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En effet, depuis plusieurs années, plusieurs courtiers ont lancé leurs propres autogérés ou exercé une promotion très active de ceux-ci auprès de leurs conseillers. Invoquant principalement des arguments de simplicité, le compte autogéré représentait, aux yeux de certains, un outil absolument formidable et gagnant pour tous.

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Officiellement, le compte autogéré permet de regrouper, sous un seul chapeau, l’ensemble des positions détenues par un client même si elles sont auprès de plusieurs manufacturiers de fonds. Au lieu d’avoir quatre ou cinq comptes au nom du client auprès d’autant de manufacturiers, il n’y a, aux yeux du client et du représentant, qu’un seul compte à gérer, lequel comprend des positions auprès de quatre ou cinq manufacturiers.

Ainsi, le client ne reçoit qu’un seul état de compte au lieu de plusieurs et le représentant n’a qu’un formulaire d’ouverture de compte à faire signer à son client, au lieu de plusieurs. Certaines formules de comptes autogérés permettraient même de centraliser l’émission des reçus fiscaux en certaines situations précises.

Ajoutons que le recours à un compte autogéré permet la perception d’honoraires à même le compte lorsque ce mode de rémunération est retenu par le client et son conseiller.

Jusque-là, avouons que c’est fantastique. Que du positif! On a un outil centralisé, simple et efficace qui profite à tous… en apparence. Car en creusant un peu, il est possible que ce ne soit pas aussi extraordinaire que ce qu’on peut en dire.

Le coût

Sans doute la conséquence la plus visible du recours à l’autogéré : le coût annuel qui doit être défrayé par le client. Ce coût varie selon les autogérés, les courtiers et le type de compte mais il existe.

C’est plutôt paradoxal au sein d’une industrie qui parle sans cesse de réductions de coûts et qui est poussée en ce sens par les régulateurs et les consommateurs depuis plusieurs années.

Paradoxal d’opter pour un tel mode de détention alors qu’un compte au nom du client n’engendre aucun coût direct pour ce dernier.

Si, pour un client aisé détenant plusieurs centaines de milliers de dollars en investissements, ce coût peut paraître marginal, il existe néanmoins. Il n’est juste plus imbriqué aux frais d’un produit financier.

À l’inverse, pour un client modeste, ce coût est proportionnellement plus élevé. En fait, plus le client est modeste, plus le coût est élevé et réduit son rendement net.

C’est là où le recours systématique aux comptes autogérés n’est plus paradoxal mais devient problématique. Par une politique d’entreprise, on augmente le coût de la détention pour le client alors qu’une option moins onéreuse existe : le compte au nom du client.

Le conflit d’intérêt

C’est l’autre dimension de cette pratique de pressions pour le recours aux comptes autogérés.

Quand un courtier impose que 75% des clients d’un représentant détiennent un compte autogéré sous peine de pénalités administratives imposées à ce représentant, il introduit un conflit d’intérêt important dans la pratique de son professionnel.

En somme, le représentant peut soit refiler la facture à ses clients, soit assumer personnellement un coût. Sans juger un choix ou l‘autre, contentons-nous de mentionner qu’un tel dilemme ne devrait même pas exister.

Voilà un autre paradoxe. Au moment où les ACVM consultent sur des réformes ciblées portant beaucoup sur l’endiguement et la gestion des conflits d’intérêts, voilà que celui-ci est porté au grand jour.

Mais ne nous leurrons pas. Bien que ce soit Investia qui fut le sujet de l’article de FI, il est connu que d’autres courtiers ont des politiques semblables. C’est donc un sujet d’industrie et non uniquement d’une entreprise.

D’où l’intérêt pour les régulateurs de s’y pencher.

Le conflit d’intérêt (bis)

Ajoutons-en une couche : et si le frais annuel du compte autogéré était remboursé au client par une compagnie manufacturière sœur du courtier en atteignant un solde minimum dans l’un des produits de cette compagnie manufacturière sœur?

J’exagère? Pas du tout. Cette pratique existe.

Avec cela, vient un ensemble d’autres questions qui sont parfaitement légitimes :

  • Les produits de cette compagnie sœur sont-ils choisis sur la base de leurs qualités intrinsèques (performance, volatilité, risque, prix, etc.) ou sur l’avantage qu’il procure au client et, indirectement, au représentant qui évite le frais administratif?
  • Comment les produits de cette compagnie sœur se comparent-ils à des équivalents chez la concurrence?
  • S’agit-il d’un conflit d’intérêt ou, comme certains le prétendent, d’une simple pratique d’affaire légitime : un rabais au client.

La liste aurait pu continuer mais vous avez saisi l’essentiel.

La cage dorée

C’est l’élément que personne, ou presque, ne voit. En effet, comme il est indirect et ne se manifeste que plus tard, la nature humaine a tôt fait de ne pas y porter attention.

Imaginons que vous êtes un représentant et que vous avez plus de 75% de vos clients qui ont un compte dans la structure d’autogéré maison de votre courtier.

Imaginons que vous n’êtes plus à l’aise chez ce courtier et souhaitez poursuivre votre cheminement professionnel chez un autre courtier.

Déjà, il n’y avait pas de transfert en bloc, ce qui constitue un obstacle majeur à la mobilité des professionnels et à la concurrence entre courtiers. Mais ça, c’est un autre sujet.

Maintenant, vous devez, en plus de transférer chacun de vos clients manuellement, leur demander d’acquitter (ou demander à votre nouveau courtier de le faire et, possiblement, de vous le facturer) un frais de fermeture et/ou de transfert de leur compte autogéré.

En somme, un changement de courtier pour un représentant n’est plus seulement une affaire de temps, d’énergie et de perte d’opportunité mais d’argent. De beaucoup d’argent.

Nous risquons donc de voir prospérer cette pratique déjà répandue du côté de l’OCRCVM : de gros chèques de transfert payés pour recruter.

Oh, en passant, soyez assurés que ces courtiers signant des chèques se réserveront une contrepartie pour ne pas y perdre au change. Le représentant y laissera donc une partie de sa liberté ou de son chèque de paie pour une période donnée.

Mettre une grenouille dans l’eau chaude

Je ne l’ai jamais fait moi-même (pas assez cruel pour ça) mais il semblerait que lorsqu’on tente de placer une grenouille dans un récipient d’eau bouillante, elle saute aussitôt à l’extérieur puisqu’elle perçoit la menace.

À l’inverse, si on la place dans un récipient d’eau tempérée et qu’on augmente la température graduellement, on finira par avoir une grenouille bien cuite.

Loin de moi de comparer un représentant à une grenouille. Mais si 75% devenait 100%? Et si le minimum de solde auprès de la compagnie sœur augmentait graduellement? Et si la pénalité mensuelle était indexée? Et si…

Il me semble qu’on a là d’excellentes questions pour certains courtiers mais aussi pour les régulateurs non?