Crédit: Louis-Charles Dumais

Wealthica est une application qui permet aux conseillers et aux investisseurs d’avoir une vue d’ensemble sur leurs placements.

La firme de technologie financière (fintech) montréalaise Technologie financière Wealthica se présente comme le plus grand agrégateur de données au Canada en termes de nombre d’institutions financières prises en charge et le seul à avoir acquis une expertise dans l’agrégation de comptes de placements au Canada.

Sa technologie permet à ses utilisateurs à la fois d’extraire et de sauvegarder au quotidien la liste et la valeur de comptes, titres et transactions effectués ou détenus auprès de leurs institutions financières, et d’importer des données provenant de plus de 140 institutions financières et portails d’investissements canadiens.

L’application compte aujourd’hui plus de 25 000 utilisateurs, principalement des investisseurs autonomes inscrits à la version gratuite, mais également des conseillers indépendants et des bureaux de gestion de patrimoine familial (family office) qui sont abonnés à la version en marque blanche.

La plateforme fait le suivi de plus de 11 G$ en actif à la fin de février 2021, contre 5 G$ à la fin de 2019, et 10 G$ à la fin de 2020. La fintech emploie plus d’une douzaine de personnes, principalement à Montréal, mais aussi à Toronto, en Europe et en Asie.

C’est autour d’un café, en février 2014, que l’idée de lancer l’application est née.

«Éric Chouinard, Martin Leclair et moi avions le même problème : nous avions des placements dans plusieurs institutions, et il n’y avait aucun moyen d’avoir une vue d’ensemble de la situation», raconte Simon Boulet, le chef de la direction de Technologie financière Wealthica.

L’absence de solution adéquate les convainc de lancer Wealthica. La version initiale propose aux investisseurs un tableau de bord offrant une vision consolidée de leurs différents comptes de placement. Rapidement, l’application se bonifie.

On peut ainsi y consulter l’ensemble de son patrimoine, que ce soit les comptes d’opération ou d’épargne réguliers, l’hypothèque, les placements privés, et même la valeur des éléments d’une collection. Les données sont collectées auprès des institutions financières et mises à jour quotidiennement. Wealthica est la seule fintech au Canada à être complètement intégrée verticalement, affirme Simon Boulet. Ainsi, la firme a développé ses propres moteurs d’agrégation de données. À l’image d’une grande entreprise pétrolière comme Suncor Énergie, elle effectue à la fois l’extraction de la donnée financière brute, son raffinage, sa transformation et son enrichissement, de manière à pouvoir être adéquatement utilisée, illustre-t-il.

Simon Boulet évoque Flinks, une autre fintech montréalaise qui a aussi développé des API (interface de programmation d’application) et des outils de données permettant à ses clients de connecter, d’enrichir et d’utiliser les données de leurs propres utilisateurs pour alimenter leurs applications. Or, celle-ci est surtout active dans l’extraction et la transformation de données, et n’est donc pas entièrement intégrée verticalement, explique-t-il. «Flinks a aussi développé son propre moteur d’agrégation, et la firme est très forte en ce qui concerne le secteur bancaire, alors que nous le sommes dans le secteur du placement. C’est pourquoi nous avons signé un partenariat avec elle, qui lui permet de revendre l’agrégation de données de placement de Wealthica sous sa marque.»

À l’instar de Suncor, qui détient Petro-Canada et distribue ainsi au grand public, Wealthica possède son tableau de bord afin de servir les utilisateurs, poursuit Simon Boulet.

D’autres fintechs utilisent également le moteur d’agrégation de données de Wealthica pour leurs propres logiciels, indique-t-il. C’est le cas de Hardbacon, qui offre des comparateurs de produits financiers, et qui est notamment offerte aux utilisateurs du service de courtage de Desjardins.

«C’est cette intégration verticale qui nous permet d’offrir un tableau de bord de grande qualité et de nous distinguer», affirme-t-il.

Wealthica se différencie également par sa plateforme ouverte, ajoute Simon Boulet. Un développeur indépendant peut donc s’y greffer et offrir des fonctionnalités. C’est le cas de Wealthscope, de Toronto, qui propose un outil d’analyse de portefeuille qui s’intègre à Wealthica. Equisoft permet, pour sa part, par l’intermédiaire de l’outil Equisoft/analyze pour conseillers, l’intégration d’institutions financières et de conseillers à Wealthica.

Passion de développer

Natif de Lévis, Simon Boulet a grandi sur la Rive-Sud de Montréal, dans une famille «très ouverte»à la technologie.

S’il estime que son père lui a apporté son côté entrepreneurial, il attribue à sa mère son intérêt pour la programmation. Alors qu’elle travaillait dans le secteur des assurances chez Desjardins, elle s’est réorientée afin de devenir programmeur Cobol.

«Le soir et la fin de semaine, je prenais ses livres et je faisais ses travaux. À 12 ans, je savais déjà programmer des sites web», raconte Simon Boulet.

Il raconte avoir lancé son premier site web alors qu’il étudiait au secondaire. Une activité qui lui a rapporté «de bons revenus publicitaires. Alors que j’étais toujours sur les bancs de l’école, je recevais chaque semaine des chèques de plusieurs milliers de dollars américains. Cela a duré quelques mois, puis la bulle Internet a éclaté», relate-t-il.

