Cette dernière n’existe pas encore, car Québec doit d’abord changer la loi constitutive de la Caisse de dépôt et adopter le projet de loi 38.

La CDPQ n’est pas une néophyte dans le secteur des infrastructures. Elle y investit depuis 15 ans. Au 31 décembre 2014, elle gérait un actif net de 10,1 G$ au Canada et ailleurs dans le monde.

Sur une période de quatre ans, le portefeuille a réalisé un rendement annuel de 13,8 % par rapport à 17,9 % pour l’indice de référence composé d’un panier de titres publics liés à l’infrastructure, selon le rapport annuel 2014.

Toutefois, en raison de la création de CDPQ Infra, c’est la première fois que la CDPQ est appelée à réaliser des projets d’infrastructures – elle réalise déjà des projets dans le secteur immobilier avec sa filiale Ivanhoé Cambridge.

C’est le gouvernement du Québec qui déterminera les infrastructures que la CDPQ pourra prendre en charge. Si cette dernière juge ces projets intéressants, elle en assumera la planification, le financement, la mise en oeuvre et l’exploitation.

La nouvelle filiale agira donc à tire de gestionnaire et de maître d’oeuvre pour les projets qui lui sont confiés. Cependant, elle ne construira ni n’exploitera les projets directement.

Cela dit, le gouvernement déterminera les grandes orientations des projets et approuvera les solutions que la Caisse proposera. L’entente ne limite pas le nombre de projets ni leur nature, mais elle prévoit en priorité la réalisation de deux projets d’ici 2020 :

– Un système léger sur rail (SLR) sur le nouveau pont Champlain (dont Ottawa vient d’octroyer le contrat au consortium dirigé par SNC-Lavalin) ;

– Un train reliant le centre-ville de Montréal à l’aéroport Montréal-Trudeau et à l’ouest de l’île de Montréal.

Modèle gagnant-gagnant

Pour le gouvernement, cette entente avec la CDPQ est avantageuse, car elle lui permettra de réaliser des projets d’infrastructures sans augmenter sa dette, puisque c’est la Caisse qui finance les projets.

La CDPQ y trouve aussi son compte. Ces projets lui procureront des flux financiers stables et réguliers, ainsi que des rendements intéressants à long terme.

Des conditions d’investissement idéales dans un contexte où la capacité des investisseurs de générer des revenus intéressants à partir d’un portefeuille de revenu fixe (par exemple, des obligations) est minime en raison de la faiblesse des taux d’intérêt.

Dans une récente entrevue avec Les Affaires, le président et chef de la direction de la CDPQ Michael Sabia indiquait qu’en se lançant dans la réalisation de projets d’infrastructures, la Caisse cherchait «une catégorie d’actif qui n’est pas hautement risquée, dans laquelle la probabilité de perte de capital est minime et qui génère beaucoup d’argent».

Si la loi est adoptée, la priorité de la Caisse sera d’abord de bien réussir les deux projets au Québec. Mais par la suite, l’institution souhaiterait réaliser des projets à l’extérieur de la province.

«Nous voulons utiliser les projets réalisés au Québec comme une vitrine et une preuve de notre savoir-faire. Nous avons une vision à long terme dans ce dossier, comme dans les autres», souligne Maxime Chagnon, directeur principal, communication avec les médias à la CDPQ.

La Caisse a jusqu’en 2020 pour réaliser les deux projets de transport collectif, mais rien ne l’empêcherait d’entreprendre d’autres projets à l’extérieur du Québec avant 2020, précise Maxime Chagnon : «En théorie, il n’est pas absolument nécessaire que nous ayons terminé les travaux au Québec avant de prendre de l’expansion à l’étranger, si nous avons la capacité de le faire et que les occasions sont intéressantes.»

L’entente conclue entre Québec et la CDPQ n’est pas unique.

De plus en plus, partout dans le monde, des gouvernements endettés recourent aux entreprises privées et aux organisations semi-publiques comme la CDPQ pour financer et réaliser des projets d’infrastructures. Et la demande est forte.

En Amérique du Nord seulement, les dépenses dans les infrastructures devraient croître de 1 200 G$ US par année d’ici 2025, selon une étude de PwC, «Capital project and infrastructure spending around the world».

Approfondir le marché des infrastructures

Au Québec, la réalisation de projets par CDPQ Infra aura des conséquences positives sur le marché des infrastructures, affirment Gilles L. Bourque et Michel Beaulé, respectivement chercheur et chargé de projet à l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC).

Dans une note récente, ils estiment que CDPQ Infra pourrait stimuler le développement d’une expertise québécoise dans la captation de la plus-value foncière, «liant étroitement les expertises de la finance, de l’immobilier, de l’urbanisme, de la gestion de territoire et du transport dans une perspective plus durable».

Selon eux, CDPQ Infra pourrait même apporter «plus de rigueur et de discipline» dans le processus de priorisation et de réalisation de projets de transport en commun au Québec.

Un apport majeur dans un contexte où seulement 67 % des projets contenus dans le Plan québécois des infrastructures (PQI) se réaliseront en 2014-2015, notamment en raison de l’incertitude en matière de financement, remarquent Gilles L. Bourque et Michel Beaulé.

