Faire évoluer le titre de Pl. Fin.
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Il va sans dire qu’avec la baisse des taux d’intérêt et l’incertitude des marchés boursiers, cela complique considérablement la tâche des particuliers dans l’atteinte de leurs objectifs financiers. Néanmoins, malgré la tourmente, les investisseurs s’entendent pour rechercher le type d’investissement qui offre le meilleur rendement, s’exposant ainsi à un risque plus élevé, alors que, dans certaines circonstances, il suffirait d’optimiser fiscalement son portefeuille pour en améliorer le rendement.

En effet, lorsqu’on détient des placements dans plusieurs types de comptes (non enregistrés, régime enregistré d’épargne-retraite (« REÉR »), régime enregistré d’épargne-études (« REÉÉ »), compte d’épargne libre d’impôt (« CÉLI »), société de portefeuille, fiducie), il n’est pas évident pour l’investisseur de structurer son portefeuille afin de maximiser ce dernier sur le plan fiscal. Toutefois, la plupart des investisseurs savent qu’il faut prendre soin d’inclure les placements les plus imposés dans les comptes enregistrés et ceux qui le sont moins, dans les comptes non enregistrés (comptes taxables). Cependant, lorsqu’on introduit dans un portefeuille une diversification géographique, l’impact fiscal occasionné par les revenus étrangers dans les divers types de comptes peut devenir un vrai casse-tête! Afin d’aider l’investisseur, nous proposons dans le présent article un arbre décisionnel en cinq étapes, qui s’adresse aux contribuables imposés au taux marginal maximum. Depuis le 1er janvier 2016, le taux marginal maximum s’applique à ceux dont le revenu dépasse 200 000 $, soit très peu de Québécois, alors l’analyse prendra en considération les contribuables dont le revenu excède 100 000 $ si l’écart est notable. Notons également que les hypothèses de rendement utilisées dans cette analyse reposent sur les normes suivantes :

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1. Titres à revenu fixe (RF)

Tel qu’il a été mentionné ci-dessus, l’investisseur devrait, dans un premier temps, verser ce type de placement dans les comptes enregistrés. Par comptes enregistrés, on entend, entre autres, les REÉR, les fonds enregistrés de revenu de retraite (« FERR »), les REÉÉ, les comptes de retraite immobilisés (« CRI »), les fonds de revenu viager (« FRV »), les CÉLI, les régimes de retraite individuels (« RRI ») et leurs proches parents.

Évidemment, cette logique repose sur le fait que comme les intérêts sont les revenus les plus lourdement imposés, en étant à l’abri de l’impôt, on réduit ainsi sensiblement l’impôt à payer. De plus, puisque le taux d’imposition attribuable aux revenus de dividendes et au gain en capital est nettement moins élevé que le taux imputable aux revenus d’intérêts, il est avantageux de concentrer les investissements générant ce type de revenu dans les véhicules de placement non enregistrés.

Il n’est pourtant pas rare de constater chez certains investisseurs une répartition identique dans chacun des comptes qui compose son portefeuille, soit 50 % en revenus fixes (« RF ») et 50 % en titres de croissance pour un particulier au profil « équilibré ». Dans une telle stratégie impliquant un REÉR et un compte taxable (rééquilibré annuellement), nous avons évalué qu’il faudrait obtenir un rendement annuel de plus de 9 % sur les actions pendant 50 ans pour justifier leur présence dans le REÉR au détriment du compte taxable (18 % sur une période de 25 ans). Cependant, lorsque la stratégie implique plutôt un CÉLI, le rendement nécessaire sur les actions serait d’un peu plus de 5 % pour la même période (environ 5,80 % sur une période de 25 ans), ce qui est plus facile à réaliser. C’est pourquoi dans l’optique où le décaissement du CÉLI s’effectuera dans plusieurs années, nous favorisons d’y placer les actions de croissance, avant même de songer aux comptes non enregistrés.

2. Titres étrangers

La deuxième étape consiste à investir les actions étrangères (américaines et internationales) dans les comptes non enregistrés. En règle générale, investir les actions étrangères par l’entremise des comptes non enregistrés permet de récupérer les retenues à la source perçues par le pays émetteur sur les dividendes étrangers versés sur les actions, et ce, jusqu’à concurrence de ce que dicte la convention fiscale entre le Canada et le pays émetteur, qui normalement fixe la retenue à 15 % (92 conventions sont en vigueur). Pour les retenues au-delà de 15 %, constatées chez certains produits financiers, tels les ADR (American Deposit Receipt), l’excédent des impôts étrangers retenus prévus par la convention fiscale sera considéré comme des frais administratifs. Il faut savoir qu’il est possible de se faire rembourser ces retenues excédentaires en s’adressant aux autorités du pays émetteur du titre, mais pas sans se heurter à un processus rigoureux, qui à l’occasion se solde par un échec! Au bout du compte, ces coûts supplémentaires généreront un taux d’imposition supérieur au taux marginal d’imposition auquel est assujetti l’investisseur.

