Homme d'affaire tenant une boule où sont représentés les piliers de l'assurance: automobile, immobilier, famille et argent.
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La pandémie de COVID-19, une volatilité des marchés sans précédent et des taux d’intérêt historiquement bas ont posé de nombreux défis au secteur mondial de l’assurance de personnes.

Les représentants en assurance, de leur côté, devront s’investir davantage sur le plan numérique afin de répondre à l’évolution des attentes des clients dans un environnement technologique et de distribution en mutation rapide.

Tandis que certaines compagnies d’assurance vie ont concentré leurs efforts sur l’amélioration des systèmes existants pour s’ajuster à la dynamique changeante de la clientèle et à la demande de produits et de services sur mesure, d’autres collaborent avec des entreprises technologiques innovatrices (c’est-à-dire des « insurtechs») ou en acquièrent, ce qui menace de bouleverser le statu quo.

Alors que les assureurs de personnes sont aux prises avec les défis posés par la dynamique changeante de ce secteur, un effondrement des marchés les a subitement pris de court.

Il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de la crise de la COVID-19, mais il est très probable qu’elle aura des incidences négatives sur le secteur de l’assurance vie, particulièrement du fait qu’elle s’éternise, dit Manoj Jethani, vice-président et analyste principal chez Moody’s Investor Services, à New York.

Dans un rapport daté de décembre 2019, Moody’s a évalué le secteur mondial de l’assurance comme stable quant à ses perspectives pour 2020 en se fondant sur les efforts des assureurs pour s’adapter à la faiblesse des taux d’intérêt, sur la solidité de leur capital réglementaire et sur leurs portefeuilles de placement relativement prudents. Selon le rapport, ces facteurs « compensent l’effet néfaste des bas taux sur la rentabilité et la solvabilité économique ».

Par contre, dans un rapport daté du 1er avril dernier, l’agence de notation a modifié cette perspective de stable à négative, en raison du « bouleversement économique sans précédent causé par la pandémie de coronavirus ». Toutefois, alors que Moody’s ne réévaluait que le secteur de l’assurance américain, Manoj Jethani soutient que cette prévision peut être appliquée au monde entier. « Le problème ne concerne pas seulement les États-Unis, il est de toute évidence mondial, dit-il. Une grande part d’incertitude émerge de toutes les directions. »

Selon Moody’s, un contexte prolongé de faibles taux d’intérêt réduira le revenu net d’intérêts des compagnies d’assurance de personnes et diminuera davantage les gains des produits sensibles aux taux d’intérêt, en affaiblissant la rentabilité du secteur. De plus, comme la majeure partie des actifs investis des assureurs se trouve dans les obligations de société, les dommages économiques causés par la COVID-19 combinés au choc de la baisse des prix du pétrole mettront le capital des assureurs à rude épreuve avec des baisses de notes des obligations et des défauts de paiement. Par conséquent, les agences de notation pour-raient baisser les notes des assureurs de personnes.

Par ailleurs, les reculs des marchés boursiers peuvent exiger un renforcement des réserves afin de respecter les obligations liées aux produits avec garantie, ce qui ajoute à la pression exercée.

Moody’s remarque que le secteur de l’assurance a commencé l’année en mettant l’accent de façon stratégique sur la gestion du risque et sur la forte suffisance du capital, ce qui le place en bonne position pour affronter la crise.

Chris Cornell, associé en audit au groupe Services financiers et leader national du groupe sectoriel Assurance chez KPMG, à Toronto, prévoit que « les assureurs vie et les réassureurs seront les plus durement touchés » par les événements actuels. « On finira par avoir une augmentation des réclamations à un moment où la volatilité des marchés financiers a vraiment un impact sur les assureurs », dit-il.

En ce qui concerne la faiblesse des taux d’intérêt et la volatilité, Chris Cornell soutient que « bon nombre d’assureurs » ont réagi à une conjoncture identique pendant la crise financière de 2008-2009. Maintenant, « leur capitalisation est supérieure et ils sont en meilleure position pour traverser la situation actuelle des marchés. Cela étant dit, ceci aura malgré tout une incidence significative sur leurs résultats. »

Rowena Chan, présidente et vice-présidente principale, Distribution Financière Sun Life (Canada), à Toronto, prévoit également des défis.

« Les perturbations économiques, comme celle que nous traversons actuellement, peuvent mener à des ralentissements temporaires de la demande, car les clients revoient leurs priorités quant à l’utilisation de leur revenu disponible, dit-elle. Alors que nous ignorons encore les effets secondaires de la COVID-19, nous pourrions nous attendre à ce que le ralentissement de la croissance économique engendre des rendements de l’investisse-ment plus bas et plus difficiles dans le secteur mondial de [l’assurance] vie et maladie. »

Néanmoins, ajoute-t-elle, le secteur est bien positionné : « Le secteur [de l’assurance] a évolué dans un contexte de faibles taux d’intérêt pendant de nombreuses années, et alors que certains produits pourraient devenir moins attirants, les assureurs ont historiquement adapté les produits en conséquence. »

En outre, selon Rowena Chan, la pandémie « pourrait mener les gens à rechercher davantage de couverture en vie et en maladie – comme on l’a vu après [l’épidémie de] SRAS [de 2002] – ainsi qu’à soutenir leurs produits de gestion de patrimoine », comme les fonds distincts. Elle est d’avis que « le tournant vers la santé sera probablement plus prévalent, ce qui stimulera la croissance de l’innovation de nouveaux produits ainsi que l’utilisation d’outils [et] de solutions numériques, tels que les soins virtuels. »

