coopération exemplaire » démontrant ainsi les avantages d’une pleine coopération. Plus récemment, en 2017 et en 2023, les commissions des valeurs mobilières de l’Alberta et de la Colombie-Britannique ont respectivement adopté des programmes similaires[5]. Cela reflète la tendance croissante des autorités canadiennes de réglementation des marchés financiers à encourager la coopération et l’autodénonciation afin de renforcer l’intégrité des marchés et la protection des investisseurs.
Bref, cette nouvelle Politique ne révolutionne pas la pratique, mais elle en codifie plutôt les grandes lignes en reconnaissant qu’une coopération rapide et complète peut, dans certains cas, mener à un allègement des sanctions. Cela souligne une tendance déjà observée dans la pratique canadienne, soit de favoriser la transparence et la collaboration ce qui contribue à une résolution plus efficace des dossiers. Il reste à voir comment l’AMF mettra en place sa nouvelle Politique.
Par Julie-Martine Loranger, avocate émérite, associée chez McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., avec la collaboration de Vincent Leduc et Bronté Anderson respectivement associée, stagiaire et étudiante chez McCarthy Tétrault, S.EN.C.R.L.
Le présent article ne constitue pas un avis juridique.
[1] https://lautorite.qc.ca/fileadmin/lautorite/grand_public/publications/organisation/codes-politiques-plans-action/politique-autodenonciation-cooperation_fr.pdf
[2] Notamment la Loi sur les assureurs, la Loi sur la distribution de produits et services financiers et la Loi sur les valeurs mobilières.
[3] Une Personne qui souhaite s’autodénoncer peut communiquer directement avec l’AMF en communiquant avec son Centre d’information ou en envoyant un courriel à l’adresse PAC@lautorite.qc.ca, ou encore, dans le cadre d’une enquête en cours, avec le responsable du dossier.
[4] OSC Staff Notice 15-702 — Credit for Cooperation.
[5] Voir Alberta Securities Commission Policy 15-601 — Credit for Exemplary Cooperation in Enforcement Matters et British Columbia Securities Commission — BC Notice 15-701 — Credit for Cooperation in Enforcement Matters.