En effet, depuis le milieu de l’année 2013, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») et l’Agence du revenu du Québec (« Revenu Québec ») ont émis leurs premières interprétations techniques concernant la fiscalité du financement participatif alors que, de son côté, l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») a publié le 20 mars 2014 son Projet de Règlement 45-108 sur le financement participatif visant à encadrer et légaliser certaines formes de financement participatif en capital (equity crowdfunding).

Mais qu’est-ce que le financement participatif?

Selon l’AMF, le financement participatif consiste en ceci :

« […] un processus permettant à une personne ou à une organisation de solliciter de petits montants d’argent auprès d’un grand nombre de personnes, par le biais d’Internet ou des médias sociaux. Le but est de réaliser un projet particulier. En général, des portails sur Internet mettent en relation les personnes ou les organisations qui proposent les projets et les personnes intéressées à contribuer à leur financement. »

Il existe plusieurs formes de financement participatif. Actuellement, le financement participatif en capital, soit le financement participatif en vertu duquel des titres tels que des actions sont émis en échange d’une contribution, est interdit au Québec, faute d’obtenir une dispense de l’obligation de produire un prospectus. Cependant, d’autres formes de financement participatif telles que le financement participatif par don ou récompense sont autorisées. Dans le cas d’un financement participatif par don, une personne peut, par le biais d’un portail de financement participatif, solliciter des dons pour un projet spécifique (par exemple, soutenir les victimes de la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic).

Dans les cas de financement participatif par récompense, une personne pourrait recueillir des contributions et offrir des récompenses non pécuniaires en échange de celles-ci (par exemple, offrir une copie d’un album qui sera réalisé ou la version finale d’un produit innovateur en conception). Le financement participatif par don ou récompense a notamment servi à financer de nombreux projets artistiques, culturels, technologiques ou philanthropiques en aidant à ce que des événements culturels aient lieu, que des films, des albums ou des produits technologiques innovateurs voient le jour ou encore en soutenant des victimes d’une catastrophe naturelle.

Revue des interprétations techniques émises par les autorités fiscales

Depuis le mois d’août 2013, l’ARC a émis cinq interprétations techniques concernant la fiscalité du financement participatif. Pour sa part, Revenu Québec a été questionnée à l’occasion d’une lettre d’interprétation non encore publiée.

Dans la première interprétation de cette série (document 2013-0484941E5, « Crowdfunding », 16 août 2013), l’ARC s’est positionnée à l’égard des fonds reçus et des dépenses engagées en vertu d’un modèle de financement participatif de type « récompense ». Le scénario invoqué par le contribuable comprenait le financement d’un projet de production musicale ou de développement d’un produit destiné à la commercialisation. Dans cette première interprétation, l’ARC a émis une position claire en affirmant que, de façon générale, les fonds reçus dans le cadre d’activités de financement participatif sont imposables et que les dépenses engagées afin de réaliser de telles activités sont déductibles pourvu que les critères imposés par la Loi de l’impôt sur le revenu soient respectés.

Quelques mois plus tard, l’ARC a nuancé sa position initiale à l’occasion de la Table ronde sur la fiscalité fédérale du Congrès 2013 de l’APFF (question 23). En effet, devant des faits similaires à ceux ayant entraîné sa première prise de position, soit un modèle de financement participatif de type « récompense », l’ARC a adopté la position suivante :

« Selon les faits et circonstances d’une situation spécifique, l’ARC est d’avis que l’argent reçu dans le cadre d’un arrangement de crowdfunding pourrait être notamment un prêt, une contribution en capital, un don ou un revenu à inclure dans le calcul du revenu ou une combinaison de ceux-ci. […] Dans la situation que vous avez décrite dans l’énoncé de la question, l’ARC est à première vue d’avis que la somme de 25 $ pourrait constituer un revenu d’entreprise. Toutefois, l’ARC ne peut pas se prononcer de façon définitive sans un examen complet de tous les faits relatifs à cet arrangement. »

Par la suite, l’ARC a émis deux autres interprétations techniques consécutives (documents 2013-0508971E5, « Crowdfunding », 25 octobre 2013; 2013-0509101E5, « Crowdfunding », 29 octobre 2013). Dans celles-ci, l’ARC combine en quelque sorte ses deux positions précédentes. C’est-à-dire qu’elle établit à nouveau que les sommes reçues dans le cadre d’une entente de financement participatif pourraient constituer un prêt, une contribution en capital, un don ou un revenu à inclure dans le calcul du revenu ou une combinaison de ceux-ci, mais enchaîne en affirmant que les paiements volontaires reçus dans le cadre d’une entreprise sont considérés comme des recettes imposables.

