Un arbre dont le feuillage a été taillé en flèche pointant la bonne direction.
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Avec la pandémie, l’investissement prenant en compte les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), déjà populaire, s’est définitivement installée sur le devant de la scène. Toutefois, il reste encore nombre de problématiques à adresser, si l’on en croit le panel « Investissement responsable, vert, durable ou ESG: comment aider le consommateur à s’y retrouver? » qui s’est tenu le 22 novembre dernier à l’occasion des Rendez-vous avec l’Autorité 2021.

Selon une étude d’Investors economics, dans les six premiers mois de 2021, le nombre de fonds négociés en Bourse (FNB) canadiens ESG a augmenté de 30 %. En parallèle, l’actif sous gestion de ces fonds a augmenté de 133 %, a rapporté Hugo Lacroix, surintendant des marchés de valeurs, Autorité des marchés financiers (AMF) en ouverture du panel. « L’offre est là et la demande des investisseurs l’est tout autant », a-t-il commenté.

Toutefois, malgré cet enthousiasme vis-à-vis de l’investissement ESG, plusieurs problèmes restent à être adressés ont souligné les trois panélistes.

Le premier étant que les investisseurs doivent savoir quel type d’investissement responsable ils veulent adopter. Stéphanie Lachance, experte en investissement durable et administratrice de sociétés, distingue ainsi sept approches d’investissement responsable :

  • Traditionnelle : le focus sur des facteurs ESG est limité ou absent.
  • Filtre négatif/exclusion : des filtres négatifs sont pris en compte. Les plus courants sont l’exclusion du tabac et/ou des armes à feu, mais ces filtres peuvent être multiples et s’additionner. La décision d’investissement est donc basée sur les valeurs de l’investisseur.
  • Intégration ESG : les considérations ESG sont intégrées systématiquement dans les décisions d’investissement.
  • Dialogue actionnarial & vote : l’investisseur vote par procuration lors des assemblées actionnariales et le dialogue actionnarial et transparent est fréquent pour tenter de modifier certains comportements de l’entreprise dans laquelle on investit.
  • Performance financière en premier : l’investissement thématique est privilégié.
  • Impact en premier : le focus est sur l’impact social ou environnemental.
  • Philanthropie : l’investisseur s’intéresse avant tout à l’impact et non à la performance financière.

Toutefois, l’investisseur ne sait peut-être pas où il se situe. Il est important de s’assurer de bien parler le même langage que ce dernier, pour bien comprendre ce qu’il veut.

Mais le problème, c’est que, pour adopter réellement une de ces approches d’investissement, il faut des données claires, comprendre ce que le gestionnaire veut offrir et les outils mis en place. C’est là que le bât blesse.

Le manque de données

L’investisseur se réfère ainsi à plusieurs sources de données et aux agences ESG. Toutefois, chaque agence a sa propre approche. Il existe donc un écart important entre les agences et l’investisseur ne comprend pas toujours en quoi l’approche consiste, a affirmé Stéphanie Lachance.

Sans compter que la plupart des cadres sont volontaires, ce qui entraîne encore d’autres difficultés, car certaines données ne sont ainsi pas disponibles.

« Il faudrait un cadre de divulgation commun pour que ça soit comparable et vérifiable, martèle l’experte. Il faut des données structurées et le même langage, afin de comparer des pommes avec des pommes. »

Nancy Paquet, Vice-présidente, Stratégie épargne et investissement – particuliers, Banque Nationale, abonde en son sens. Elle ajoute qu’en plus, si les investisseurs institutionnels ont les moyens techniques et financiers de faire leurs propres recherches, les investisseurs individuels ne sont pas aussi bien positionnés.

« Si une équipe entière peine à avoir de l’information, imaginons-nous l’investisseur individuel! », a-t-elle souligné.

Pour s’informer, ce dernier est souvent tributaire des journalistes, de la littératie financière disponible et des sites Internet des différents manufacturiers, mais ces derniers ne sont pas toujours à jour, complets ou même faciles à comprendre. La dernière ressource est souvent le conseiller. Celui-ci doit donc s’informer et s’éduquer pour aider au mieux son client.

Méfiance envers les sources

Ce manque d’informations, cette multiplication des sources et surtout ce manque de cohérence entre les notations engendrent un autre problème : la méfiance des investisseurs individuels.

Ces derniers craignent ainsi que les discours des institutions financières ne soient que de belles paroles. La plupart ne comprennent pas exactement le pourquoi de certains investissements. Par exemple beaucoup constatent que leur FNB ESG investit dans le pétrole. Ils ne comprennent pas l’approche du best in class, où l’on peut investir dans la société d’extraction de pétrole qui utiliserait les moyens les moins dommageables pour l’environnement.

« Il y a beaucoup de pédagogie à faire », insiste Nancy Paquet.

« On doit revenir à la base, il faut une compréhension commune de l’objectif visé », ajoute Stéphanie Lachance.

Le projet de loi 51-107 et les recommandations des expertes

L’AMF espère répondre à ces problèmes avec son règlement 51-107. Le règlement instigue ainsi des obligations d’information concernant la gouvernance relative au changement climatique ainsi que des obligations d’information sur les stratégies, la gestion des risques et les mesures et cibles relatives au changement climatique.

« Nous avons mis en œuvre le règlement pour obliger les émetteurs assujettis à communiquer certains renseignements liés au changement climatique dans leurs documents d’information continue. Nous estimons que cette information gagne en importance pour les investisseurs au Canada et à l’étranger et que l’information exigée par le règlement constitue un facteur important dans leur prise de décision d’investissement et de vote », précise l’AMF dans son instruction générale relative audit règlement.

Interrogées sur ce que le régulateur devrait faire pour répondre au mieux aux problématiques, les trois panélistes ont formulé quelques recommandations, auxquelles Hugo Lacroix estime que le projet de règlement 51-107 répond.

Nancy Paquet conseille d’adopter une approche de petits pas et d’énoncer des principes plus que des règles serrées. « Il faut qu’on avance ensemble pour que ça rencontre notre obligation de protéger l’investisseur », a-t-elle assuré.

Elle a rappelé l’importance de matérialiser les principes édictés pour engendrer la confiance du public. Et finalement a rappelé la variété de joueurs dans l’industrie. Pour éviter d’en pénaliser certains, elle a recommandé de garder une certaine flexibilité et de prendre le temps de comprendre la réalité de tous les joueurs.

Stéphanie Lachance a quant à elle noté qu’il était important d’ajouter de la réglementation, notamment pour multiplier les données. Mais elle a aussi souligné qu’il était nécessaire de ne pas demander de la donnée pour la donnée, mais bien de solliciter des données précises qui permettraient aux investisseurs de prendre des décisions éclairées.

Elle a également rappelé que les changements climatiques n’étaient pas le seul point abordé par l’ESG et qu’il y avait d’autres aspects importants à prendre en compte, notamment le social et l’environnement en général.

Finalement, elle a suggéré de miser sur les cadres internationaux pour ne pas multiplier les cadres régionaux et ajouter un fardeau de réglementation.

Julie Ansidei, Directrice, Stratégie et finance durable et secrétaire du comité exécutif, AMF France, dernière panéliste a conseillé de ne pas avoir une approche en silo. Selon elle, il est important de comprendre comment les informations impactent tous les acteurs de la chaîne d’investissement.

Elle a également rappelé la nécessité de répéter souvent pourquoi on met en place des règlements et de souligner les enjeux climatiques, mais aussi les enjeux environnementaux et sociaux.