Les drapeaux du Canada et des États-Unis côte à côte
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Rappelons la notion de domicile pour l’application de l’impôt successoral américain et de l’impôt sur les transferts intergénérationnels; la détention d’une carte de résident permanent (green card) est un élément à considérer pour déterminer si une personne est domiciliée aux États-Unis.

Évidemment, dans ce cas, plusieurs éléments doivent être examinés lors de la planification successorale du parent résident du Canada. Par exemple, il y a lieu de considérer l’application des règles américaines relatives aux controlled foreign corporations et aux passive foreign investment companies, et ce, lorsque la succession détient des actions d’une société privée canadienne. Cependant, outre les considérations relatives au patrimoine de la succession, il faut également s’intéresser aux impôts successoraux américains (U.S. estate tax) et aux impôts sur les transferts intergénérationnels (U.S. generation-skipping transfer tax) qui pourraient être applicables au décès des personnes américaines si les biens provenant du patrimoine de la succession sont détenus directement par eux et non pas par une fiducie américaine créée par testament.

Ainsi, dans un premier temps, le présent texte abordera les concepts d’impôt successoral américain et d’impôt sur les transferts intergénérationnels. Dans un deuxième temps, les éléments à examiner en vue de la création d’un dynasty trust, une fiducie américaine au bénéfice de personnes américaines, seront présentés. Enfin, le présent texte se penchera sur l’application de l’article 94 de la Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») à un dynasty trust.

L’impôt successoral américain et l’impôt sur les transferts intergénérationnels

De manière générale, lorsqu’un résident du Canada au sens de la législation fiscale canadienne décède et que ses biens ne sont pas transférés au conjoint survivant, ceux-ci sont réputés avoir été disposés à leur juste valeur marchande (« JVM »), et ce, en vertu du paragraphe 70(5) L.I.R. Or, des gains en capital peuvent être engendrés par le décès d’une personne résidente du Canada. Cependant, la législation fiscale américaine ne prévoit aucune disposition réputée des biens au décès de personnes américaines. Plutôt, un impôt spécial applicable au décès de personnes américaines basé sur la JVM des biens détenus à leur décès peut s’appliquer. Il s’agit de l’impôt successoral américain.

Depuis l’année 2018, les personnes américaines bénéficient d’une exemption au titre de l’impôt sur les dons et de l’impôt successoral américain d’un montant de 11,2 M$ US (tous les montants indiqués dans le présent texte sont en dollars américains). Ainsi, dans la mesure où une personne américaine n’a pas eu recours à l’exemption à l’égard de dons effectués de son vivant, aucun impôt successoral américain ne sera payable si la JVM de ses biens détenus à son décès n’excède pas 11,2 M$. Si la JVM des biens excède 11,2 M$, l’excédent sera assujetti à un taux d’imposition de 40 %.

Des personnes non résidentes des États-Unis peuvent également être touchées par l’impôt successoral américain si celles-ci détiennent certains biens américains à leur décès (U.S. situs assets) tels que des biens immeubles situés aux États-Unis ainsi que des actions de sociétés publiques et privées américaines. Or, dans l’éventualité où une personne résidente du Canada décède et que cette personne ne détient aucun U.S. situs assets personnellement, l’impôt successoral américain ne s’appliquera pas de même que l’impôt sur les transferts intergénérationnels.

De manière générale, l’impôt sur les transferts intergénérationnels est applicable, entre autres, si des biens sont transférés par une personne américaine à des descendants qui sont plus d’une génération plus jeune (par exemple les petits-enfants). L’impôt sur les transferts intergénérationnels s’applique en plus de l’impôt successoral américain. Depuis l’année 2018, les personnes américaines bénéficient d’une exemption au titre de l’impôt sur les transferts intergénérationnels d’un montant de 11,2 M$. Si la JVM des biens assujettis à l’impôt sur les transferts intergénérationnels excède 11,2 M$, l’excédent sera assujetti à un taux d’imposition de 40 %.

Comme cela a été mentionné précédemment, si les biens du patrimoine de la succession d’une personne qui résidait au Canada sont remis directement aux enfants qui constituent des personnes américaines, au décès de ceux-ci, l’impôt successoral américain et l’impôt sur les transferts intergénérationnels pourraient être applicables. Afin de prévenir l’assujettissement aux impôts américains, il pourrait être prévu dans le testament que les biens soient remis à une fiducie américaine au bénéfice des personnes américaines, soit un dynasty trust. Puisque les biens ne seraient pas détenus par des personnes américaines, mais par une fiducie américaine, l’impôt successoral américain et l’impôt sur les transferts intergénérationnels ne s’appliqueraient pas à leur décès.

De manière générale, un dynasty trust constitue une fiducie américaine irrévocable dont l’objectif est de permettre la transmission des biens d’une génération à une autre. Les fiduciaires du dynasty trust administrent les biens de la fiducie et des distributions de revenus peuvent être effectuées ainsi que des distributions de capital pour les besoins des bénéficiaires en matière de santé, de soutien, de maintenance et d’éducation, entre autres.

Création d’un dynasty trust

Avant de décider d’établir un dynasty trust, il faut évaluer si ce type de fiducie américaine permettrait véritablement de réduire la charge fiscale de personnes américaines à leur décès. En effet, comme cela a été indiqué précédemment, depuis l’année 2018, une personne américaine pourrait ne pas être touchée par l’impôt successoral américain si la JVM des biens à son décès est de moins de 11,2 M$. Or, si la JVM des biens transférés à des personnes américaines au décès d’une personne résidente du Canada est peu élevée, il est possible qu’au décès des personnes américaines, aucun impôt successoral américain ni aucun impôt sur les transferts intergénérationnels ne soient payables.