L’ARC a émis une dernière interprétation technique en début d’année 2014 (document 2013-0507541E5, « Crowdfunding », 3 janvier 2014). Dans cette interprétation, l’ARC reprend à nouveau sa position selon laquelle « […] les fonds que reçoit un contribuable dans le cadre d’une entente de financement participatif pourraient notamment constituer un prêt, une contribution en capital, un don ou un revenu à être inclus dans le calcul du revenu ou une combinaison de ceux-ci », mais, contrairement à ses deux positions précédentes, ne fait aucune mention du fait que les paiements volontaires reçus dans le cadre d’une entreprise sont considérés comme des recettes imposables. Par ailleurs, l’ARC s’est aussi intéressée à la situation fiscale du contributeur en mentionnant que « les sommes versées par les contributeurs dans le cadre d’une entente de financement participatif pourraient constituer un prêt, une contribution au capital, un don ou une dépense de nature personnelle ».

Il nous semble que pour déterminer la fiscalité du contributeur, l’ARC a adopté une approche miroir de sa position à l’égard du bénéficiaire de l’entente de financement participatif. À cet égard, il nous semble que l’ARC a présumé que la « sortie de fonds » d’un contributeur est de nature personnelle lorsqu’elle ne constitue pas un prêt, une contribution au capital ou un don. Il y a lieu de se demander si l’ARC n’a pas notamment omis le scénario où une telle sortie de fonds pourrait constituer une dépense d’entreprise. Cette dernière interprétation fait aussi mention d’une situation où l’entreprise sollicitant les fonds agirait à titre de mandataire pour le compte d’un organisme de bienfaisance enregistré. L’ARC a reconnu qu’elle pourrait accepter une telle relation, sous réserve de certaines conditions.

Finalement, il a été porté à notre attention que Revenu Québec a récemment émis une lettre d’interprétation, non encore publiée au moment d’écrire ces lignes, traitant de la fiscalité du financement participatif. Par celle-ci, Revenu Québec mentionne, à l’égard d’une entente de financement participatif de type récompense, qu’« une contribution en argent volontaire reçue dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise constitue, de manière générale, un revenu imposable relatif à cette entreprise ». Revenu Québec souscrit donc à une partie des commentaires faits par l’ARC à l’égard des fonds reçus par un contribuable dans le cadre d’une entente de financement participatif.

Ensuite, Revenu Québec clarifie sa position quant à la fiscalité applicable au financement participatif en capital en mentionnant que « le contributeur qui investit dans l’entreprise d’un particulier ou dans une société en lui accordant un prêt ou en achetant ses actions (dans le cas d’une société) bénéficie du traitement fiscal habituel qui s’applique à ces deux formes d’investissement ». Inversement, « [l]e particulier en affaires ou la société qui bénéficie de l’investissement du contributeur doit considérer cet investissement comme une dette envers le contributeur ou comme du capital-actions émis en sa faveur, selon le cas ».

Finalement, cette interprétation traite d’une situation où l’entreprise sollicitant les fonds agirait à titre de mandataire pour le compte d’un organisme de bienfaisance enregistré. Revenu Québec a reconnu qu’elle accepterait une telle relation lorsqu’une véritable relation mandant-mandataire existe.

Problématique soulevée par ces interprétations techniques

D’un côté, ces interprétations apportent un certain nombre de réponses aux questions fiscales soulevées par le financement participatif.

Toutefois, en mentionnant à plusieurs reprises que « l’argent reçu dans le cadre d’un arrangement de crowdfunding pourrait être notamment un prêt, une contribution en capital, un don ou un revenu à être inclus dans le calcul du revenu ou une combinaison de ceux-ci », l’ARC n’apporte qu’une réponse partielle à la question de la qualification des sommes reçues par le bénéficiaire d’une entente de financement participatif. S’il est assez facile de conclure que la désignation de ces fonds à titre de prêt ou de contribution en capital fait référence au financement participatif en capital, il est moins facile de tracer une frontière entre ce qui doit être considéré comme un don ou un revenu dans le cadre d’une entente de financement participatif par don ou récompense.

