Un père et une mère assis sur le sol côte à côte. Le père tient un bébé dans ses bras.
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Les citoyens comprennent déjà très peu les dispositions du régime existant de patrimoine familial pour couples mariés. Les nouvelles dispositions du projet de loi 56 visant à établir la notion d’un patrimoine d’union parentale pour les conjoints de fait ne contribueront pas à simplifier les choses.

Dans la foulée du débat qui a entouré l’affaire Éric contre Lola, le gouvernement provincial a déposé un projet de modification au Code civil du Québec visant à encadrer les droits et obligations des conjoints de fait. Le projet vise en premier lieu la protection des enfants issus d’unions de fait.

Le projet est loin d’être coulé dans le béton, prévient Serge Lessard, vice-président adjoint principal régional pour le Québec, chez Gestion de placements Manuvie, qui a scruté à la loupe le projet de loi pour en tirer les conséquences financières et fiscales. « Il se peut que le projet soit modifié, même retiré, poursuit-il. On est au tout début du processus ; il reste quatre autres étapes avant son adoption. Donc, bien des modifications sont encore possibles. »

Toutefois, même si les choses sont encore embryonnaires, il est bon d’en contempler déjà les conséquences, car elles pourraient être significatives pour les 40% de couples québécois qui vivent en union de fait. « Il est bon d’y réfléchir déjà et de voir venir les choses pour s’y préparer », propose Serge Lessard.

Une date charnière

Tout le projet repose sur une date charnière : le 30 juin 2025. À partir de cette date, tout couple en union de fait qui accueillera un nouvel enfant, naturel ou adopté, se verra automatiquement assujetti au nouveau régime proposé d’union parentale, lequel créera un patrimoine d’union parentale.

Précision : un couple qui a déjà un enfant ne sera pas assujetti au nouveau régime — à moins qu’il fasse la requête spécifique de s’y inscrire. Par contre, tout nouvel enfant apparaissant après la date du 30 juin 2025 soumettra inévitablement le couple au nouveau régime.

Comparons le régime actuel de patrimoine familial pour couples mariés au nouveau patrimoine d’union familiale pour les couples en union parentale. Dans le premier, beaucoup d’actifs et de biens sont inclus dont la valeur est partageable : la résidence principale, les résidences secondaires, les régimes de placement enregistrés (REER, FERR, etc.), les meubles, les véhicules. En sont exclus un parc immobilier propriété d’un des deux conjoints, tout régime de placement non enregistré et bien d’autres choses. Dans le second régime ne prennent place que trois actifs : la résidence familiale, les meubles, les véhicules servant aux déplacements de la famille. Aucun actif de placement, enregistré ou non enregistré, n’y loge.

Dans les deux régimes, le mariage et l’union parentale, il y a un « avant » et un « après ». Dans le patrimoine familial d’un couple marié, la valeur des biens acquis avant le mariage n’est pas partageable. Par exemple, si la résidence principale dans laquelle habitent les partenaires a été acquise et payée par un des deux partenaires avant le mariage, au moment d’un divorce ou d’un décès sa valeur n’est pas partageable avec l’autre partenaire — à moins qu’une clause testamentaire ne lègue ce bien à l’autre. Par contre, au moment du mariage, s’il subsiste par exemple une part d’hypothèque de 50% sur la résidence, toute valeur payée ultérieurement sur cette part de 50% devient partageable. Si le couple divorce après que seulement la moitié de cette hypothèque résiduelle a été payée, c’est cette part (soit 25% de la valeur totale) qui est partageable.

