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Dans son Budget de 2021, le gouvernement fédéral a annoncé son intention d’introduire des modifications législatives élargissant la portée de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») dans le but de combler des lacunes perçues dans son application. L’article 160 L.I.R. est une disposition anti-évitement visant à empêcher les contribuables d’échapper au recouvrement de leurs dettes fiscales en transférant leurs actifs à des personnes avec qui ils ont un lien de dépendance pour une contrepartie moindre que la juste valeur marchande (« JVM »).

Les modifications à l’article 160 L.I.R. ont été sanctionnées en décembre 2022. Parallèlement, une pénalité a également été instaurée par le nouvel article 160.01 L.I.R. (« Pénalité »), qui s’applique à toute personne — incluant un conseiller ou un planificateur fiscal — qui se livre, participe ou consent à une planification qui vise à éviter ou à contourner l’application de l’article 160 L.I.R.

Bien que l’objectif énoncé de la Pénalité soit de s’appliquer spécifiquement aux planifications visant à éviter ou à contourner l’article 160 L.I.R., son libellé a une portée large qui soulève la question de savoir si elle pourrait s’appliquer à des planifications qui visent plus généralement à protéger ou à isoler des actifs. Il est donc important pour les conseillers fiscaux de bien connaître les conditions d’application de la Pénalité afin de guider leurs clients et de poser les bonnes questions lors de la mise en œuvre d’une telle planification.

Survol de l’article 160 L.I.R. et de la Pénalité

L’article 160 L.I.R. prévoit que lorsqu’une personne transfère des biens, directement ou indirectement, à une personne avec laquelle elle a un lien de dépendance, pour une contrepartie moindre que leur JVM, le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables des dettes fiscales de ce dernier relatives à l’année d’imposition du transfert ou à toute année antérieure, et ce, jusqu’à concurrence de la différence entre la JVM des biens transférés et la JVM de la contrepartie payée.

Par le Projet de loi C-32, le législateur fédéral a introduit le paragraphe 160(5) L.I.R., qui contient l’ensemble de règles anti-évitement ayant été annoncées dans le Budget fédéral de 2021 (« Règles anti-évitement de l’article 160 »). Les Règles anti-évitement de l’article 160 ont pour objet d’empêcher les planifications qui contournent l’article 160 L.I.R. de trois manières :

  • en évitant l’exigence que le bien soit transféré entre personnes liées (al. 160(5)a) L.I.R.) ;
  • en évitant l’obligation que l’auteur du transfert ait une dette fiscale exigible dans ou relativement à l’année d’imposition où le bien est transféré ou à toute année d’imposition antérieure (al. 160(5)b) L.I.R.) ; ou
  • au moyen d’une opération ou d’une série d’opérations qui réduit la JVM de la contrepartie donnée pour le bien transféré (al. 160(5)c) L.I.R.).

Lorsque les conditions d’application des Règles anti-évitement de l’article 160 sont satisfaites, l’article 160 L.I.R. s’applique à l’opération ou à la série d’opérations envisagée de façon à imposer la responsabilité solidaire des parties au transfert envers la dette fiscale de l’auteur du transfert.

Le Projet de loi C-32 a également instauré la Pénalité, applicable à quiconque se livre, participe, consent ou acquiesce à une « activité de planification » dont il sait ou aurait vraisemblablement su, n’eussent été les circonstances équivalant à une faute lourde, qu’elle est une « planification d’évitement en vertu de l’article 160 ». La Pénalité est égale à la moins élevée des sommes suivantes :

  • 50 % de la somme payable en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour laquelle la responsabilité solidaire a été tentée d’être esquivée au moyen de la planification (essentiellement, la dette fiscale qui vise à être évitée) ;
  • le total de 100 000 $ et des « droits à paiement » de la personne (soit l’ensemble des sommes que la personne, ou une autre personne avec qui elle a un lien de dépendance, a le droit de recevoir relativement à la planification, conditionnellement ou non) au moment de l’envoi à celle-ci d’un avis de cotisation concernant la Pénalité.