Afin de nous assister dans cette distinction, l’ARC mentionne dans certaines de ses interprétations que les paiements volontaires reçus dans le cadre d’une entreprise constituent des recettes imposables. Elle rappelle aussi l’étendue de la définition d’entreprise au paragraphe 248(1) L.I.R. qui comprend les « activités de quelque genre que ce soit ». Il semble se dégager des interprétations de l’ARC que les sommes reçues en vertu d’une entente de financement participatif représenteront généralement un revenu pour le bénéficiaire de cette entente.

Relativement à cette interprétation, les contribuables sont en droit de se demander dans quelles circonstances les sommes reçues en vertu d’une entente de financement participatif pourraient représenter un don non imposable puisque ce scénario est évoqué par l’ARC elle-même. À cet égard, nous suggérons certaines pistes de solution.

Tout d’abord, une certaine jurisprudence semble soutenir la qualification à titre de don plutôt que de revenu dans un contexte caritatif, notamment en cas d’aide aux sinistrés (affaire Federal Farms Ltd. c. MRN, [1959] C.T.C. 98 (C. de l’É.)).

De façon plus générale, nous croyons qu’il convient de revenir au concept de source de revenu afin de faire la distinction entre ce qui sera considéré comme un don non imposable ou un revenu dans le cadre d’une entente de financement participatif. À cet égard, dans l’arrêt Stewart c. La Reine (2002 CSC 46), la Cour suprême du Canada a établi qu’afin de déterminer s’il existe une source de revenu, il faut déterminer si l’activité du contribuable est exercée en vue de réaliser un profit ou s’il s’agit d’une démarche personnelle. Sans aborder en détail les critères établis par la Cour suprême, nous croyons que certains projets de financement participatif pourraient s’apparenter davantage à une démarche personnelle et, donc, les recettes recueillies ne constitueraient pas une source de revenu. À titre d’exemple, certains portails de financement participatif sont maintenant utilisés par des athlètes afin de recueillir des fonds devant les soutenir dans leur parcours sportif. Or, l’ARC a déjà pris la position suivante : selon les circonstances, une commandite reçue par un athlète pourrait ne pas représenter une source de revenu pour celui-ci (document 2005-0109761I7, « Commandite reçue par une athlète », 28 mars 2006).

Et les taxes à la consommation?

Il convient de noter qu’aucune de ces interprétations ne traite des implications en taxes à la consommation pouvant découler des diverses formes de financement participatif. Aux fins de la TPS/TVH et TVQ, la distinction entre investissement, fourniture et don ainsi que la mise en place ou non d’une relation de mandataire avec le portail de financement participatif aura des impacts significatifs.

Compte tenu de ce qui précède, la question est plutôt de savoir si la contribution constitue la contrepartie d’une fourniture taxable. Dans l’affirmative (par exemple, lorsque le contributeur reçoit une copie de l’album à réaliser d’un artiste), la personne recevant ces contributions devra déterminer si elle exploite une entreprise au Canada/Québec et, le cas échéant, pourrait devoir s’inscrire aux registres de la TPS/TVH et de la TVQ afin de percevoir et remettre les taxes applicables à ces fournitures. Cette situation entraînera également l’obligation de déterminer la nature et le lieu de chacune de ces fournitures.

Du point de vue du contributeur, si ce dernier est également inscrit aux fins de la TPS/TVH et TVQ, il devra s’assurer d’obtenir les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur intrants/remboursement de taxe sur intrants.

Dans l’éventualité où la personne sollicitant des fonds utilisait le financement participatif dans le but d’émettre des actions (en présumant que l’AMF autorise une telle pratique), il y aurait lieu de se poser la question de savoir si la TPS/TVQ payées au portail dans ce contexte pourraient être récupérées puisque des règles particulières s’appliquent aux dépenses liées au capital-actions d’une personne.

Finalement, comme le mentionnent l’ARC et Revenu Québec dans leurs interprétations et puisque chaque projet de financement participatif est unique, les modalités de l’entente de financement participatif devront être scrupuleusement analysées afin de déterminer les impacts fiscaux applicables à chacune des parties concernées.

* Texte paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 19, numéro 3, du mois de juin 2014.

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), et a été écrit par Martin Gilbert, avocat.