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Transférer son bloc d’affaires « est probablement l’élément le plus difficile dans la carrière de quelqu’un », affirmait Michael Rogers, vice-président, ventes et distribution, réseaux indépendants, chez Desjardins Sécurité financière (DSF), et dirigeant du réseau SFL, Partenaire de DSF, dans un entretien récent avec Finance et Investissement.

À l’exception des pratiques familiales où le parent intègre un ou des enfants au sein de la firme « et qui nous donnent souvent les plus belles histoires de relève qu’on puisse observer, les conseillers n’ont souvent aucune relève et s’y prennent beaucoup trop tard pour développer un plan optimal », estime le président d’Aurrea Signature, Christian Laroche.

Selon les données de notre sondage exclusif sur la Relève et la retraite des conseillers, 15,2 % des répondants âgés de plus de 55 ans indiquent avoir développé un plan de relève, mais sans être encore parvenu à trouver la personne adéquate pour l’y intégrer, et 14,3 % des répondants n’ont tout simplement aucun plan de relève.
La conséquence, c’est qu’à défaut de déployer un quelconque plan de relève, le conseiller verra son portefeuille décroître graduellement, selon Christian Laroche. Malgré tout, plusieurs de ces conseillers sont d’avis qu’il est préférable de conserver sa clientèle. Ils s’en occupent alors au minimum, sans faire de véritable développement.

« Est-ce que le profil de l’investisseur ou son analyse des besoins seront mis à jour ? Minimalement, afin de respecter les exigences règlementaires. Est-ce que c’est bon pour le consommateur, le client ? Non, ce n’est pas vraiment bon. Malheureusement, il s’agit d’une situation que l’on observe de plus en plus régulièrement », affirme-t-il.

Aurrea Signature ayant développé un service consacré à l’évaluation de blocs d’affaires aux fins de transfert, Christian Laroche témoigne : « Il y a peu de conseillers qui arrivent dans nos bureaux en affirmant être prêts à vendre, en disant : ‘‘ trouvez-moi un acheteur, je dépose ma licence à l’AMF, c’est fini’’. J’ai rarement vu ça. Ils veulent travailler avec une relève et c’est là que ça se complique ».

Selon lui, le conseiller senior n’est pas toujours prêt psychologiquement à passer le flambeau et beaucoup de cas de relève nécessitent plus d’un essai.

« Des fois, c’est comme dans un dessin animé : on voit sortir les jeunes par la fenêtre les uns après les autres, illustre-t-il. C’est une caricature, mais on observe souvent un important conflit de générations. Ils ont bâti leur pratique et c’est très difficile pour eux de voir arriver un jeune universitaire avec une approche et des outils qui sont parfois complètement différents des leurs ».

Se donner le temps

À l’instar de nombreux clients, beaucoup de conseillers ne se sont jamais sérieusement questionnés sur la manière dont ils allaient transiter vers la retraite constate Sara Gilbert, coach et fondatrice de Strategist(e).

Dans les dossiers de relève dont elle s’est occupée, il est arrivé qu’un conseiller vende son bloc d’affaires et se retire, mais c’est un modèle que l’on voit de moins en moins fréquemment, dit-elle.

« Ce que je vois beaucoup, c’est un conseiller qui va intégrer dans son équipe un associé, un conseiller junior pour vraiment le coacher afin de réussir une belle transition. Pourquoi ? Parce que les gens ont réalisé qu’il s’agit d’une business relationnelle ». De même, la manière de développer son plan de relève va certainement différer dans le cas d’un conseiller qui est indépendant par rapport à celui qui ne l’est pas.

Pour le conseiller qui évolue au sein d’un réseau, sa firme va offrir un certain soutien pour assurer une relève, ou simplement prendre le bloc d’affaires (book) en charge. « Elle va alors séparer le book, mais c’est comme une vente de feu et le conseiller n’obtient alors vraiment pas le maximum », mentionne Sara Gilbert.

Dans le cas du conseiller qui évolue dans le secteur bancaire, certaines règles internes propres à l’actif généré peuvent poser un défi ou influencer la nature du plan de relève. « Si tu génères 1,2 M$, tu peux avoir une adjointe, mais si tu veux intégrer un associé, ça ne marche plus », illustre-t-elle. Toutefois, les possibilités de trouver une personne intéressée à reprendre la pratique au sein du réseau peuvent s’avérer plus grandes, estime Sara Gilbert.

Quant au conseiller indépendant, il est souvent laissé à lui-même. « Certains cabinets apportent un soutien, mais ce n’est vraiment pas la majorité. Ça amène donc un défi de plus à une démarche qui est déjà complexe. Ce n’est pas pour rien que plusieurs conseillers se demandent : je vais la trouver où cette fameuse perle rare ? » Ces derniers peuvent se rabattre auprès d’un chasseur de têtes, indique-t-elle.

Quoi qu’il en soit, la démarche s’avère souvent très émotive pour un entrepreneur. « Il y a des conseillers qui ne sont pas prêts à vendre parce que leur pratique fait partie de leur identité ». Certains conseillers voient le temps avancer et songent effectivement à la retraite, mais ils ne veulent pas simplement rentrer chez eux, illustre Sara Gilbert.

Plutôt que de repousser constamment la planification de la relève, elle est d’avis qu’une transition tenant compte d’un rôle d’ambassadeur pourrait faciliter les choses. « Le conseiller peut alors s’occuper de certains clients et jouer un rôle en matière de développement d’affaires. Un arrangement qui peut également rassurer des clients et l’acheteur ».

Un long processus

Pour s’assurer d’une transition réussie, Sara Gilbert est d’avis qu’il ne faut pas improviser ni amorcer une démarche à la dernière minute. L’ensemble du processus de transfert pourrait même prendre jusqu’à sept ans, selon elle.

Ce laps de temps servira notamment à cibler, puis intéresser un éventuel associé. Quelqu’un qui est plus jeune ou qui a peut-être moins de succès en développement des affaires, mais dont le niveau de connaissances suggère de belles possibilités pour l’avenir.

Souvent, une mise à niveau de la pratique d’affaires est également nécessaire, ajoute Sara Gilbert. « Si tout est transactionnel, que les clients sont près de la retraite ou assez âgés, ça ne fait pas une business très intéressante à vendre. Il faut la rajeunir et en faire une version 2.0 ».

La démarche peut se faire plus rapidement et réussir quand même, mais « c’est beaucoup plus intense », explique-t-elle.
Elle estime qu’une démarche de relève, ça ne se limite pas au transfert d’un bloc d’affaires. C’est un processus qui peut amener beaucoup de changements pour les clients. Il est important de s’assurer des valeurs de l’éventuel associé ou repreneur, connaître sa philosophie d’investissement et déterminer si les clients vont être à l’aise avec cette réalité afin de s’assurer qu’ils ne vont pas tous quitter.

« On transfert toute la connaissance et la relation avec des individus. Il faut donc que la personne qui éventuellement va acheter le book puisse aussi avoir le temps de rencontrer ces gens et que ceux-ci s’habituent à lui », ajoute Sara Gilbert.