La Pénalité et les Règles anti-évitement de l’article 160 ont pris effet à compter du 19 avril 2021.

Les conditions d’application de la Pénalité

La Pénalité s’applique d’abord à une personne qui se livre, participe, consent ou acquiesce à une « activité de planification ». Ce terme est défini au paragraphe 163.2(1) L.I.R. et comprend :

  • le fait d’organiser ou de créer un arrangement, une entité, un mécanisme, un plan, un régime ou d’aider à son organisation ou à sa création ; et
  • le fait de participer, directement ou indirectement, à la vente d’un droit dans un arrangement, un bien, une entité, un mécanisme, un plan ou un régime, ou à la promotion d’un arrangement, d’une entité, d’un mécanisme, d’un plan ou d’un régime.

Ensuite, la Pénalité ne s’applique à une personne que si elle sait ou aurait vraisemblablement su, n’eussent été les circonstances équivalant à une faute lourde, que ladite « activité de planification » est une « planification d’évitement en vertu de l’article 160 ». C’est le cas lorsque l’« activité de planification », relativement à une opération ou à une série d’opérations, satisfait aux deux conditions suivantes :

  • L’« activité de planification » est ou fait partie d’une « opération d’évitement en vertu de l’article 160 », soit une opération ou une série d’opérations par laquelle, selon le cas :

* les parties à un transfert visent à éviter :

  1. soit leur responsabilité solidaire à l’égard d’une somme à payer en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, en évitant l’exigence que le bien soit transféré entre personnes liées,
  2. soit le paiement d’un « montant futur payable » en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, en évitant que l’auteur du transfert ait une dette fiscale exigible dans ou relativement à l’année d’imposition où le bien est transféré ou à toute année d’imposition antérieure ;

* la contrepartie offerte pour le transfert d’un bien est annulée, éteinte ou voit sa JVM réduite dans le cadre de l’opération ou de la série d’opérations ou après.

  1. L’un des objets de l’opération ou de la série d’opérations est de réduire :

* soit la responsabilité solidaire d’un bénéficiaire du transfert à l’égard de l’impôt dû par l’auteur du transfert (ou qui serait dû, n’eût été l’« opération d’attribut fiscal », tel que ce terme est défini au paragraphe 160.01(1) L.I.R.) ;

* soit la capacité de la personne ou d’une autre personne à payer un montant dû, ou qui peut devenir dû, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Applicabilité de la Pénalité aux planifications de protection d’actifs

De manière générale, une planification de protection d’actifs est un processus par lequel une personne organise ses affaires de manière à protéger ses actifs contre le risque de pertes (et dettes) futures et imprévues. Une telle planification implique généralement le transfert d’actifs détenus personnellement ou par l’entremise d’une société à un véhicule juridique distinct, par exemple une fiducie ou une autre société, dont le patrimoine ne serait pas susceptible d’être saisi pour satisfaire les dettes de l’auteur du transfert.

Comme il est indiqué ci-dessus, le libellé du paragraphe 160(5) L.I.R. et de la Pénalité est large. Une simple lecture du texte, sans considérer le contexte et l’objet des dispositions, pourrait laisser penser que les conditions d’application de la Pénalité pourraient être satisfaites dans le cadre de la conception, de la participation à ou de la mise en œuvre d’une planification usuelle de protection d’actifs.

En effet, une telle planification est, par définition, conçue pour protéger les actifs d’un contribuable contre toute dette future imprévue pouvant être contractée. Ainsi, une question se pose quant à savoir s’il pourrait être raisonnable de considérer que l’un des objets d’une telle planification est d’éviter « le paiement d’un montant futur payable » en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (satisfaisant ainsi à la première condition prévue par la définition de « planification d’évitement en vertu de l’article 160 »). Cette expression a un libellé très large puisqu’à sa face même, elle pourrait viser tout montant qui n’est pas connu ou anticipé au moment du transfert, mais qui devient payable ou exigible par la suite.

