Une femme et un homme qui regardent deux feuilles de papier et semblent comparer ce qu'il y a dessus.
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Au Québec, depuis septembre 2020, un conseiller ou un promoteur qui commercialise ou effectue la promotion d’une opération dont la forme et la substance s’apparentent de façon significative à une « opération déterminée » par le ministre doit divulguer cette opération au moyen du Formulaire TP-1079.CP dans le cas où celle-ci n’a pas nécessité de modification significative lors de sa mise en œuvre auprès de différents contribuables.

Cette obligation soulève la question de l’application du secret professionnel dans le contexte particulier d’une divulgation exigée des praticiens en raison d’opérations planifiées ou mises en place pour leurs clients. En effet, un tel professionnel a normalement l’obligation de préserver la confidentialité de l’information reçue de la part d’un client, ce qui semble à première vue entrer directement en contradiction avec la portée des renseignements requis par le Formulaire TP-1079.CP.

Dans le cadre du présent texte, nous discuterons de la nature de l’obligation de divulgation imposée aux conseillers et aux promoteurs québécois afin de déterminer s’il est possible de satisfaire à ces obligations dans le respect du secret professionnel. Nous fournirons par ailleurs quelques indices relativement à la manière d’y parvenir. Il convient de noter que le présent texte n’abordera pas l’obligation de divulgation qui est également imposée au contribuable qui réalise une opération désignée.

Obligation de divulgation applicable aux conseillers et aux promoteurs québécois

Le régime de divulgation obligatoire applicable aux conseillers et aux promoteurs en vertu de la Loi sur les impôts semble étonnamment large.

D’une part, la description des opérations déterminées (dont la liste complète est disponible sur le site Internet de Revenu Québec) englobe volontairement un large éventail d’opérations qui ne sont pas nécessairement considérées comme étant agressives par l’administration fiscale. En effet, il apparaît que certaines opérations couramment proposées et mises en place par les professionnels soient susceptibles d’être visées par les règles lorsqu’elles « s’apparentent de façon significative à la forme et à la substance des faits d’une opération déterminée par le ministre ».

Par exemple, le simple fait, pour un particulier, de disposer d’actions admissibles de petite entreprise en réclamant la déduction pour gains en capital et en investissant par la suite le produit de disposition en question dans une société avec laquelle ce particulier a un lien de dépendance constituera une opération désignée, puisque la forme et la substance de ces faits s’apparentent de façon significative à l’opération déterminée par le ministre relative à la « multiplication de la déduction pour gains en capital » et qu’aucune opération exclue n’est applicable (du moins, pour le moment).

D’autre part, notons que le terme « conseiller » est défini comme comprenant notamment « une personne […] qui fournit de l’aide, de l’assistance ou des conseils relativement à la conception ou à la mise en œuvre [d’une] opération ». Considérant la portée très large de cette définition, la question pertinente reviendra généralement à déterminer à quel moment un tel conseiller « commercialise » l’opération visée. Cette question est beaucoup plus nébuleuse et nous devrions espérer davantage de précisions à ce sujet dans l’avenir (possiblement lors du panel sur les divulgations obligatoires du congrès annuel de l’APFF en novembre 2023). Toutefois, lors du congrès annuel de l’APFF tenu en 2021, Revenu Québec a semblé suggérer qu’un professionnel pourrait, en certaines circonstances, être considéré comme effectuant la commercialisation ou la promotion d’une opération auprès d’un contribuable lorsqu’il reproduit une structure déjà mise en place auprès d’un autre client par le passé.

Cela implique que bon nombre de conseillers fiscaux devront potentiellement divulguer une telle opération en produisant le Formulaire TP-1079.CP au plus tard le 60e jour suivant celui où il a commercialisé une opération désignée pour la première fois. Autrement, un tel professionnel s’expose à une pénalité égale à 100 % des honoraires reçus relativement à la mise en œuvre de l’opération, plus une pénalité additionnelle de 10 000 $ à laquelle s’ajoute une autre pénalité de 1 000 $ par jour de retard, jusqu’à concurrence de 100 000 $.

Pour le moment, aucune donnée officielle ne permet de juger de la quantité de divulgations qui ont été produites par des conseillers ou promoteurs québécois, mais les réactions quant à ces nouvelles obligations paraissent quelque peu divergentes en pratique. À cet égard, les professionnels bénéficieraient certainement de directives un peu plus claires de la part de Revenu Québec, notamment quant à l’application de la notion de « commercialisation » d’une opération désignée.