Lorsqu’on investit des titres étrangers par l’entremise d’une société de portefeuille, la problématique ne se situe pas au niveau de la croissance des titres (le gain en capital), mais à celui des revenus étrangers sur lesquels les règles d’intégration sont moins optimales que celles établies pour les titres canadiens. Dans cette analyse, on estime que, pour les actions américaines, le dividende étranger représente 2 % du rendement annuel, tandis que, pour ce qui est des titres internationaux, le dividende étranger représente 3,50 % du rendement annuel.

Si l’on applique les règles d’intégration actuelles, l’impôt combiné (société-actionnaire) sur la portion du dividende étranger gagné par l’entremise d’une société et versé par la suite à son actionnaire sera de 61,70 % (55,64 % à 100 000 $ de revenu), alors que la retenue d’impôt étranger est de l’ordre de 15 %. En ce qui a trait aux titres à revenu fixe étrangers, sur lesquels l’émetteur retient normalement 10 %, l’impôt combiné sur les intérêts sera de l’ordre de 59,47 % (53,06 % à 100 000 $ de revenu). Ces taux résultent de l’application du paragraphe 129(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. »).

Ceux qui détiennent déjà des titres étrangers dans une société de portefeuille, plutôt que d’avoir opté pour des titres canadiens, peuvent tout de même détenir une structure rentable. En réalité, cette diversification étrangère dans la société sera avantageuse si l’on obtient un rendement supérieur aux titres canadiens de 0,40 % sur les titres à revenu fixe, de 0,50 % sur les actions américaines et de 1,25 % sur les actions internationales. En d’autres mots, si l’on n’obtient pas un minimum de 7,55 % de rendement sur les actions internationales (6,80 % sur les actions américaines) investies dans une société de portefeuille, on devrait songer à pondérer davantage dans des titres canadiens ou à investir dans des produits financiers qui procurent une diversification étrangère tout en limitant le versement de dividendes étrangers.

Certains s’opposent au fait d’investir des actions étrangères dans des comptes non enregistrés, étant donné que les dividendes distribués sur ces actions sont imposés de façon semblable à du revenu d’intérêt. Devant ce traitement fiscal non avantageux, ces derniers auraient tendance à investir ce type d’actions dans les comptes enregistrés (REÉR, CRI, CÉLI). Dans ces circonstances, il devient impossible de pouvoir récupérer les impôts étrangers retenus par l’émetteur. Pour des titres étrangers dont le dividende représente 2 % du rendement du titre, cela équivaut à des frais supplémentaires annuels de 0,30 % (0,52 % lorsque le dividende représente 3,50 % du rendement du titre).

Dans des circonstances qui nous obligent à investir des actions étrangères dans des comptes enregistrés, il faut opter pour les actions qui procurent un revenu de dividende étranger élevé, ou profiter des exceptions prévues par la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis sur les titres américains. En effet, en vertu de cette convention fiscale, aucune retenue ne sera perçue sur les actions américaines (ou FNB US Listed/fonds négociés en Bourse cotés sur la Bourse américaine) détenues par l’entremise d’un REÉR (ou FERR, CRI, FRV), ce qui n’inclut pas le CÉLI et le REÉÉ. De plus, la convention fiscale exempte de retenue la plupart des titres à revenu fixe américains détenus par un résident canadien.

3. Actions privilégiées

À la troisième étape, à cause du traitement fiscal avantageux des dividendes, on devrait investir les actions privilégiées dans les comptes non enregistrés ou par l’entremise d’une fiducie. Le contribuable pourrait aussi opter pour la société de portefeuille. En ce qui a trait à la société, le dividende d’une société publique canadienne (soit les dividendes déterminés) est imposé en vertu de l’impôt de la partie IV L.I.R. au taux fixe de 38,33 % depuis le 1er janvier 2016. Dans la situation où le contribuable est imposé au taux marginal maximum, soit 39,83 %, il y gagne quelque peu à opter pour la société. Par contre, pour les contribuables qui gagnent un revenu de 100 000 $, le taux d’imposition des dividendes déterminés est seulement de 29,35 %, ce qui laisse entrevoir une perte importante si l’on opte pour la société. Cependant, dans la situation où la société de portefeuille verse annuellement un dividende à son actionnaire, investir les actions privilégiées dans la société devient une décision qui est fiscalement neutre versus les comptes non enregistrés, puisque la société récupère son impôt de la partie IV L.I.R. immédiatement (soit à raison de 1 $ pour chaque tranche de 2,61 $ de dividende taxable versé à son actionnaire).

