Un marteau pour le tribunal posé sur un bureau devant un livre ouvert et une balance de justice.
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L’industrie se transforme à grande vitesse. L’encadrement des services financiers suit-il le pas ? En général oui, mais pas toujours, estime Cinthia Duclos, directrice du Laboratoire en droit des services financiers de l’Université Laval.

« Le cadre juridique qui entoure les services financiers est imparfait, mais il permet d’offrir un service de protection important aux épargnants », croit la directrice de l’unité de recherche créée en mai dernier par l’Université Laval pour explorer de nouvelles avenues afin de mieux protéger les épargnants.

Cette structure a pour mandat, outre la recherche, d’offrir de la formation continue à la relève chargée de la conformité dans les institutions et dans les cabinets d’avocats spécialisés.

Alors que le nombre de services offerts par l’industrie augmente, certaines firmes ont vu leur département de conformité tripler de volume au cours des dernières années, mentionne la directrice.

« La relève en conformité dans ces organisations doit avoir une vision à 360 degrés du droit des services financiers. Elle doit connaître non seulement le cadre juridique, mais aussi la structure de l’industrie et le profil des consommateurs de ses services », relève Cinthia Duclos.

Des enjeux dans l’encadrement

Plusieurs changements dans l’écosystème mettent à l’épreuve les limites du cadre juridique actuel, selon la professeure en droit. En voici quelques-uns :

  • Valeurs mobilières et assurance

Le rapprochement entre les valeurs mobilières et l’assurance en matière de services d’investissements a mis en lumière certaines disparités dans l’encadrement. Celui-ci gagnerait à être harmonisé. « Le fait que les produits ne soient pas encadrés de la même façon dans ces deux secteurs laisse des différences dans des aspects cruciaux de la protection des épargnants », précise Cinthia Duclos.

  • Technologies numériques

Les fintechs et des produits tels que les cryptoactifs testent les limites du cadre juridique actuel. Que faire, par exemple, avec les vendeurs de cryptomonnaies qui accèdent au marché québécois par le Web et qui ne sont pas encadrés par l’Autorité des marchés financiers (AMF) ? « L’AMF ne peut pas devenir la police de l’Internet et démasquer tous les fraudeurs », répond Cinthia Duclos. Elle est d’avis que sur cet aspect, le cadre juridique n’est pas la seule réponse. Elle estime qu’il faudrait avoir d’autres types d’outils (formation, sensibilisation, etc.) pour aider les épargnants à éviter les stratagèmes des fraudeurs.

  • Investissement vert

L’investissement écoresponsable est un autre sujet pour lequel le cadre réglementaire est imparfait, estime la juriste. Les changements climatiques et l’engouement pour les investissements ESG (qui répondent à des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) amènent des préoccupations. Les épargnants individuels et les investisseurs institutionnels ont-ils accès à toute l’information dont ils ont besoin sur les fonds d’investissement écoresponsables ? C’est une question qui mérite d’être étudiée, considère Cinthia Duclos.

  • Assurance et changements climatiques

Les assureurs protègent-ils adéquatement les clients en cas de catastrophes naturelles, telles que des crues ou des tornades provoquées par les changements climatiques ? Des exemples de recours collectifs de citoyens contre des compagnies d’assurance à la suite de tels dommages laissent penser qu’on pourrait mieux faire dans ce domaine.

  • Influenceurs et conseillers

L’encadrement des « influenceurs », ces personnes non enregistrées auprès de la Chambre de la sécurité financière qui donnent des conseils financiers sur les réseaux sociaux et sur le Web, préoccupe l’industrie. Plusieurs conseillers y voient un exercice illégal de leur profession. « Il y a un enjeu pour savoir de quelle manière les investisseurs autonomes subissent l’influence des conseils donnés par les influenceurs », indique Cinthia Duclos.

« Les outils juridiques actuels tels que la Loi sur les valeurs mobilières et le règlement 31-103 de l’AMF sur les obligations et dispenses d’inscription permettent de sanctionner des individus dans certains cas, mais dépendamment d’où ils exercent leur activité. »

  • Vieillissement de la population

Les 85 ans et plus représentent la part de la population qui connaît la croissance la plus rapide au pays, selon Statistique Canada. Les institutions financières auront donc à traiter avec une clientèle âgée de plus en plus nombreuse au cours des prochaines années.

