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Les conseillers liés à des courtiers multidisciplinaires et à des courtiers de plein exercice accordent de l’importance à la diversité pour assurer la croissance de l’industrie. Cependant, ils estiment que la compétence devrait être le principal critère à considérer, avant le genre et l’origine ethnique.

Pour une deuxième année consécutive, ­Finance et ­Investissement a invité les conseillers québécois sondés à l’occasion du ­Pointage des courtiers québécois et du ­Pointage des courtiers multidisciplinaires à évaluer les politiques de leur firme de courtage en matière de diversité, d’équité et d’inclusion en lui attribuant une note de 0 à 10. Constat : la moyenne québécoise pour ce critère cette année est plus élevée que celle de l’an dernier chez les courtiers multidisciplinaires : 9,0 en 2023 par rapport à 8,8 en 2022, et identique durant ces deux années chez les courtiers de plein exercice (9,1). Cela signifie que les conseillers semblent apprécier les efforts accomplis par leur firme dans ce domaine.

Par ailleurs, il s’agit d’un des critères des pointages pour lequel l’importance moyenne accordée a été la plus faible lors des deux dernières éditions. Les répondants ont accordé une importance moyenne de 8,1 en 2023 comparativement à 8,2 en 2022 chez les courtiers multidisciplinaires et de 8,2 par rapport à 8,4 l’an dernier chez les courtiers de plein exercice. L’écart entre l’importance et la performance des firmes pour ce critère indique qu’elles continuent à dépasser les attentes de leurs représentants sur le plan de la diversité.

Malgré des progrès, le ­portrait-robot du conseiller moyen n’évolue pas assez rapidement, de l’avis de certains. Le secteur reste majoritairement représenté par des hommes caucasiens dans la quarantaine ou la cinquantaine. Si les femmes effectuent des percées et deviennent petit à petit responsables de blocs d’affaires, elles restent souvent cantonnées dans des rôles d’adjointes (avec ou sans permis) ou d’attachées au service à la clientèle des conseillers.

« ­La population des conseillers en placement n’est pas très diversifiée. On est encore loin d’avoir plus de femmes et de minorités », dit une conseillère en placement. Un conseiller juge qu’il est difficile d’exercer la profession pour les femmes et souhaiterait que sa firme leur facilite la tâche.

Malgré tout, plusieurs conseillers soulignent les efforts de leur firme pour favoriser la diversité. « ­Il y a plus de femmes que d’hommes qui travaillent ici, ce qui est plutôt bien », mentionne un représentant d’Investia. « ­Ils communiquent l’importance qu’ils y accordent », note un sondé d’IG ­Gestion de patrimoine à propos de ses patrons. « ­Tout le monde est égal et peut occuper n’importe quel poste », observe un répondant de ­Groupe ­Financier ­PEAK.

Un segment de conseillers avouent ignorer ce que fait concrètement leur firme pour la diversité, surtout chez les courtiers où les conseillers sont considérés comme des entrepreneurs, ce qui laisse entendre des efforts de communication nécessaires.

En revanche, une tendance forte se dessine chez les répondants, soit que la compétence du personnel devrait l’emporter sur toute autre considération pour assurer la croissance des affaires. « C’est la réussite qui compte avant tout », opine un conseiller de ­SFL ­Gestion de patrimoine. « C’est presque ridicule de vouloir absolument avoir un nombre x ou y de femmes, de minorités, de personnes handicapées. La vraie question devrait uniquement être ­celle-ci : cette personne contribuera-t-elle à la croissance de l’entreprise ? » ajoute un représentant.

Un répondant, qui se considère ­lui-même comme faisant partie d’une minorité, regrette que la firme s’astreigne à des quotas, ce qui l’amène à embaucher selon lui « des gens non qualifiés ». Un autre représentant est d’avis que « le produit intérieur brut diminuera si le mérite n’est pas au centre des nominations ».

Par ailleurs, le sujet de la diversité en irrite plus d’un. Certains répondants estiment que leur courtier en fait beaucoup à cet égard. « C’est très poussé (trop ?). C’est omniprésent comme discours ! » estime un conseiller. Un autre trouve qu’il s’agit d’une « question à la mode » qui le concerne peu. « ­Ils sont fatigants avec ça ! » dit un répondant, qui compare les efforts de diversité de l’institution à du « marketing ».

Plusieurs saluent les efforts accomplis. « ­On est une famille. Les gens viennent de tous les milieux et de toutes les religions », mentionne un représentant de ­BMO ­Nesbitt ­Burns. Un employé de ­Sun ­Life rapporte que les conseillers se rencontrent une fois par mois pour des réunions portant sur la diversité, par exemple les communautés grecque ou ­LGBTQ+. « ­Nous nous réunissons et faisons des activités de formation de l’esprit d’équipe. Nous faisons des ­repas-partage et tout le monde se respecte », ­dit-il.