Dans la même veine, on pourrait se demander si la deuxième condition prévue par la définition de « planification d’évitement en vertu de l’article 160 » pourrait également être satisfaite puisque l’objectif d’une planification de protection d’actifs est de réduire la capacité d’une personne à payer des montants qui pourraient devenir dus dans le futur, entre autres en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cet objectif peut être atteint, notamment, par le transfert des actifs du contribuable vers un patrimoine qui est distinct du sien et qui n’est donc pas susceptible d’être saisi pour satisfaire les dettes du contribuable.

Or, une interprétation de l’article 160.01 et du paragraphe 160(5) L.I.R. fondée sur leur texte, leur contexte et leur objet devrait selon nous mener à la conclusion que la Pénalité ne devrait pas s’appliquer en l’absence d’une intention d’éviter l’application de l’article 160 L.I.R. à l’égard d’une dette fiscale particulière, identifiable et connue ou anticipée au moment de la planification. En effet, les notes explicatives publiées par le ministère des Finances du Canada relativement à ces dispositions indiquent que leur intention est spécifiquement d’empêcher les planifications qui visent à contourner ou à éviter l’application de l’article 160 L.I.R. De plus, le libellé de la Pénalité fait référence à la somme payable « pour laquelle la responsabilité solidaire a été tentée d’être esquivée au moyen de la planification », ce qui indique également une volonté du législateur de cibler seulement les planifications qui visent à éviter l’application de l’article 160 L.I.R.

Il nous semble donc que seule une planification qui vise à éviter le paiement d’une dette fiscale connue ou anticipée au moment de la planification pourrait donner ouverture à la Pénalité. Une dette fiscale impayée qui survient après la mise en œuvre de la planification, mais qui n’était pas prévue ou envisagée au moment de cette mise en œuvre ne devrait pas selon nous déclencher l’application de la Pénalité pour le contribuable ou son conseiller.

Conclusion

En somme, bien que certaines expressions employées au paragraphe 160(5) et à l’article 160.01 L.I.R. semblent ouvrir la porte à l’imposition possible de la Pénalité dans un large éventail de circonstances, qui pourraient inclure notamment des planifications de protection d’actifs, il nous semble, à la lumière de l’objectif de ces dispositions, qu’elles ne devraient viser que les opérations qui cherchent à contourner l’article 160 L.I.R. Les conseillers mettant en œuvre une planification de protection d’actifs qui souhaitent se protéger contre l’éventualité de la Pénalité pourraient considérer de vérifier la solvabilité du contribuable et l’existence de dettes fiscales actuelles ou pouvant raisonnablement être anticipées, et de documenter ces vérifications.

Nous notons enfin que le Budget fédéral de 2024 a proposé l’ajout de nouvelles règles anti-évitement qui seraient incluses comme paragraphes 160(6), 160(7) et 160(8) L.I.R. Ces règles viseraient des situations où des biens sont transférés entre deux parties liées indirectement par l’intermédiaire d’un planificateur, de façon que l’article 160 L.I.R. ne s’applique alors pas au transfert. De manière accessoire, l’article 160.01 L.I.R. serait également modifié pour que la Pénalité soit applicable à une opération ou à une série d’opérations relativement à laquelle le paragraphe 160(7) L.I.R. s’applique. Si elles sont éventuellement adoptées telles quelles, ces modifications législatives proposées s’appliqueraient relativement à une opération ou à une série d’opérations effectuée à compter du 16 avril 2024.

Par Anne-Sophie Villeneuve, avocate, Associée, Davies Ward Phillips & Vineberg s.e.n.c.r.l., s.r.l., asvilleneuve@dwpv.com, et Xavier Plomteux, avocat, Davies Ward Phillips & Vineberg  s.e.n.c.r.l., s.r.l., xplomteux@dwpv.com

Ce texte a été publié initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 30, no 1 (Printemps 2025).