Un couple de personnes âgées face à une femme d'affaire.
fizkes / 123rf

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) et le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) travailleront conjointement avec l’industrie afin que l’on divulgue aux clients le coût total de leurs fonds d’investissement et de leurs fonds distincts.

Le projet, que l’on pourrait qualifier de phase 3 du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 3), suscite pour le moment des réactions positives. Il viendrait uniformiser les règles du jeu entre les différents acteurs de l’industrie des produits et services financiers.

Ainsi, le 28 avril dernier, les ACVM et le CCRRA ouvraient une période de consultation de 90 jours pour un projet consistant, d’une part, à rehausser les obligations d’information sur le coût des fonds d’investissement, d’autre part, à imposer de nouvelles obligations d’information sur le coût et le rendement des fonds distincts. Le MRCC 3 prendra la forme de modifications apportées au Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d’inscription et les obligations continues des personnes inscrites.

L’essentiel du projet, comme on peut le lire dans l’avis de consultation conjoint des ACVM et du CCRRA : « Projet de Règlement modifiant le Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d’inscription et les obligations continues des personnes inscrites »(lautorite.qc.ca), tient au désir du régulateur de « renforcer la protection des investisseurs en informant mieux ces derniers et les titulaires de police sur les frais continus intégrés le ratio des frais de gestion (le RFG) et le ratio des frais sur opérations (le RFO) ».

Ces coûts continus devront être présentés à la fois en pourcentage et sous forme de montant total exprimé en dollars pour l’ensemble des fonds et des placements détenus par un investisseur au cours de l’année.

Méprise

Selon les auteurs de l’avis, des recherches conduites en collaboration avec la Behavioral Insights Team ont montré que le MRCC 2 a mené à une méprise chez les investisseurs. Ces derniers, en se faisant présenter un modèle de rapport annuel sur la rémunération, ont présumé à tort que les frais intégrés associés aux fonds d’investissement y figuraient.

Une particularité essentielle du projet tient à la volonté d’assurer la plus grande uniformité possible entre le secteur des valeurs mobilières et celui de l’assurance.

Du côté des valeurs mobilières, le projet prévoit ajouter les éléments suivants:1) dans le relevé de compte ou le relevé supplémentaire apparaîtrait en pourcentage le ratio des frais du fonds pour chaque fonds d’investissement détenu par le client; 2) dans le relevé annuel apparaîtraient le montant en dollars des frais des fonds d’investissement et le montant total en dollars de tous les frais directs, les frais sur opérations et les frais de rachat.

Du côté de l’assurance, les mêmes exigences tiennent, et d’autres s’ajoutent, notamment le coût total en dollars des garanties d’assurance prévues par le contrat de fonds distinct s; le total des dépôts et retraits ainsi que la variation de la valeur depuis la souscription du contrat de fonds distincts et le début de la période du relevé précédent; enfin, divers avis concernant la valeur liquidative totale des contrats. De plus, les assureurs devraient indiquer si des frais d’acquisition reportés sont susceptibles de s’appliquer.

L’Autorité des marchés financiers (AMF) met de l’avant un calendrier de mise en œuvre synchronisée pour les deux secteurs menant à une entrée en vigueur simultanée des modifications définitives en septembre 2024. Ainsi, la période de transition s’étalerait sur environ 18 mois. Du côté des valeurs mobilières, les investisseurs recevraient un premier relevé de compte trimestriel contenant les nouvelles informations en décembre 2024, et un premier relevé annuel remanié à la fin de décembre 2025. Côté assurance, un premier relevé semestriel remanié serait distribué pour la période se terminant en juin 2025, puis un relevé annuel en décembre de la même année.