L’obligation de divulgation du conseiller ou du promoteur est une obligation générique

Dans le cadre du panel sur les règles de divulgations obligatoires tenu lors du Colloque sur l’administration fiscale de l’APFF en 2021, Revenu Québec indiquait que la divulgation du conseiller ou du promoteur ne vise pas à permettre à l’administration fiscale d’identifier les contribuables qui réalisent des planifications s’apparentant à une opération déterminée.

En fait, Revenu Québec devrait déjà obtenir cette information autrement, c’est-à-dire par la production du Formulaire TP-1079.OD par le(s) contribuable(s) ayant réalisé l’opération en question. Avec le Formulaire TP-1079.CP, Revenu Québec vise plutôt à mieux comprendre les types de planification dont les professionnels effectuent la commercialisation. L’atteinte de cet objectif permet notamment à l’administration fiscale de sonder le « marché » afin d’être en mesure de détecter plus facilement les planifications jugées à risque et de proposer des modifications législatives si cela est jugé nécessaire.

En conséquence, et comme Revenu Québec l’a rappelé à quelques reprises, l’obligation de divulgation du conseiller ou du promoteur est une obligation générique. Cela se concrétise par deux éléments pratiques fondamentaux.

Premièrement, une seule déclaration de renseignements doit être produite lors de la commercialisation, auprès de plusieurs contribuables, d’une opération s’apparentant à une opération déterminée. La même déclaration de renseignements est ainsi susceptible d’être valide pour tous les clients auprès desquels le professionnel a commercialisé ou effectué la promotion d’une opération qui n’a pas nécessité de modification significative lors de sa mise en œuvre.

Le fait d’effectuer une divulgation complète à l’égard de la série d’opérations visée permet donc de se décharger de devoir effectuer de nouveau une telle divulgation pour une série d’opérations qui ne comporte pas de « modification significative ». La difficulté réside évidemment dans le fait de déterminer ce qui constitue ou non une modification suffisante pour déclencher l’obligation de devoir effectuer une nouvelle divulgation. Il s’agit d’un autre élément pour lequel nous devrions espérer des précisions additionnelles de Revenu Québec dans l’avenir.

Ensuite, le fait que l’obligation du conseiller ou du promoteur soit générique implique qu’aucune information qui permettrait d’identifier un contribuable n’ait à être divulguée en produisant le Formulaire TP-1079.CP. Revenu Québec a confirmé que les conseillers et les promoteurs qui remplissent ce formulaire n’ont pas à indiquer l’identité ou le nom de leur client. En fait, il semble que ceux-ci n’aient pas à décrire ce qu’un client a fait exactement si cela implique la divulgation de détails susceptibles de permettre l’identification du contribuable en question.

En pratique, il sera indispensable de conserver en tête ces lignes directrices s’il s’avère que l’on doit remplir le Formulaire TP-1079.CP, afin de préserver le secret professionnel auquel est en droit de s’attendre un client. À cette fin, tout renseignement susceptible de permettre l’identification d’un tel client pourra être substitué par une hypothèse de travail.

Formulaire TP-1079.CP : comment favoriser le respect du secret professionnel?

Le cœur de la divulgation effectuée par un conseiller ou un promoteur réside dans la section 5 du Formulaire TP-1079.CP. Cette section nécessite de donner une description détaillée de tous les faits et de toutes les conséquences de la série d’opérations, y compris, notamment, les parties concernées (identité, rôle, obligations et responsabilités), les attributs fiscaux, les conséquences fiscales et les dispositions législatives appliquées et évitées à chacune des étapes.

Sachant que, de manière générale, le secret professionnel est susceptible de protéger toute information détenue par un professionnel relativement à un client, on pourrait croire à la lecture de ces éléments que les informations requises du conseiller ou du promoteur dans la section 5 du Formulaire TP-1079.CP entrent directement en contradiction avec la protection du secret professionnel.

Cependant, en conformité avec le caractère générique de l’obligation de divulgation du conseiller ou du promoteur, le formulaire offre la possibilité de remplir cette section en utilisant uniquement des hypothèses de travail. À titre illustratif, Revenu Québec nous offre l’exemple de l’hypothèse suivante au sein du formulaire :

« La société A est une société privée dont l’actionnaire est monsieur B, une personne physique. Celui-ci possède 100 actions ordinaires de cette société A, dont la juste valeur marchande est 1 000 $, le prix de base rajusté est 100 $ et le capital versé est 100 $. »

Afin de favoriser le respect du secret professionnel, il est donc évidemment souhaitable de remplir cette section en utilisant strictement de telles hypothèses de travail génériques. À cet égard, la principale exigence consiste à établir une situation décrivant fidèlement la série d’opérations visée de manière suffisamment précise pour permettre à l’administration fiscale de l’analyser et d’avoir une juste compréhension des conséquences qui en découlent. Lors du panel sur les règles de divulgations obligatoires de 2021, Revenu Québec a même indiqué qu’il acceptait que le conseiller ou le promoteur s’exprime en économie de taux d’imposition sans indiquer de montant si cela contribue à protéger son secret professionnel.