À cette étape, il faut prendre en compte un élément important : si les comptes enregistrés n’ont pas été comblés entièrement lors de l’étape numéro 1, on doit choisir d’investir les actions privilégiées dans ces comptes. Il serait beaucoup moins pénalisant de perdre le traitement fiscal avantageux des dividendes déterminés plutôt que celui du gain en capital que procure les actions canadiennes (problème que l’on rencontrera à l’étape numéro 5 si l’on ne réagit pas immédiatement).

4. Titres à revenu fixe

À cette quatrième étape, s’il y a encore des RF à investir dans son portefeuille, c’est que les comptes enregistrés ont été comblés entièrement lors de la première étape. Il faut donc se demander quels types de comptes seront à privilégier, étant donné que les revenus d’intérêts procurés par ces placements seront imposables à des taux d’imposition élevés. Pour ce qui est de la société de portefeuille, les revenus sont imposés à un taux d’imposition de 50,57 % (46,57 % avant le 1er janvier 2016), ce qui implique d’emblée qu’un contribuable imposé à un taux d’imposition marginal moindre devrait privilégier les RF dans les comptes non enregistrés. Selon le tableau ci-dessous, on constate qu’un contribuable qui gagne 100 000 $ de revenu sera surimposé de 4,86 % sur les revenus d’intérêts investis par l’entremise d’une société.

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Cependant, malgré le fait que le contribuable soit imposé au taux marginal maximum, ce dernier devrait aussi privilégier les comptes non enregistrés pour les RF restants. En comparant le taux marginal maximum de 53,31 % et le taux d’imposition de la société de portefeuille, soit 50,57 %, on réalise effectivement des économies annuelles de 2,74 % au niveau de la société. Malheureusement, cette analyse est incomplète, car, en présence d’une société, il ne faut pas oublier les deux paliers d’imposition : celui de l’entreprise, suivi de l’imposition du dividende à l’actionnaire.

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L’analyse du taux d’imposition combiné nous dévoile donc qu’il en coûte de façon globale 1,71 % de plus en impôt sur les revenus d’intérêts (0,86 % sur le gain en capital) lorsque les sommes sont distribuées à l’actionnaire. Ce report d’impôt de 2,74 % peut-il permettre de générer suffisamment de revenus pour compenser l’impôt global supplémentaire de 1,71 %, qui sera exigible dès que l’actionnaire décaissera les placements de sa société? Il faudrait que les sommes soient investies plus de 60 ans dans la société pour que l’impact global devienne neutre (25 ans pour le gain en capital).

En présence d’une fiducie familiale, il peut être intéressant d’investir les RF dans cette fiducie même si elle est imposée au taux marginal maximum, et surtout s’il est possible pour cette dernière de distribuer ses revenus en faveur de bénéficiaires imposés à un taux moindre que l’investisseur.

5.          Actions canadiennes

À la dernière étape, il suffit de combler les comptes restants avec les actions canadiennes. Le seul bémol qui pourrait exister, c’est que le compte qui reste disponible à cette étape soit un compte enregistré. Dans ces conditions, il serait préférable de revoir l’étape numéro 2, soit de privilégier les actions internationales dans les comptes enregistrés, avant d’y investir les actions canadiennes, et ce, afin de profiter dans les comptes taxables du traitement fiscal avantageux des dividendes de sociétés publiques et du gain en capital supérieur procuré par les actions canadiennes.

Le tableau suivant résume les types de comptes à prioriser selon la composition de votre portefeuille :

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Certes, il ne s’agit pas de la solution ultime à appliquer dans toutes circonstances et qui prend en considération tous les produits qui existent sur le marché. On n’a qu’à penser aux sociétés de placement à capital variable (communément appelé « fonds constitués en société »), qui peuvent nous procurer certaines économies d’impôts occasionnées soit par l’absence de distributions, ou par des distributions sous forme de dividendes et/ou de gains en capital. Par la présence d’obligations à prime, que l’on doit absolument éviter dans les comptes non enregistrés. Des particuliers qui peuvent être assujettis aux droits successoraux américains sur les actions de sociétés américaines détenus dans les comptes enregistrés et non enregistrés, si leur succession est supérieur 5,45 M$. Sans oublier que, dans une saine gestion d’un portefeuille de placement, on doit chercher avant tout à réduire autant que possible les frais liés aux produits sélectionnés et à l’administration de ces actifs.

En conclusion, en appliquant de façon judicieuse cet arbre décisionnel, il est possible d’améliorer le rendement global de son portefeuille, sans pour autant s’exposer à un risque plus élevé. Évidemment, il ne s’agit pas de comparer le rendement de chacun des types de comptes contenus dans son portefeuille, mais le rendement global à long terme!

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification financière et fiscale (APFF), et a été écrit par Richard Lalongé.