Andriy Popov / 123rf

En premier lieu, les nouvelles mesures limitent l’accès à la déduction accordée aux petites entreprises (« DPE »), laquelle est, de façon générale (mais faisant l’objet de plusieurs conditions), disponible pour une société privée sous contrôle canadien (« SPCC ») afin de réduire l’impôt qu’elle paie à l’égard de son revenu provenant d’une entreprise exploitée activement au Canada. Ensuite, elles limitent l’accès au remboursement au titre de dividendes (« RTD ») qu’une société peut demander afin d’obtenir un remboursement de certains montants d’impôt « temporaire » qu’elle a payés et qui, en vertu des règles actuelles (lesquelles sont généralement applicables aux années d’imposition ayant débuté avant 2019), sont consignés dans un compte notionnel qu’est l’impôt en main remboursable au titre de dividendes (« IMRTD »). Il convient de noter que de façon générale, sous réserve d’une exception abordée plus en détail ci-après, les nouvelles mesures sur les revenus de placement passifs s’appliqueront aux années d’imposition débutant après 2018.

Mise en contexte

Des changements visant le traitement fiscal des revenus passifs avaient été initialement proposés en juillet 2017 lorsque le Ministre avait annoncé plusieurs mesures visant les sociétés privées (concernant notamment le fractionnement de revenu et le dépouillement de surplus) et plus précisément certaines situations où les contribuables profitaient d’un report d’impôts lorsque des surplus étaient conservés dans les sociétés privées. À l’automne 2017, le Ministre a annoncé des changements aux mesures annoncées en juillet. En effet, le Ministre abandonnait les nouvelles règles sur les gains en capital ainsi que l’augmentation du fardeau fiscal sur les revenus passifs inférieurs à 50 000 $. À ce moment, le Ministre annonçait également que le Budget comprendrait les nouvelles règles visant le revenu de placement passif. Le Budget a présenté les grandes orientations propres aux nouvelles règles avant le dépôt, le 22 mars 2018, d’un avis de motion de voies et moyens incluant les nouvelles propositions de modifications législatives visant les règles de DPE et de RTD. La Loi no 1 d’exécution du budget de 2018 (« Loi no 1 ») mettant en œuvre ces mesures a finalement été sanctionnée le 21 juin 2018.

Limitation de la déduction accordée aux petites entreprises

Les règles portant sur la DPE se trouvent à l’article 125 de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») et prévoient une réduction de l’impôt corporatif payable par une SPCC sur son revenu provenant d’une entreprise exploitée activement au Canada jusqu’à hauteur du plafond des affaires de 500 000 $ (sous réserve, notamment, d’une réduction et du partage de ce plafond avec d’autres sociétés).

Le paragraphe 125(5.1) L.I.R. est la disposition législative qui vient réduire progressivement le plafond des affaires d’une SPCC ayant un capital imposable utilisé au Canada supérieur à 10 M$ (calculé pour l’ensemble du groupe dont elle fait partie), en l’éliminant complètement lorsque le capital imposable excède 15 M$.

Le paragraphe 125(5.1) L.I.R. a été modifié afin d’y inclure une nouvelle restriction visant les revenus passifs. En effet, le plafond des affaires sera réduit du plus élevé de la somme visée par la règle actuelle, qui se trouvera désormais à l’alinéa 125(5.1)a) L.I.R. et de la nouvelle réduction concernant le revenu passif prévue à l’alinéa 125(5.1)b) L.I.R. En vertu de l’alinéa 125(5.1)b) L.I.R., pour une année donnée, le plafond des affaires est réduit de cinq dollars pour chaque dollar de « revenu de placement total ajusté » excédant 50 000 $ de la société ou de toute société avec laquelle elle est associée à un moment de l’année donnée, pour les années d’imposition de la société ou de la société associée se terminant au cours de l’année civile précédente. En d’autres termes, le nouvel alinéa 125(5.1)b) L.I.R. vient réduire de façon linéaire le plafond des affaires des SPCC ayant un revenu de placement se situant entre 50 000 $ et 150 000 $. Ainsi, une société ayant des revenus de placement supérieurs à 150 000 $ aurait un plafond des affaires nul.

Le paragraphe 125(7) L.I.R. est également modifié afin d’y inclure, entre autres, la définition de « revenu de placement total ajusté ». Le « revenu de placement total ajusté » d’une société a comme point de départ le « revenu de placement total » de la société tel qu’il est défini au paragraphe 129(4) L.I.R. auquel les ajustements suivants sont apportés :

Sont exclus :

  • les gains et pertes en capital découlant de la disposition d’un « bien actif » (terme défini au paragraphe 125(7) L.I.R.),
  • les pertes en capital nettes d’années d’imposition précédentes qui sont reportées;

Sont ajoutés :

  • les dividendes reçus de sociétés non rattachées,
  • les montants relatifs à une police d’assurance vie qui sont inclus dans le calcul du revenu de la société pour l’année (dans la mesure où ces montants ne sont pas autrement inclus dans le calcul du « revenu de placement total »); et
  • Aucun montant ne peut être déduit par la société en vertu du paragraphe 91(4) L.I.R. (déduction du revenu pour impôts étrangers payés aux fins du « revenu étranger accumulé, tiré de biens » d’une société étrangère affiliée de la société).