Les dents grincent chez certains conseillers francophones, qui déplorent de ne pas être inclus dans la définition de groupe minoritaire. « ­Les ­Québécois, on se sent en minorité », écrit un conseiller. « C’est une banque pour les ­Anglais par les ­Anglais », signale un conseiller de ­Gestion de patrimoine ­TD. La minorité francophone ne se sent pas suffisamment prise en compte dans les programmes de diversité des firmes et juge que ces dernières ont tendance à ignorer leurs préoccupations. (Lire l’article ­« En français svp ! »).

La diversité a beau avoir évolué au cours des 15 à 20 dernières années, « l’industrie financière où l’homme blanc est surreprésenté correspond toujours à une réalité », dit ­Jean ­Morissette, consultant en gestion de patrimoine. Cela démontre selon lui que « l’évolution des mentalités n’est pas encore terminée, avec d’anciens types de dirigeants qui se préoccupent peu de ces questions ». Il note que les choses changent plus rapidement au sein des grandes institutions, et qu’on se rapproche du point de bascule chez les indépendants.

Le consultant croit que le besoin de relève dans l’industrie accélèrera les changements au cours des prochaines années. « ­Toute une génération de conseillers s’apprête à partir à la retraite, ce qui crée beaucoup d’opportunités pour accueillir une relève différente ». Le fait qu’il y ait moins d’acheteurs que de vendeurs pour reprendre les portefeuilles amènera aussi les mentalités à évoluer.

L’expert constate que la problématique de la diversité est moins présente dans la fonction conseil, « où l’on est jugé plutôt selon le volume de l’actif sous gestion », que dans les fonctions de soutien. L’industrie doit donc inclure davantage les adjoints et les conseillers qui sont confinés dans des tâches administratives, telles que les transferts de comptes, et inciter le personnel de soutien à avoir des certifications professionnelles et des cours en valeurs mobilières, au même titre que les conseillers, afin qu’ils puissent bâtir leur propre clientèle. Il recommande également d’introduire plus de diversité dans les services chargés du recrutement, qui sont responsables de la composition des effectifs.

Gare au biais de la compétence

Pour que la culture de la diversité évolue plus rapidement dans les entreprises, le signal doit partir de la haute direction, afin de battre en brèche les biais qui empêchent de valoriser certaines expériences issues de la diversité, souligne ­Sema ­Burney, consultante en diversité, équité et inclusion, et présidente de ­Burney ­Conseil. Le biais de la compétence en fait partie, car il est influencé par des préjugés inconscients, ­dit-elle. « ­On met beaucoup d’accent sur les résultats scolaires et on ne tient pas compte des obstacles auxquels les personnes minoritaires peuvent être confrontées sur leur parcours, comme le milieu ­socio-économique. »

Pour mieux accueillir la diversité, les entreprises doivent commencer par repérer les écarts qui existent entre les groupes d’employés et cerner leurs sources, indique ­Sema ­Burney. « ­Des biais peuvent être présents dans la gestion de la formation, la promotion de carrière ou encore l’embauche », illustre l’experte.

Les firmes peuvent également élargir leurs bassins d’embauche en explorant des secteurs non traditionnels. Elles peuvent valoriser des expériences qui ne sont pas directement reliées à des compétences techniques, mais plutôt à des aptitudes comportementales, comme la capacité à s’adapter aux changements.

La spécialiste suggère de réduire la liste des compétences requises pour un poste affiché. « ­Si la liste est trop longue, les femmes et les minorités visibles ont moins tendance à postuler. On peut également mettre sur pied de petits groupes de ressources internes consacrés aux minorités afin qu’elles échangent sur leurs défis et les communiquent à la direction.

L’essentiel est de ne pas vouloir aller trop vite, prévient Sema ­Burney, sinon on risque de verser dans le « diversity washing ». Le phénomène consiste à prétendre prendre en considération les enjeux de diversité sans mettre en place de véritables transformations, ce qui est contreproductif face au changement recherché.

La carence en diversité dans l’industrie a pour conséquence que des pans entiers de clientèles ne sont pas servis par des gens avec qui ils ont des affinités, ajoute Jean ­Morissette. Il s’agit d’un défi important selon lui, car la diversité, peu importe sa composition, consiste à avoir dans ses équipes des professionnels aptes à développer des relations à long terme avec les clients, un facteur indispensable à la croissance du volume d’affaires.