Cette réalité démographique devrait amener une vigilance accrue pour protéger ces épargnants, qui sont moins habiles à utiliser les technologies numériques et peuvent être atteints de limitations physiques et cognitives. « Les institutions doivent garder en tête la sensibilité des gens qui ont besoin d’un accompagnement particulier et continuer à leur offrir un service en personne », souligne la directrice.

L’influence du procès Norbourg

Originaire de la Beauce, Cinthia Duclos a étudié en sciences humaines avant de se tourner vers le droit. C’est au cégep qu’elle a été orientée vers la profession d’avocate, elle qui se voyait plutôt dans l’enseignement. « Je rêvais d’une profession qui m’aiderait à changer le monde. Je me suis sentie rapidement sur mon X dans le domaine du droit. »

Après avoir obtenu un baccalauréat en droit et une maîtrise en administration des affaires à l’Université Laval, Cinthia Duclos a travaillé quelques mois comme avocate en droit des affaires chez Davies, à Montréal. Des circonstances familiales l’ont amenée à revenir s’installer à Québec, où elle s’est tournée vers son alma mater pour entreprendre un doctorat en droit des services financiers.

Dans le cadre d’un projet de recherche universitaire sur la fraude dans l’affaire Norbourg, elle assiste au procès de Vincent Lacroix. Cette expérience sera déterminante pour la suite de sa carrière. « Vivre ce procès en temps réel et voir les preuves apportées m’ont vraiment sensibilisée à la nécessité de protéger les épargnants contre les fraudes », relate-t-elle.

Des milliers d’investisseurs ont été spoliés lors de cette fraude financière de 130 millions de dollars perpétrée au milieu des années 2000 par le président de Norbourg et ses complices.

Le rôle des dirigeants des institutions

La thèse de doctorat de Cinthia Duclos, publiée en 2021, étudie justement l’impact des défaillances organisationnelles dans les entreprises financières sur les comportements des conseillers.

Elle applique à l’industrie des services financiers le modèle swiss cheese (modèle du fromage suisse), utilisé en gestion du risque pour analyser les mécanismes de sécurité mis en place pour éviter des imprévus ou accidents majeurs, tels que des écrasements d’avion. Cette approche vise à comprendre comment une cascade de faits et de décisions dans une organisation financière peut causer des préjudices aux épargnants.

« Les dirigeants d’entreprises financières portent deux chapeaux. Ils dirigent une entreprise avec des objectifs commerciaux tout en encadrant des représentants qui offrent un service professionnel. Dans leur prise de décisions, ils sont parfois confrontés à des intérêts qui s’opposent, par exemple lorsque des conseillers sont incités à vendre des produits qui ont des frais de commission plus élevés », donne comme exemple Cinthia Duclos.

Préparer la relève

Celle qui enseigne le droit des sociétés par actions à la Faculté de droit de l’Université Laval depuis 2013 a été nommée en 2020 codirectrice du Groupe de recherche en droit des services financiers (GRDSF), dont relève le laboratoire nouvellement créé.

À ce titre, elle estime que sa mission est :

  • de contribuer à préparer une relève qualifiée en droit des services financiers,
  • d’alimenter les échanges sur le cadre juridique et sur les pratiques de gouvernance dans l’industrie,
  • et de favoriser la protection des consommateurs.

Ces sujets seront d’ailleurs au programme du colloque sur la protection des épargnants du domaine des valeurs mobilières et de l’assurance de personnes qui sera présenté le 28 octobre prochain. Dans le cadre de cette journée, les conférenciers examineront le cadre général ainsi que certaines mesures de prévention applicables aux intermédiaires financiers. Les discussions porteront également sur l’assistance et l’indemnisation des épargnants insatisfaits ou qui s’estiment lésés.

Les enjeux ne manquent pas pour nourrir les discussions entre l’enseignement, la recherche et l’industrie afin de garantir aux épargnants et aux investisseurs une protection répondant aux changements actuels et futurs.