Pas d’accrochages en vue

C’est du côté des assureurs que semble peser la part la plus lourde des changements réglementaires en cours. « En 2016, l’industrie de l’assurance n’a pas adopté le MRCC 2 et ses exigences de divulgation des coûts de distribution, car elle ne jugeait pas sa divulgation assez complète, alors que le secteur des fonds communs l’a adopté », rappelle Lyne Duhaime, présidente pour le Québec de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) et vice-présidente exécutive aux pratiques commerciales et à la réglementation pour le Canada. C’est dire que l’industrie devra assurer la divulgation de la rémunération des courtiers et représentants en même temps que les coûts administratifs des manufacturiers de fonds distincts.

La perspective ne semble pas troubler les assureurs. « Dès 2016, on recommandait la divulgation complète des coûts, rappelle Lyne Duhaime. Sur le plan des principes, on est d’accord avec le MRCC 3 (un terme qu’on n’utilise pas, préférant parler de total cost reporting) et on veut l’adopter de façon coordonnée avec les fonds communs de placement. »

Terrain nivelé

Pour Gino Savard, président de MICA Cabinets de services financiers, le MRCC 3 est un changement bienvenu et ardemment souhaité. « On sait que les institutions financières travaillent bénévolement, dit-il avec ironie, que leurs services ne coûtent rien, alors que les frais de leurs fonds sont aussi élevés que ceux de tout le monde. Le MRCC 3 installe un level playing field, les mêmes règles pour tous, ce qu’on demandait depuis longtemps. »

L’entrepreneur constate avec plaisir que, désormais, le client qui fait affaire avec une institution financière « va se rendre compte que ses fonds d’investissement ne sont pas gratuits », souligne-t-il.

Les conseillers de MICA ne manqueront pas de se réjouir aussi, juge Gino Savard. « Le plus choquant pour eux, c’était l’impression qu’ils avaient de ne pas se battre à armes égales avec les représentants des institutions financières. Et pour les clients, les choses auront désormais le mérite d’être claires. C’est bon pour la transparence, pour les investisseurs et pour l’égalité avec les banques. »

Gino Savard salue aussi l’harmonisation avec le secteur de l’assurance qu’introduit le MRCC 3 en abolissant les frais de sortie. Car ceux-ci « pouvaient introduire un arbitrage qui n’était pas à l’avantage du client ».

Conséquences malheureuses

Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), salue également l’avènement du MRCC 3 et le nivellement du terrain qu’il introduit entre firmes indépendantes et institutions financières. Son association dénonçait cette inégalité depuis déjà un bon moment.

Cependant, tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il craint que la divulgation accrue des frais concentre davantage l’attention des consommateurs sur ce seul aspect des fonds d’investissement. « Je crains qu’on se retrouve avec de plus en plus de fonds indiciels et de fonds négociés en Bourse dans les portefeuilles, et que ça entraîne une uniformisation des choses. On se retrouverait ainsi avec davantage de produits semblables. Quand vous mettez tout l’accent sur les frais, ça risque de déplacer le marché vers des produits moins distinctifs, qui se ressemblent de plus en plus, dans le but d’épargner des frais. Je ne sais pas si ça va vraiment aider les consommateurs. »

Pour Gino Savard, le « grand négatif » de la réforme tient à « l’oubli des petits investisseurs ». L’abolition des frais de sortie du côté des fonds communs et maintenant des fonds distincts empêchera un conseiller débutant d’offrir des services à de plus petits clients. Il craint à présent que le régulateur abolisse aussi les formules de frais récupérés (charge-back) inhérentes aux fonds distincts. « Ce serait un non-sens total et ça saborderait définitivement les petits clients », lance-t-il.

Tout cela doit survenir à l’intérieur d’un délai de 18 mois, un échéancier qui, au premier abord, ne traumatise personne. « Ça nous laisse amplement le temps de faire les modifications à nos systèmes », affirme Gino Savard. Du côté des assureurs, Lyne Duhaime préfère ne pas se prononcer, mais personne ne semble paniquer devant le délai proposé. « On ne peut pas dire à ce stade-ci, nuance-t-elle. On est en train de regarder tout ça. »