La modification du paragraphe 125(7) L.I.R. a aussi introduit la définition de « bien actif », laquelle vise les biens suivants d’une société donnée :

  • Un bien utilisé principalement dans une entreprise exploitée activement au Canada par la société donnée ou une SPCC liée à la société donnée;
  • Une action d’une autre société si, d’une part, la société est rattachée à la société donnée au sens du paragraphe 186(4) L.I.R. et, d’autre part, l’action se qualifierait d’« action admissible de petite entreprise » au sens du paragraphe 110.6(1) L.I.R. (en prenant pour hypothèse que la mention de « particulier » vaut mention à la société donnée et que la définition s’applique compte non tenu du passage « son époux ou conjoint de fait »); et
  • Une participation dans une société de personnes :
  • ayant une juste valeur marchande (« JVM ») égale ou supérieure à 10 % de la JVM totale de toutes les participations dans la société de personnes,
  • tout au long de la période de 24 mois se terminant avant ce moment, plus de 50 % de la JVM des biens de la société de personnes était attribuable à l’un ou l’autre des trois types de biens visés par la définition de « bien actif », et
  • à ce moment, la totalité ou la presque totalité de la JVM des biens de la société de personnes est attribuable aux trois types de biens visés par la définition de « bien actif ».

Les modifications législatives ont aussi introduit le nouveau paragraphe 125(5.2) L.I.R. qui est une règle anti-évitement ayant pour objet d’empêcher que l’application de la nouvelle règle prévue à l’alinéa 125(5.1)b) L.I.R. soit évitée au moyen du transfert de biens à une société liée. Le paragraphe 125(5.2) L.I.R. réputera deux sociétés être associées pour l’application de l’alinéa 125(5.1)b) L.I.R. si les sociétés sont liées, qu’une société transfère (directement ou indirectement) des actifs à l’autre société et qu’il est raisonnable de considérer qu’une des raisons du transfert est de réduire le montant du « revenu de placement total ajusté » prévu au paragraphe 125(7) L.I.R.

Limitation du remboursement au titre de dividendes

L’article 129 L.I.R. est la disposition législative contenant les règles relatives au remboursement que peut obtenir une société sur une partie de l’impôt payé sur son revenu de placement lorsque celle-ci verse des dividendes imposables à ses actionnaires. De façon générale, sous le régime actuel, une société peut obtenir un RTD jusqu’à hauteur de son solde d’IMRTD. Le compte d’IMRTD se compose notamment des montants relatifs à l’impôt de la partie I L.I.R. payé sur le revenu passif gagné par une SPCC et des montants relatifs à l’impôt de la partie IV L.I.R. payé sur les dividendes reçus par une société.

Sous le régime actuel, la société peut obtenir un RTD lorsque celle-ci verse tout type de dividende imposable, qu’il s’agisse d’un dividende déterminé ou non (« dividende non déterminé »). Rappelons qu’un dividende déterminé versé à un particulier est imposé à un taux moins élevé entre ses mains qu’un dividende non déterminé. De ce fait, les nouvelles règles sont venues pallier le régime actuel qui permet à une société de recevoir un RTD après avoir versé un dividende déterminé dans des situations où le solde d’IMRTD est attribuable à du revenu de placement qui aurait dû être versé sous forme de dividendes non déterminés. Ainsi, selon les règles actuelles, une telle société se trouve dans une situation favorable puisque son impôt sur le revenu de placement est reporté, car elle peut verser des dividendes déterminés à même le revenu provenant d’une entreprise exploitée activement. Une société peut donc verser un dividende à même ses revenus assujettis au taux d’imposition général des sociétés et obtenir un RTD à l’égard de l’IMRTD généré en raison de ses revenus passifs.

Les nouvelles règles prévoient également l’abolition du paragraphe 129(3) L.I.R. qui contient la définition d’IMRTD et ont modifié le paragraphe 129(4) L.I.R. afin d’y introduire deux nouvelles définitions, à savoir celles d’« impôt en main remboursable au titre de dividendes déterminés » (« IMRTDD ») et d’« impôt en matin remboursable au titre de dividendes non déterminés » (« IMRTDND »).

Le compte d’IMRTDD se compose de :

  • l’impôt de la partie IV L.I.R. relativement aux dividendes déterminés reçus de sociétés non rattachées; et
  • l’impôt de la partie IV L.I.R. relativement aux dividendes imposables reçus de sociétés rattachées entraînant un RTD provenant de l’IMRTDD, pour la société payeuse.

Les principaux éléments du compte d’IMRTDND, quant à lui, sont :

  • l’impôt de la partie I L.I.R. remboursable relativement au revenu de placement de la SPCC; et
  • l’impôt de la partie IV L.I.R. payé par une société relativement aux dividendes autres que ceux visés par l’IMRTDD.

