homme qui signe un papier
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La loi sur la corruption d’agents publics étrangers (LCAPE) criminalise notamment le fait de donner, offrir ou convenir de donner ou d’offrir un avantage à un agent public étranger dans le but de conserver un avantage dans le cours de ses affaires.

Dans un jugement récent, la Cour supérieure de l’Ontario a statué que la connaissance subjective des fonctions gouvernementales du bénéficiaire d’un avantage était un élément essentiel de l’infraction de corruption d’agent public étranger.

Les faits

Entre 2005 et 2008, Nazir Karigar, Robert Barra et Shailesh Govindia ont convenu d’offrir des pots-de-vin totalisant près de 1 M$ US à des représentants d’Air India et au ministre de l’Aviation civile de l’Inde afin d’obtenir, pour le compte de Cryptometrics Canada Inc., un contrat important en matière de technologie de reconnaissance faciale. Au moment des événements, Nazir Karigar et Robert Barra étaient respectivement un consultant et un coprésident-directeur général de Cryptometrics, alors que Shailesh Govindia était le président-directeur général d’un agent britannique de Cryptometrics.

En 2013, la Cour supérieure de l’Ontario a déclaré Nazir Karigar coupable de corruption d’agents publics étrangers au terme du premier procès contesté de l’histoire de la LCAPE. Il a été condamné à 3 ans d’emprisonnement, soit 2 ans de moins que la peine maximale de 5 ans (la peine d’emprisonnement maximale a depuis été augmentée à 14 ans)1.

Dans un jugement maintenu par la Cour d’appel2, l’honorable juge Charles Hackland a conclu que l’infraction avait été commise même si la poursuite n’avait pas réussi à prouver que le pot-de-vin avait bel et bien été versé aux agents publics étrangers. Il était suffisant, selon la Cour, de prouver que Nazir Karigar avait convenu d’offrir le pot-de-vin. Ce faisant, la Cour supérieure de l’Ontario a confirmé que l’article 3 de la LCAPE ne requiert ni la preuve du paiement d’un pot-de-vin, ni la preuve de son acceptation par un agent public étranger, ni la preuve de sa réception par ce dernier. Tout au plus, la participation à une entente de payer un pot-de-vin est suffisante pour être déclaré coupable en vertu de la LCAPE3, que l’agent public étranger fasse ou non partie de cette entente.

Près de six ans plus tard, ce fut au tour de Robert Barra et Shailesh Govindia de se défendre face à des accusations portées sous la LCAPE sur la base d’une trame factuelle similaire. Ultimement, tous deux ont été déclarés coupable4.

et ont été condamnés à deux ans et demi d’emprisonnement5.

Robert Barra a néanmoins été acquitté d’un des chefs d’accusation en convainquant la Cour qu’il ignorait les fonctions gouvernementales de l’un des destinataires du pot-de-vin, soit le représentant d’Air India. En accueillant son moyen de défense, la Cour a réitéré qu’il appartenait à la Couronne de prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait connaissancedes faits qui constituent les éléments essentiels de l’infraction de corruption étrangère7, y compris le fait que le destinataire constitue un agent public étranger au sens de la loi.

Outre la saga Cryptometrics, la jurisprudence sous l’article 3 de la LCAPE en est encore à ses balbutiements. Les entreprises appelées à faire affaire à l’étranger devraient retenir des enseignements de la Cour supérieure de l’Ontario, car les tribunaux auront tendance à importer les principes déjà établis par rapport aux infractions de corruption locale lorsqu’ils seront appelés à interpréter la portée de la LCAPE et à l’appliquer.

En pratique, cela signifie qu’un représentant ne peut, dans le but d’obtenir ou de conserver un avantage, donner, offrir ou convenir de donner ou d’offrir un bénéfice (pot-de-vin) à une personne qu’il sait ou devrait savoir être un agent public étranger au sens de la LCAPE, et ce, en contrepartie d’un acte ou d’une omission dans le cadre de l’exécution de ses fonctions officielles.

  1. R. v. Karigar, 2014 ONSC 3093.
  2. R. v. Karigar, 2017 ONCA 576. La Cour suprême a également refusé d’entendre l’affaire : Nazir Karigar c. Sa Majesté la Reine, 2018 CanLII 12 951 (CSC).
  3. R. v. Karigar, 2013 ONSC 5199.
  4. R. v. Barra and Govindia, 2018 ONSC 57.
  5. R. v. Barra and Govindia, 2019 ONSC 1786.
  6. Cette connaissance peut également être imputée à l’accusé en démontrant qu’il a fait preuve d’aveuglement volontaire ou de grossière négligence.
  7. Voir par exemple R. c. Grondin, 1993 CanLII 4026 (QC CA).

* Julie-Martine Loranger, associée chez McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. Avec la collaboration de Gabrielle G. Maurer, avocate.

Le présent article ne constitue pas un avis juridique.