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Les règles qui encadrent les courtiers en valeurs mobilières et en assurances restent floues et parfois difficiles à comprendre, clamaient l’hiver dernier des responsables de la conformité au sein de courtiers québécois à l’occasion du Pointage des régulateurs. À l’heure où les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) entament la création d’un organisme d’autoréglementation (OAR) qui regroupera les fonctions de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM), revenons sur le pour et le contre de la réglementation par principes qui caractérise le système québécois.

Ainsi, certains répondants au Pointage des régulateurs sont soumis à la fois au cadre de l’ACFM et à celui de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Le premier est davantage fondé sur les règles, et le second davantage sur les principes. Le premier est généralement plus clair, mais moins flexible, alors que le second est plus flou, mais plus souple et qu’il permet davantage de créativité et d’innovation.

Cette différence ainsi que la façon dont l’AMF gère ses échanges avec eux déplaisent à quelques répondants, selon ce qu’ils ont témoigné l’hiver dernier. « Les réponses sont vagues. Si nous avons une question, ils nous réfèrent au règlement. Il est impossible d’avoir une opinion. Quelques fois, les zones sont grises et nous devons faire l’action pour ensuite, peut-être, recevoir une poursuite », notait un répondant qui évolue à la fois dans le secteur de l’assurance et dans celui de l’épargne collective.

« La réglementation est trop volumineuse et complexe. Les instructions et lois n’ont pas de table des matières et il est très difficile d’y trouver des éléments de réponses à une question précise. On ne peut pas poser des questions à l’AMF sans que cette question fasse l’objet d’une vérification lors des contacts ultérieurs avec elle », mentionnait un sondé du secteur de l’épargne collective.

« Les lignes directrices sont parfois subjectives, vagues ou laissent place à l’interprétation. L’AMF nous communique par la suite, lors d’inspections ou de rapports d’autoévaluation, des directives plus précises. Elle devrait être plus claire dès le début sur ses attentes », jugeait un répondant du secteur de l’assurance.

Ce genre de critiques revient année après année dans le sondage de Finance et Investissement.

Les lignes directrices évitent d’être trop précises pour laisser la latitude nécessaire aux assujettis d’adapter les principes à leur réalité opérationnelle, répondait l’AMF à ce commentaire, en mars dernier: « Les lignes directrices s’appuient sur la base de principes et c’est le concept de proportionnalité qui s’applique – laissant donc la latitude nécessaire à l’institution d’adapter les attentes de l’Autorité en fonction de sa taille, de la nature de ses activités, du profil de risques, etc. »

Par ailleurs, l’AMF tient aussi régulièrement des séances d’information avec l’industrie avant la publication des lignes directrices qui permettent d’expliquer les intentions du régulateur et de mieux cerner la direction qu’il a décidé de prendre.

En outre, lors d’inspections et de divers travaux de surveillance, l’AMF émet des recommandations et des précisions « fondées sur le contexte particulier d’une entreprise, lui permettant de s’ajuster et d’apporter les changements nécessaires afin de mieux répondre aux bonnes pratiques attendues par le régulateur ».

Maxime Gauthier, directeur général et chef de la conformité chez Mérici Services Financiers, a toujours vanté les forces de la réglementation par principes. « Il y en a qui aiment avoir des règles très prescriptives parce que c’est rassurant. Or, ça tue l’innovation et ça standardise tout le monde dans le mauvais sens du terme. L’approche par principes est importante pour permettre à différents modèles d’affaires d’exister. C’est à chacun de faire son interprétation des règles et à trouver différentes ressources pour y arriver », indique-t-il.

Il défend l’approche de l’AMF : « C’est facile de dire: « Ils ne répondent pas à nos questions ». Or, des questions, on peut en avoir à l’infini et, à un moment donné, ils vont frapper une limite, parce que c’est un cas d’application précis. Le job de l’AMF est de faire respecter la réglementation, pas de nous prendre par la main. »

Difficile, donc, de plaire à tous. À l’aube de la naissance d’un nouvel OAR, un mélange des deux approches est la solution, selon Carmen Crépin, ancienne vice-présidente pour le Québec de l’OCRCVM.

Les règles devraient adopter « de grands principes, tout en donnant des indications sur la façon de les moduler en fonction des différentes priorités », déclarait-elle en août.

Elle comprend ceux qui peinent à appliquer un principe vague, mais prévient des risques d’une approche prescriptive où les responsables de la conformité n’auraient qu’à cocher une liste de vérification.

« Une approche trop prescriptive n’est pas la solution, parce que les régulateurs, si le marché bouge vite, pourraient être en retard. Et une checklist n’aborde pas nécessairement les risques », note-t-elle. Selon elle, une surveillance basée sur les risques permet un dialogue entre le régulateur et l’industrie afin d’encadrer les plus criants.

« Quand on vient pour surveiller, ça demande une plus grande capacité d’appréciation de la situation, note Carmen Crépin. C’est pour cela que, lors de la fusion des deux OAR, ne perdons pas l’expertise du personnel des organisations. »

Maxime Gauthier préfère que le nouvel OAR ait une approche par principes, car celle-ci s’adapte aux divers modèles d’affaires et aux firmes de différentes tailles. « Seule une approche par principes permet à tous d’avoir un même corps réglementaire sans que ce corps fasse des perdants et des gagnants. »

« Un principe a la capacité de mieux vivre dans le temps, car on cherche à atteindre un but et non pas à dicter un chemin précis, ajoute-t-il. Avoir une approche prescriptive avec des règles très précises, c’est se condamner à les modifier constamment, ce qui n’est ni rapide ni efficace et qui oblige à sans cesse recommencer. » Un principe permet l’innovation, alors que la règle force à répéter un modèle prescrit et connu, note-t-il.

La réglementation par principes est celle de l’avenir, car elle offre l’agilité nécessaire à l’industrie pour s’adapter rapidement aux changements, comme elle l’a fait lors de la pandémie, d’après Paul Balthazard, ancien président du conseil de section du Québec de l’OCRCVM et vice-président et directeur régional, Québec, chez RBC Dominion valeurs mobilières.

« Si on adopte cette approche, il faut [que le régulateur] soit proche de son industrie. Il faut qu’il travaille dur à communiquer avec elle, et à l’éduquer, mais c’est la meilleure solution pour que l’industrie puisse s’adapter rapidement », indiquait-il en mars.