Les mêmes dispositions vont prévaloir dans le nouveau régime « d’union parentale ». À l’heure actuelle, au moment de la séparation d’une union de fait, aucun bien acquis avant ou après l’union n’est partageable. La nouvelle loi potentielle pourrait changer la donne. La valeur des biens acquis après l’avènement d’un enfant au 30 juin 2025, de même que toute valeur ajoutée aux biens, seront partageables, en tenant compte des passifs, mais seulement pour les trois actifs précisés plus haut : résidence familiale, meubles, véhicules. Si le couple dispose au moment d’une séparation de plusieurs maisons et de plusieurs véhicules, « il devra déterminer dans quelle résidence il exerçait ses principales activités et quels véhicules servaient aux déplacements de la famille », explique Serge Lessard.

Succession et héritiers

La même logique de partage s’applique au moment du décès d’un des conjoints, mais l’exercice peut entraîner certaines nuances qu’il vaut la peine de préciser. Supposons que le conjoint A est propriétaire d’une maison d’une valeur de 1,0 M$, sans hypothèque, acquise après le début de l’union parentale (après le 30 juin 2025 et l’avènement d’un enfant) et qu’il décède. Alors, le conjoint B a un droit de créance contre la succession de A pour aller chercher la moitié de la valeur de la maison (500 000$). Il doit présenter une réclamation au liquidateur de la succession. Évidemment, si le liquidateur conteste la somme demandée, par exemple en jugeant le prix évalué trop élevé, il peut s’objecter. Cela entraînerait des recours en justice. Cette créance sera payée à B avant les legs que A aurait pu faire dans son testament.

Dans un autre scénario, supposons que le conjoint B, qui n’a aucun titre à la propriété de 1,0 M$, décède. Dans un tel cas, la succession du conjoint B a droit à la moitié de la valeur de la résidence et le liquidateur doit la réclamer auprès du conjoint A survivant. Évidemment, si le conjoint A est l’héritier, il reçoit la valeur résiduelle après le paiement des dettes. Par contre, précise Serge Lessard, « si le conjoint A n’est pas l’héritier, il perd la moitié de la valeur de la résidence, ce qui pourrait l’obliger à vendre la résidence ou devoir en racheter la moitié pour continuer d’y résider ».

Ces nouvelles dispositions affectent aussi les testaments, qui pourraient devoir être révisés. Supposons qu’avant l’avènement d’un enfant (après le 30 juin 2025), le testament du conjoint A léguait 25% de la valeur de la succession (qui ne contiendrait hypothétiquement que la résidence principale dont il était unique propriétaire) au conjoint B. Au décès de A, la moitié de la valeur de la résidence est payable à B avant les legs et, si B en est l’héritier, il récolte sa part de 50%, ou 500,000$, de la valeur de la maison. Mais il récolte également la part de 25% promise dans le testament, pour un total de 625 000$ (25% du 500 000$ restant). « Les clauses ont un effet de cumul, précise Serge Lessard. C’est plus que le 25% prévu par le testament qui passe au conjoint B. » Ce n’est peut-être pas le résultat et la taille de legs qu’anticipait le conjoint A au moment de rédiger son testament. Peut-être voulait-il léguer 75% de la valeur de la résidence à un enfant issu d’une autre union. Cela implique qu’après la naissance d’un nouvel enfant, après le 30 juin 2025, il voudra peut-être revoir son testament.

Au moment de faire leurs déclarations de revenus, les contribuables assujettis aux normes du patrimoine d’union parentale devront prendre garde, avertit Serge Lessard. « Le statut d’union parentale n’étant valable qu’au Québec, il ne faudra pas tenter de l’appliquer au niveau fédéral, qui ne reconnaîtra pas ce statut. On ne pourra pas marquer “union parentale” mais plutôt “conjoint de fait” dans la déclaration de revenus fédérale. »

Les conseillers seront appelés à faire de nouvelles planifications financières selon l’arrivée d’un nouvel enfant après le 30 juin 2025, prédit Serge Lessard. Surtout, ils seront appelés à faire beaucoup d’éducation auprès de leurs clients. « Déjà, ajoute-t-il, les citoyens ont de la difficulté à s’y retrouver dans le régime actuel. Avec le nouveau régime, l’éducation sera à l’honneur. »