Nous sommes par ailleurs d’avis que certains éléments qui ne s’avèrent ni essentiels ni utiles à la description de l’opération visée par la divulgation pourront raisonnablement être omis. En effet, le caractère générique de la divulgation amène à conclure que ce qu’il faut divulguer n’est pas l’opération réalisée par un client en particulier. La description de la série d’opérations doit plutôt renvoyer à celle qui a été commercialisée auprès de plusieurs clients, sans modification significative. Il importe donc d’identifier les éléments essentiels faisant en sorte qu’une opération en est une qui s’apparente à une opération déterminée.

Il s’agit de demeurer générique afin d’englober les situations précises qui pourront être assimilées à la même opération (celles ne comportant pas de « modification significative ») tout en restant suffisamment précis pour décrire fidèlement l’opération et permettre à Revenu Québec d’en avoir une juste compréhension.

Par exemple, dans le cas d’une divulgation effectuée par un conseiller ou un promoteur relativement à une opération de « multiplication de la déduction pour gains en capital », il est raisonnable de croire que certaines transactions de purification qui auraient pu, à cette occasion, être proposées à un client en particulier ne constituent pas des étapes essentielles de la série d’opérations qui doit être divulguée et qu’une situation générique omettant ces éléments décrit néanmoins fidèlement et complètement celle-ci. Autrement dit, il est possible que cette partie de la série d’opérations soit propre à la situation d’un client et qu’elle ne soit pas pertinente dans le cadre de la divulgation générique que le conseiller ou le promoteur doit effectuer. À ce titre, nous croyons qu’elle pourrait raisonnablement être omise de la section 5 du Formulaire TP-1079.CP.

Le formulaire suggère par ailleurs de joindre un mémo décrivant les étapes de l’opération divulguée, des documents promotionnels relatifs à cette opération ainsi que tout autre document permettant de comprendre celle-ci. En pratique, il sera probablement prudent de ne pas fournir de tels documents créés pour un client précis afin d’éviter de divulguer tout renseignement qui pourrait être couvert par le secret professionnel.

En conséquence, il semble possible de remplir la section 5 du Formulaire TP-1079.CP dans son intégralité sans jamais identifier un client et sans nécessairement dévoiler exactement ce qu’un tel client a réalisé en termes d’opérations précises. Cette façon de remplir la déclaration de renseignements québécoise pourra ainsi généralement se faire dans le respect du secret professionnel applicable.

Conclusion

Bien qu’il s’agisse d’une tâche délicate, nous sommes d’avis qu’il est généralement possible pour un conseiller ou un promoteur de satisfaire à son obligation de divulgation au Québec tout en assurant le respect de son secret professionnel. Dans le présent texte, nous avons tenté de concevoir cette obligation de divulgation d’une manière qui rende possible la coexistence de celle-ci avec le secret professionnel applicable aux professionnels fiscaux québécois.

Il est intéressant de constater que l’analyse de la même question relativement aux nouvelles règles de divulgation fédérales découlant de l’adoption récente du Projet de loi C-47 risque d’entraîner une conclusion différente. En effet, le régime fédéral s’appliquant aux « opérations à déclarer » et aux « opérations à signaler » prévoit qu’un conseiller ou un promoteur doit produire une déclaration de renseignements portant spécifiquement sur une opération réalisée par un contribuable. Le fait qu’une telle obligation soit propre à la situation réelle d’un client risque d’entraîner des difficultés accrues quant à la protection du secret professionnel. Espérons que de futures précisions apporteront un éclairage nouveau sur la question et permettront d’assurer un juste équilibre entre la nécessité, pour l’administration fiscale, d’obtenir les informations visées par la divulgation obligatoire requise des conseillers ou promoteurs et l’importance de la protection du secret professionnel auquel est en droit de s’attendre un client.

Ce texte a été publié initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 28, no 3 (Automne 2023).

Par Hugues Gagnon, avocat, MBA, M. Fisc., Mallette s.e.n.c.r.l., Hugues.Gagnon@mallette.ca