L’arrivée de CDPQ Infra dans le marché des infrastructures pourrait inciter d’autres investisseurs institutionnels à réaliser eux aussi des projets, affirme pour sa part l’ancien patron de la CDPQ, Richard Guay (septembre 2008 à janvier 2009).

«Tout le monde a besoin de flux monétaires stables», insiste celui qui est aujourd’hui professeur de finance à l’ESG UQAM.

Finance et Investissement a notamment communiqué avec le Régime des enseignants et des enseignantes de l’Ontario (Teachers’) et Investissements PSP, mais ceux-ci ont refusé de discuter publiquement de leurs futures stratégies dans le secteur des infrastructures.

Stéphane Mailhot, président et chef des opérations chez Fiera Axium Infrastructure, une firme de gestion d’investissement, estime que la création de CDPQ Infra pourrait même stimuler l’activité économique dans ce secteur, compte tenu des ressources et de l’expertise de la CDPQ.

«Cela pourrait faciliter et accélérer la mise en place de projets quand le besoin s’en fait vraiment sentir», dit-il.

Fiera Axium infrastructure fait plus qu’investir dans les infrastructures ; elle s’engage dans la gestion, et supervise même la mise en place d’installations. Mais elle ne réalise pas de projets comme le fera CDPQ Infra.

Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGGOP) estime toutefois que les projets d’infrastructures que CDPQ Infra pourrait réaliser au Québec – et au Canada – ne sont pas légion.

«Dans ce marché, le défi est de trouver des tronçons d’infrastructures qui peuvent être rentables pour un investisseur», souligne Michel Nadeau, qui a été notamment été président de CDP Capital à l’époque où Jean-Claude Scraire dirigeait la Caisse de dépôt, de 1995 à 2002).

Selon lui, il faut que l’infrastructure qui devra être rentabilisée soit située dans un grand centre urbain – par exemple, Montréal, Toronto, Calgary ou Vancouver – et que son utilisation procure un avantage important.

C’est pourquoi, par exemple, le pont de l’autoroute 25 – un projet en PPP géré par le consortium Concession A25 – fonctionne bien, car il remplit ces deux critères, souligne Michel Nadeau.

L’infrastructure qui relie l’île de Montréal à celle de Laval permet aux usagers de gagner du temps par rapport à la situation qui prévalait avant son inauguration, en mai 2011.

Les deux premiers projets de transport collectif que réalisera CDPQ Infra répondent à ces deux critères.

Risques à gérer

Malgré son expertise dans les infrastructures, CDPQ Infra devra gérer plusieurs risques, soulignent les analystes à qui nous avons parlé.

La CDPQ est confrontée à un risque «de changement de culture» au sein de sa future filiale CDPQ Infra, où il y aura moins de concurrence, affirme Claude Garcia, ancien président de la Standard Life au Québec (dont l’actif au Canada a été acheté par Manuvie).

«Un des risques est qu’on change la mission de la Caisse, dit celui qui a été membre du conseil d’administration de la Caisse de 2005 à 2009. Certaines personnes seront récompensées en fonction de leur habileté à négocier de bonnes conditions avec le gouvernement.»

La CDPQ, rappelle Claude Garcia, se fera attribuer les projets par le gouvernement du Québec, et ce sont des négociations de gré à gré qui établiront le cadre des projets.

«Je n’ai rien contre les hauts fonctionnaires de l’État, mais ils n’ont pas l’expérience des gens de la Caisse pour négocier de bonnes ententes financières», dit-il.

Selon Richard Guay, le gouvernement du Québec pourrait aussi changer les règles du jeu en cours de route, car les gouvernements peuvent changer les lois – ce qu’un partenaire privé ne peut pas faire.

«Ailleurs dans le monde, ce dont les investisseurs qui réalisent des projets infrastructures pâtissent, ce ne sont pas vraiment les risques associés aux coûts de construction ou aux opérations, c’est plutôt quand un gouvernement réduit ou gèle les tarifs pour l’utilisation de ces infrastructures.»

Le cas échéant, le rendement peut chuter et rendre l’investissement moins intéressant à long terme.

Selon Stéphane Mailhot, la Caisse risque aussi de sous-estimer les besoins et les ressources nécessaires pour réaliser des projets. Mais il est convaincu qu’elle prendra les mesures pour réduire ce risque.

Pour sa part, Michel Nadeau estime que CDPQ Infra pourrait devoir composer avec un dépassement des coûts de construction et un achalandage moins important que prévu.

Par exemple, si beaucoup moins de passagers que prévu utilisent son système de transport collectif sur le nouveau pont Champlain, la CDPQ aura de la difficulté à réaliser son rendement anticipé à long terme.

La Caisse pourrait-elle augmenter ses tarifs ? Difficile à dire, mais cela n’inciterait pas davantage de personnes à utiliser son SLR.

Le gouvernement du Québec pourrait-il intervenir pour aider la CDPQ à réduire ce risque d’achalandage ? Certains analystes le pensent.

Comment ? Selon Michel Nadeau, Québec pourrait par exemple, dès le début, prendre une participation dans le projet de système de transport collectif sur le pont Champlain.

Il pourrait aussi carrément imposer, comme le croit Claude Garcia, des péages sur les ponts de la Rive-Sud de Montréal afin d’inciter les automobilistes à utiliser davantage le SLR sur le pont Champlain.