Des règles plus difficiles à appliquer

«Plusieurs conseillers trouvent les fréquentes mises à jour de la réglementation très lourdes et difficiles à suivre», témoigne Marylène Royer, avocate, directrice conformité, distribution, assurance de personnes et épargne (Est-du-Canada), opérations et performance chez Mouvement Desjardins.

Plusieurs représentants considèrent qu’ils ont trop de paperasse à remplir et à conserver, d’après Jean Carrier, vice-président, conformité chez Groupe Financier Peak : «Et chaque année, la documentation devient plus volumineuse».

La divulgation liée à l’application du Modèle de relation client conseiller – phase 2 (MRCC 2) illustre bien cet ajout de formulaires et de prise de notes, selon Jean Carrier.

«Notre rôle consiste à fournir les outils pour aider nos représentants à faire leur travail et à nous assurer qu’ils sont en règle, dit-il. Naturellement, s’il manque une information ou une signature sur un formulaire, celui-ci est rejeté et le représentant doit retourner auprès de son client. Ce genre de situation exaspère assurément le représentant, et probablement aussi le client.»

Jean Carrier pense que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) du Canada auraient peut-être intérêt à réévaluer certaines de leurs exigences.

Selon lui, plusieurs représentants considèrent que les régulateurs ne comprennent pas leur réalité.

Nombre de représentants ont le sentiment que les régulateurs surestiment la capacité et même la volonté du client d’obtenir toutes ces nouvelles informations, avance Jean Carrier.

Il croit d’ailleurs que plusieurs clients partagent l’avis selon lequel on leur fournit trop de documentation.

«Même les gens du domaine ont parfois de la difficulté à comprendre ces informations, alors pour un client, ça peut être difficile de saisir tout ce qui est rapporté», avance-t-il.

La différence entre la réglementation qui touche la distribution des fonds distincts et celle qui vise les fonds communs est perçue comme une iniquité par certains représentants, et nourrit cette impression de surabondance de normes à respecter et de formulaires à remplir, estime Jean Carrier : «Cette situation agace les firmes et les représentants».

Peak a mis en place des solutions technologiques pour atténuer cette lourdeur administrative. «Nous avons développé des programmes informatiques, et sans dévoiler de secrets, nous utilisons notamment la numérisation et différents canaux de transmission lorsque nous ne sommes pas tenus de privilégier le papier», évoque Jean Carrier.

Tirer profit des règles

Les exigences de divulgation bientôt requises dans le cadre du MRCC 2, notamment tous les frais qui découlent d’une transaction en valeurs mobilières ainsi qu’un sommaire des commissions, ont obligé les courtiers à bonifier l’information qui doit être transmise aux clients, mentionne Yvan Morin, vice-président, affaires juridiques et chef de la conformité chez Mica Services financiers.

«Une majorité de représentants, et ce n’est pas propre à Mica, avaient déjà intégré dans leur pratique d’affaires la divulgation des frais avant la transaction. Pour certains représentants, cette pratique était toutefois moins naturelle, et ils ont dû faire des efforts pour se conformer à la réglementation.»

Plusieurs représentants n’apprécient guère le fait qu’un relevé annuel détaillant les frais exigibles et les commissions versées soit transmis aux clients, avance Yvan Morin.

«Nous constatons de la réticence chez un certain nombre de représentants, alors qu’une partie seulement du MRCC 2 est jusqu’ici entrée en vigueur. Cela ne se reflète pas sur l’ensemble des conseillers, mais nous préparons le terrain en effectuant de la formation», mentionne-t-il.

Ce n’est pas facile pour tous les représentants d’expliquer à leurs clients ce que sont les frais de fonctionnement, les frais liés à l’exploitation, les frais de service, la marge à la vente ou à l’achat, ainsi que les formes de rémunération reçues par le conseiller, ce qui comprend les commissions de suivi et les commissions de recommandation de clients, cite-t-il en exemple.

À l’instar de Peak, Mica a mis au point des outils qui démystifient les structures de frais pour aider son réseau de représentants à accomplir cette tâche.

Du côté de l’assurance, l’ajout de réglementation liée à l’analyse de besoins financiers (ABF) ne s’est pas fait sans grincements de dents, mentionne Yvan Morin.

La réglementation a toujours exigé qu’une certaine forme d’ABF soit effectuée. Toutefois, les régulateurs ont posé de nouvelles balises qui bonifient les critères à remplir, ce qui demande davantage de discipline de la part des représentants, avance-t-il.

Les représentants semblent avoir généralement adhéré à cette pratique, particulièrement les plus jeunes d’entre eux, constate-t-il.

Marylène Royer partage cet avis. «L’analyse des besoins financiers est une exigence de la réglementation, mais en faisant l’ABF complète, vous pouvez détecter d’autres besoins. Il s’agit d’une belle façon de tirer profit des obligations réglementaires, de les appliquer à votre réalité et de favoriser le développement des affaires.»

Se battre à coups de plaintes

Interrogé sur le préavis de remplacement, Yvan Morin souligne que la difficulté rencontrée ne découle pas tant du fait que le nouveau formulaire est plus compliqué à remplir ou qu’il est devenu plus difficile de remplacer une police d’assurance, mais du fait que «depuis plusieurs années, certains intervenants de l’industrie ont développé comme pratique de déposer une plainte dès le moment où ils reçoivent un préavis de remplacement d’un concurrent».

Selon ce qu’il observe, cette pratique est devenue presque systématique chez certains de ses concurrents.

Les autorités savent que cette pratique existe. Elles compilent des statistiques et sont en mesure de reconnaître ceux que l’on pourrait appeler les «plaignants professionnels», dit Yvan Morin.

Il n’attribue d’ailleurs pas cet état de fait au régulateur. «Certaines entreprises déposent systématiquement des plaintes pour préavis de remplacement incomplets afin de décourager des représentants de venir chercher leurs clients.»

«Pendant ce temps, le représentant qui reçoit une plainte doit malgré tout y investir du temps et de l’énergie. Certains représentants se remettent même en question», avance-t-il.

Des dossiers toujours plus étoffés

D’après Yvan Morin, ce n’est pas d’hier que les représentants éprouvent de la difficulté avec la prise de notes et la tenue de leurs dossiers clients.

«Je suis chez Mica depuis 2007, et dès mon arrivée, j’ai observé certaines lacunes. Des dossiers étaient mal classés ou toute la documentation requise n’y était pas», dit-il

Il souligne que Mica a développé des outils et fournit de l’accompagnement aux conseillers afin d’aider ses représentants dans la prise de notes et la tenue de leurs dossiers.

Selon Yvan Morin, le travail d’éducation effectué auprès des représentants porte ses fruits. Les dossiers sont plus étoffés qu’ils ne l’étaient autrefois, et on y retrouve davantage de notes personnelles.

Pour Marylène Royer, la prise de notes est utile sur plusieurs plans. Elle sert notamment à montrer la convenance et le consentement du client, et la plupart des conseillers le comprennent bien.

«De bonnes notes, solides, prises au moment de la recommandation, c’est incontournable. Les notes doivent toutefois être davantage qu’un vague énoncé. Elles doivent être précises, et c’est peut-être ce que les conseillers trouvent difficile à concilier», mentionne-t-elle.

Pour Marylène Royer, la documentation est encore plus importante dans le cas de personnes vulnérables comme les personnes âgées, celles qui ont une connaissance limitée de l’industrie des services financiers ou qui s’engagent dans des stratégies ou des investissements plus risqués.

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