Comme Rowena Chan, Aly Dhalla, président et chef de la direction, ainsi que cofondateur de Finaeo, une insurtech de Toronto, considère que les clients pourraient être davantage portés à souscrire de l’assurance. « La perception des consommateurs concernant le risque, la morbidité et la mortalité va être plus importante que jamais. Les conseillers se trouvent vraiment dans une position très forte pour amorcer une conversation sur l’assurance avec les clients. »

De son côté, Manoj Jethani n’anticipe pas de nouveau développement de produits pour l’instant, bien qu’il affirme qu’un jour ou l’autre les assureurs feront évoluer leur gamme de produits. « Il se passe tellement de choses maintenant que je ne vois pas nécessairement de lancement d’autres produits. [Toutefois,] vous constaterez certaine-ment que l’impact de la reconception de produits reflète le nouveau contexte économique, qui se répercutera sur la réévaluation de leurs prix », dit-il.

Concernant l’impact des nouvelles technologies, selon Chris Cornell, le modèle d’agence ou de conseiller a bien fonctionné pour les compagnies d’assurance ces dernières décennies, par conséquent, elles ne désorganiseront pas leur modèle au complet à cause de l’évolution des insurtechs. Il affirme que, pour améliorer des éléments de leur chaîne de valeur, les assureurs peuvent se tourner vers des insurtechs et de plus petites entreprises qui occupent des créneaux de marché, mais ils ne sous-traiteront pas la chaîne au complet et ne la restructureront pas totalement. « [Les assureurs] tenteront de transformer leurs organisations en sociétés plus numériques, agiles et bien informées, tout en maintenant ce qui a bien fonctionné auparavant », dit-il.

Aly Dhalla remarque que certains assureurs de personnes du Canada tardent à adopter le numérique. « En réalité, dans la prochaine décennie, chaque entreprise de services financiers [ne sera] plus juste une entreprise de services financiers ; ce sera une entreprise technologique qui est active dans les services financiers », affirme-t-il.Par ailleurs, dit-il, le secteur doit définir différemment son approche du risque en mettant à profit des outils comme la reconnaissance d’empreintes rétiniennes et l’utilisation de données pour mieux comprendre le risque individuel à différentes étapes de la vie. Cette réflexion est également nécessaire pour concevoir des polices personnalisées.

Aly Dhalla indique que la personnalisation individuelle pourrait ne pas se généraliser, mais il considère aussi que « nous nous rapprochons de la segmentation » des différents profils de risque lorsque nous établissons des poli-ces d’assurance. « Il existe d’excellentes occasions de créer une tarification variable, en temps réel et dynamique pour les clients en nous basant sur la façon dont ils vieillissent réellement par rapport à la façon dont nous prévoyons leur vieillissement en nous basant sur un groupe », ce qui, selon lui, constitue une autre variation de la personnalisation.Alors qu’« il y a quelques gagnants dans chaque catégorie dans le monde numérique pour l’instant », selon Aly Dhalla, les assureurs ont besoin de réaliser trois choses : tirer parti des données et mieux comprendre les risques, exploiter leur marque pour faire connaître leurs produits et services de la bonne façon, et automatiser le processus des réclamations.

Rowena Chan reconnaît que les clients « maîtrisent de plus en plus le numérique, ce qui exerce une pression sur le secteur pour qu’il évolue, par exemple en adoptant les agents conversationnels [chatbots], les demandes électro-niques et l’automatisation robotisée des processus ».

D’après Rowena Chan, le secteur de l’assurance continuera à évoluer afin de devenir plus personnalisé et proactif de façon à satisfaire les attentes du client et du conseiller. Elle cite entre autres exemples : une utilisation accrue des télé-entretiens, l’exploitation des analyses de données pour accélérer la prise de décision de souscription, et le développement d’applications mobiles qui permettent aux clients de suivre leurs placements, de soumettre des réclamations d’assurance et d’envoyer des documents en toute sécurité.

Lorsque les conseillers ont accès à des données plus robustes et plus significatives, dit Rowena Chan, ils sont en mesure de mieux répondre aux besoins des clients. À l’avenir, soutient-elle, « le rôle des conseillers en assurance restera très pertinent pour les clients, mais ils seront capables d’axer leurs efforts sur un conseil et une planification d’ensemble, et de collaborer avec les clients qui veulent un contact humain ou en ont besoin, en plus ou à la place d’une solution numérique ». Toutefois, les compagnies d’assurance devront travailler avec les conseillers pour leur enseigner à tirer profit des technologies numériques dans leur flux de travail.

Dans l’article « Perspectives sur l’assurance en 2020 », Deloitte note que « tout le monde n’innovera pas de la même façon, ni ne suivra des voies similaires. Toutefois, le changement dans ce secteur semble être un sentiment d’urgence croissant. Peu d’assureurs se demandent s’ils sont désorganisés par des forces à la fois internes et extérieures au secteur. À l’inverse, beaucoup commencent à se concentrer sur des réactions à long terme afin d’en éviter la non-pertinence. »

Alors que le secteur de l’assurance vie doit faire face aux difficultés du contexte actuel, Aly Dhalla affirme que « dans l’esprit de nombreux dirigeants, la chose la plus facile à réduire, ce sont les budgets consacrés à l’innovation, à la recherche et développement et à la technologie ». Selon lui, ce « serait une erreur » qui ferait reculer le secteur.