Tout en poursuivant ses études, Simon Boulet a enchaîné différentes activités commerciales, parmi lesquelles l’opération d’une firme d’hébergement de sites web en 2002. Puis, en 2004, il est embauché par iWeb Technologies, une importante société d’hébergement web. «C’était mon premier véritable emploi, et le seul que j’aurai eu, en réalité», lance-t-il en riant.

C’est néanmoins là qu’il fait la connaissance d’Éric Chouinard et de Martin Leclair, les fondateurs d’iWeb, avec qui il développera Wealthica par la suite.

Il qualifie de «très particulier» son parcours auprès d’iWeb. Il quitte en effet l’entreprise deux ans après son embauche afin de se relancer en affaires, mais iWeb lui fait de nouveau signe en 2009 et acquiert son entreprise. En 2011, alors qu’elle est inscrite en Bourse, iWeb est privatisée et Simon Boulet quitte une nouvelle fois l’aventure. En 2013, iWeb Technologies est finalement acquise par la société américaine Internap Corporation.

Après avoir obtenu un DEC en informatique au Collège de Maisonneuve en 2004, celui qui se décrit comme un autodidacte termine un certificat en informatique appliquée à l’Université de Montréal en 2009, puis obtient en 2012 un Diplôme d’études supérieures spécialisées de 2e cycle en technologies de l’information à l’Université de Sherbrooke.

«J’ai toujours été curieux d’apprendre de nouvelles choses et cette curiosité-là m’a amené à avoir une compréhension très large de l’informatique, de l’Internet et des réseaux, et cela nous aide beaucoup chez Wealthica», indique-t-il.

Son intérêt dans l’aventure a d’ailleurs toujours principalement concerné le développement de l’application. «Je suis un gars technique, tandis que Martin Leclerc est très actif en matière de relations avec les utilisateurs. Quant à Éric Chouinard, s’il est moins présent aujourd’hui, il l’a beaucoup été au moment de l’idéation et demeure pleinement impliqué à titre de conseiller.»

C’est le besoin d’ajouter une ressource possédant une expérience significative du domaine financier qui mène Éric Lemieux à se joindre à l’équipe de direction de Wealthica en janvier 2020. L’ex-directeur général de Finance Montréal et ex-vice-président, gestion des avoirs, chez Desjardins, est un utilisateur convaincu de l’application depuis l’automne 2016, lorsqu’il a assisté à sa présentation par Simon Boulet dans le cadre d’un concours de pitch du Forum Fintech.

«L’application correspondait à un besoin que j’avais cerné il y a déjà quelques années lorsque j’étais chez Desjardins et que l’on mettait en valeur une approche globale pour offrir de meilleurs conseils», explique Éric Lemieux.

Simon Boulet estime que la force de l’équipe de direction de Wealthica réside dans sa complémentarité et sa vision commune de l’entrepreneuriat. «Nous ne sommes pas à la recherche d’une croissance qui nous mènera à lever des millions de dollars et à engager 45 personnes.»

Sa participation au concours de pitch du Forum Fintech ne visait d’ailleurs pas à franchir une étape de financement. «Nous n’avons jamais eu besoin de pitcher devant des investisseurs, car le capital de Wealthica est fermé et nous avons toujours eu la chance de pouvoir nous financer nous-mêmes.»

L’objectif consistait à faire connaître Wealthica et Simon Boulet considère comme un point marquant cet événement qui l’a pourtant complètement sorti de sa zone de confort. «On grandit à travers nos faiblesses. Je suis assez introverti et gêné, et me retrouver sur une scène devant peut-être 700 personnes était gênant, mais j’en suis très fier.»

Wealthica n’a remporté aucun prix ce jour-là, mais a plus que doublé sa base d’utilisateurs et a obtenu beaucoup de visibilité.

Regard tourné vers les États-Unis

La crise sanitaire des derniers mois a également marqué le parcours de la fintech. «Tout s’est d’abord mis sur pause», dit-il. Wealthica avait lancé en 2019 son tableau de bord en marque blanche destiné aux professionnels de l’industrie, et la majorité des clients ont alors choisi de remettre leurs projets.

«Ce fut une surprise, mais les soubresauts de la Bourse ont amené plusieurs particuliers à s’intéresser à leurs placements et notre volet grand public a connu une croissance exceptionnelle», indique Simon Boulet.

Depuis la fin de 2020, la signature d’ententes pour la version en marque blanche a graduellement repris.

La situation a aussi permis aux équipes de développement de travailler sur une mise à jour de l’application, lancée au début de l’année 2021.

Wealthica prépare son expansion aux États-Unis, alors qu’elle teste des connexions avec des institutions américaines et dresse des plans afin de construire une base d’utilisateurs.

Au Canada, la stratégie d’acquisition d’utilisateurs mise en œuvre a mené Wealthica à acheter le site d’informations boursières et financières Stockchase en 2017. Le but étant d’amener les utilisateurs de Stockchase à adopter Wealthica, puis à utiliser le contenu du site pour nourrir l’application. «Lorsque l’investisseur détient un titre, par exemple Facebook, et qu’un expert l’évoque, une alerte est générée», explique Simon Boulet.

Il confirme que la démarche a été assez rapidement profitable, au point de pouvoir «tirer des produits de Stockchase pour les réinvestir dans Wealthica».

Malgré les différences qui caractérisent les marchés canadien et américain, la stratégie d’implantation devrait être assez similaire, selon Simon Boulet : «Nous allons certainement nouer des partenariats avec des influenceurs et d’autres fintechs.»