Un homme d'affaires rangeant des papiers dans une mallette posée sur une table sur laquelle se trouve également un marteau de justice.
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Dans le but d’améliorer la transparence corporative, le gouvernement Legault annonce une série de mesures dans le cadre de son budget 2020-2021.

Au nombre de ces mesures, il exigera des entreprises qu’elles déclarent au Registraire des entreprises du Québec (REQ) les informations relatives aux bénéficiaires ultimes. Il permettra aussi d’effectuer des recherches par nom d’une personne physique au registre des entreprises. Finalement, il interdira l’émission de bons de souscription ou d’options d’achat d’actions au porteur.

Concernant l’obligation de transmettre au REQ l’information relative au bénéficiaire ultime, elle vise les situations où la propriété ou le contrôle sont détenus par le biais d’une chaîne de détention ou par toute autre forme de contrôle autre que directe, y compris par l’intermédiaire d’un prête-nom ou d’une fiducie.

La notion de « bénéficiaire ultime » fait essentiellement référence aux personnes physiques qui exercent en dernier lieu un contrôle effectif sur une personne morale ou une entité juridique donnée, pour le compte desquelles une opération est effectuée. Dans le cas où la propriété ou le contrôle est détenu ultimement par une fiducie, le nom du fiduciaire, du constituant et des bénéficiaires de la fiducie devront être divulgués au REQ.

Cette obligation s’appliquera à la plupart des entreprises actuellement tenues de s’immatriculer au registre, mais sans s’appliquer aux personnes morales dont les actions sont cotées en Bourse, qui sont déjà soumises à plusieurs exigences en matière de transparence, aux personnes morales de droit public et aux organismes à but non lucratif (OBNL), pour lesquels le concept de bénéficiaire ultime ne trouve habituellement pas d’application.

Les informations sur les bénéficiaires ultimes que devront déclarer les entités visées par la nouvelle obligation prévue dans le cadre du budget 2020-2021 comprendront le nom et le prénom, le mois et l’année de naissance, le type de contrôle exercé et le pourcentage détenu, de même que l’adresse résidentielle et une adresse de signification.

Depuis 1994, le Québec est la seule province canadienne à exiger que les entreprises faisant affaire au Québec s’immatriculent auprès du REQ, indique le ministère. « Le REQ est extrêmement utile aux conseillers, car il permet notamment de valider les principaux actionnaires d’une société », indique Daniel Laverdière, directeur principal – Centre d’expertise, Banque Nationale, Gestion privée 1859.

« Dans le cas de 1234-5678 Québec inc., je pourrais voir que monsieur Prospère Lafortune est coactionnaire avec la Fiducie familiale Prospère Lafortune. Cela peut me permettre d’apprendre l’existence de cette fameuse fiducie ou même d’un partenaire d’affaires », illustre Daniel Laverdière.

Celui-ci rappelle que bien qu’une société puisse avoir plusieurs actionnaires, le REQ exige seulement de divulguer le nom et le domicile des trois actionnaires qui détiennent le plus de voix, par ordre d’importance, avec la mention de celui qui en détient la majorité absolue, ce qui permet d’identifier clairement qui a le contrôle.

« Le présent budget prévoit toutefois l’ajout de nouvelles fonctions, notamment la recherche par nom d’un particulier, et la capacité d’identifier le bénéficiaire ultime. Pour le conseiller voulant bien connaître son client, une recherche sur le REQ permettra de vérifier s’il est un actionnaire important d’une société. La date de naissance (année et mois) et l’adresse du domicile permettront au conseiller de distinguer parmi les dix Prospère Lafortune lequel est son client réel. Cette nouveauté permettra d’être informé du bénéficiaire ultime de la société. Dans des situations d’une chaîne de détention, il sera par exemple plus facile d’identifier qui exerce en dernier lieu le contrôle effectif sur une personne morale ou une entité juridique donnée », dit Daniel Laverdière.

Ces nouvelles mesures s’inscrivent dans Le Plan d’action pour assurer l’équité fiscale. Cette stratégie mise en œuvre par le gouvernement est destinée à lutter contre des stratagèmes qui visent à dissimuler l’identité des bénéficiaires ultimes et qui favorisent l’évasion fiscale et l’évitement fiscal abusif, de même que le blanchiment d’argent et le financement d’activités criminelles.

Elles font suite aux consultations publiques tenues à l’automne 2019 par le gouvernement sur des initiatives visant à renforcer la transparence corporative. Notons que des intervenants ont invité le gouvernement à la prudence à l’égard de la protection de la vie privée et des renseignements personnels. Le gouvernement s’est engagé à s’assurer « d’optimiser la transparence corporative tout en protégeant la vie privée et les renseignements personnels. Des modifications législatives seront nécessaires à cette fin », comme il est précisé dans le Plan budgétaire 2020-2021.

De même, les mesures annoncées s’alignent sur des initiatives de plusieurs organismes intergouvernementaux et non gouvernementaux internationaux adoptées dans les dernières années pour renforcer la transparence corporative. À cet égard, plusieurs pays ont posé des actions visant notamment à contrer les stratagèmes usant de sociétés-écrans pour cacher la véritable identité des bénéficiaires ultimes.

Bons au porteur

Le recours aux bons de souscription ou aux options d’achat d’actions au porteur et non nominatifs a notamment été identifié comme un instrument financier qui place la société émettrice dans l’incapacité de déterminer le bénéficiaire ultime potentiel.

Notons que depuis 2011, l’émission d’actions au porteur est interdite par la Loi sur les sociétés par actions. Toutefois, cette Loi n’interdit pas l’émission de bons de souscription ou d’options d’achat d’actions au porteur.

Ainsi, il est possible pour un investisseur de détenir une part d’actions d’une société inférieure au seuil nécessaire pour être considéré comme un bénéficiaire ultime, mais de détenir des bons de souscription ou des options d’achat d’actions au porteur qui, dans le cas où il exerce son droit, lui procurent une part d’actions nécessaire à l’obtention de ce titre.

La volonté du gouvernement exprimée dans ce deuxième budget provincial prévoit donc d’interdire expressément l’émission de bons de souscription ou d’options d’achat d’actions au porteur.