En vertu du nouveau sous-alinéa 129(1)a)(i) L.I.R., un dividende déterminé versé par une société ne peut donner lieu à un RTD que relativement à son solde d’IMRTDD. En vertu du nouveau sous-alinéa 129(1)a)(ii) L.I.R., une société qui verse un dividende non déterminé peut obtenir un RTD à l’égard de son IMRTDND et de son IMRTDD, mais le remboursement à l’égard de l’IMRTDD n’est possible que lorsque son solde d’IMRTDND devient nul. Ainsi, le nouveau sous-alinéa 129(1)a)(ii) L.I.R. contient une règle d’ordonnancement qui, à l’égard de l’IMRTDND, prévoit que les dividendes non déterminés doivent premièrement réduire le solde d’IMRTDND avant que la société puisse accéder à un RTD au titre de l’IMRTDD.

De plus, les modifications législatives prévoient une règle transitoire au paragraphe 129(5) L.I.R. visant la transition du solde existant d’IMRTD au nouveau régime d’IMRTDD et d’IMRTDND. Si une société est une SPCC dans sa première année d’imposition sous le nouveau régime et son année d’imposition précédente et qu’elle n’a pas fait le choix de ne pas être une SPCC en vertu du paragraphe 89(11) L.I.R. pour l’une ou l’autre de ces années, le solde net de l’IMRTD (solde d’IMRTD moins son RTD de l’année) d’une telle société pour son année d’imposition précédente est attribué à son solde d’IMRTDD de sa première année jusqu’à concurrence de 38⅓ % de son solde net du compte de revenu à taux général (« CRTG ») pour l’année précédente (solde du CRTG moins les dividendes déterminés payés au cours de cette année) et le reste est attribué à son solde d’IMRTDND. Le solde net de l’IMRTD de toute autre société est attribué entièrement à son solde d’IMRTDND.

Une règle similaire dans un contexte de fusion a été introduite au paragraphe 129(5.1) L.I.R. qui vise à assurer que la règle transitoire du paragraphe 129(5) L.I.R. s’applique à chacune des sociétés remplacées avant que les soldes d’IMRTDD et d’IMRTDND ne soient combinés en vertu de l’alinéa 87(2)aa) L.I.R. relativement à la nouvelle société issue de la fusion.

Entrée en vigueur des nouvelles règles

Les modifications visant la limitation de la DPE et du RTD s’appliquent aux années d’imposition qui commencent après 2018. Cependant, il convient de noter qu’en vertu des paragraphes 20(4) et 20(5) de la Loi no 1, dans un cas où l’année d’imposition de la société est volontairement écourtée afin de reporter l’application des modifications aux articles 125 ou 129 L.I.R., ces modifications pourraient s’appliquer à une année d’imposition de la société ayant commencé avant 2019 et se terminant après 2018.

Par exemple, une société qui aurait normalement une fin d’année le 31 décembre 2018 et qui entreprendrait de fusionner avec une autre société le 31 décembre 2018, de sorte qu’elle aurait une fin d’année réputée le 30 décembre 2018 et qui choisirait comme date de fin d’année le 30 décembre 2019 pourrait, en l’absence de cette règle, différer l’application des nouvelles mesures applicables au revenu passif jusqu’au début de son année qui commencerait le 31 décembre 2019. Dans un tel cas, le paragraphe 20(5) de la Loi no 1 ferait vraisemblablement obstacle à ce résultat et les nouvelles mesures seraient applicables même si l’année d’imposition de la société débutait avant 2019.

Conclusion

Les modifications législatives portant sur les revenus passifs gagnés par des sociétés privées ont pour effet en premier lieu de limiter l’utilisation des surplus assujettis au taux des petites entreprises pour investir passivement plutôt qu’ils soient réinjectés dans une entreprise exploitée activement et en second lieu, d’empêcher les sociétés de reporter l’impôt découlant de leurs revenus passifs. Même si les nouvelles règles entrent en vigueur le 1er janvier 2019, celles-ci seront applicables aux sociétés pour une année d’imposition débutant après cette date. Dans certains cas (pour une société dont l’année commence après le 1er janvier 2019), ceci veut dire qu’il pourrait rester plus de temps afin de déterminer si une planification devrait être mise en place.

Finalement, mentionnons qu’une récente annonce du ministre des Finances de l’Ontario indiquait que les mesures fédérales concernant la limitation de la DPE ne seraient pas suivies par l’Ontario. Le ministère des Finances du Québec, quant à lui, a annoncé le 13 décembre 2018 que la législation fiscale québécoise sera modifiée de façon que la mesure relative à la réduction du plafond des affaires des SPCC en fonction du revenu de placement passif y soit intégrée, en l’adaptant en fonction de ses principes généraux. Les modifications apportées à la législation fiscale québécoise seront applicables à la même date que celle retenue pour l’application des dispositions de la législation fiscale fédérale avec lesquelles elles s’harmonisent.

*          Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 23, no 4, du mois de décembre 2018.