Si réduire les impôts américains constituait le seul objectif pour la mise en place d’un dynasty trust, ce type d’entité ne serait probablement pas nécessaire. Évidemment, il ne faut pas oublier que la JVM d’actifs peut varier, donc que les biens transférés par une personne résidente du Canada à son décès peuvent valoir plus au décès de personnes américaines. Par ailleurs, il convient de noter que des modifications législatives portant sur l’exemption au titre de l’impôt sur les dons et de l’impôt successoral américain de même que l’exemption au titre de l’impôt sur les transferts intergénérationnels pourraient être effectuées entre le moment où une décision est prise quant à la mise en place d’un dynasty trust par testament et le décès des personnes américaines.

S’il est établi que l’impôt successoral américain et l’impôt sur les transferts intergénérationnels s’appliquent vraisemblablement si les biens provenant de la personne résidente du Canada sont transférés directement à des personnes américaines, la création d’un dynasty trust pourrait être envisageable.

Quatre éléments doivent être mentionnés relativement à la mise en place d’un dynasty trust. Premièrement, il faut éviter qu’un bénéficiaire contrôle les biens de la fiducie. Autrement, ce bénéficiaire pourrait devoir inclure les biens de la fiducie dans sa succession à son décès. Un bénéficiaire peut être un fiduciaire, mais ses pouvoirs devraient se limiter à des décisions concernant des distributions de capital pour des besoins en matière de santé, de soutien, de maintenance et d’éducation.

Deuxièmement, au lieu de confier le rôle de fiduciaire à des membres de la famille ou à des bénéficiaires du dynasty trust, il pourrait être envisagé de nommer un fiduciaire corporatif, par exemple une banque américaine, afin d’assurer une certaine stabilité, puisqu’il s’agirait du même fiduciaire au fil des générations.

Troisièmement, afin d’éviter que le dynasty trust soit considéré comme une fiducie résidente du Canada, la majorité des fiduciaires devrait être des résidents des États-Unis et non des résidents du Canada. En effet, généralement, la résidence d’une fiducie aux fins de la législation canadienne est le lieu de résidence des fiduciaires. Cependant, il est important de noter que les faits pourraient démontrer, par exemple, que la gestion et le contrôle des biens de la fiducie se font par d’autres personnes que les fiduciaires; dans ce cas, c’est l’endroit de résidence de ces personnes qui déterminera l’endroit de résidence de la fiducie.

Finalement, puisque l’objectif d’un dynasty trust est d’exister sur plusieurs générations, il est important d’établir la fiducie américaine dans un État des États-Unis où il n’existe aucune restriction quant à la durée d’existence de la fiducie.

Il y a lieu d’ajouter que les revenus provenant des biens détenus par un dynasty trust seront assujettis à l’impôt fédéral américain sur le revenu et potentiellement à l’impôt d’un État américain. Cependant, les revenus pourraient également être assujettis à l’impôt canadien dans certaines circonstances, comme il sera démontré dans la section suivante du présent texte.

Application de l’article 94 L.I.R. aux dynasty trusts

Une fiducie étrangère peut être réputée résider au Canada à certaines fins de la Loi de l’impôt sur le revenu, et ce, en vertu de l’article 94. Entre autres, une fiducie étrangère peut être réputée résider au Canada pour une année donnée aux fins de l’impôt de la partie I L.I.R. De manière générale, une fiducie étrangère est réputée résider au Canada s’il existe un « contribuant résident » ou encore s’il existe un « bénéficiaire résident », et ce, à la fin de l’année d’imposition de la fiducie étrangère si celle-ci n’a pas cessé d’exister. Il est donc important d’analyser la structure d’un dynasty trust afin de déterminer si l’article 94 L.I.R. peut être applicable.

  • Notion de « contribuant résident »

En vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, une personne qui est un « contribuant » au sens du paragraphe 94(1) ainsi qu’un résident du Canada constitue un « contribuant résident ». Pour constituer un « contribuant », la personne doit avoir fait un « apport » à la fiducie étrangère. Or, une personne fait un « apport » à une fiducie étrangère, entre autres, lorsque cette personne transfère des biens. Est-ce que le transfert de biens du patrimoine de la succession canadienne à un dynasty trust peut être considéré comme étant un apport à une fiducie non résidente effectué par un contribuant qui réside du Canada?

Avant toute chose, il y a lieu de se demander si la succession constitue une « personne ». Si ce n’est pas le cas, la succession ne peut évidemment pas constituer un « contribuant ». Le paragraphe 94(1) L.I.R. prévoit qu’une « succession » constitue une « fiducie ». Or, puisque le paragraphe 104(2) L.I.R. répute qu’une fiducie constitue un « particulier » et que le paragraphe 248(1) L.I.R. établit qu’un « particulier » constitue une « [p]ersonne autre qu’une société » (notre soulignement), il y a lieu de conclure qu’une succession constitue effectivement une « personne ». Or, dans le cas où la succession réside au Canada et qu’elle a transféré des biens à un dynasty trust, cette fiducie étrangère sera réputée résider au Canada en vertu de l’article 94 L.I.R. si la succession existe toujours à la fin de l’année d’imposition de la fiducie étrangère.

Par ailleurs, il y a lieu d’ajouter que l’alinéa 94(2)n) L.I.R. prévoit qu’un apport d’une fiducie canadienne à une fiducie étrangère est réputé être un apport effectué conjointement par les contribuants de la fiducie canadienne et la fiducie canadienne elle-même. Dans le cas d’une succession d’une personne résidente du Canada, l’apport effectué par la succession au dynasty trust sera réputé avoir été effectué également par la personne décédée.

L’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a reconnu qu’une personne qui cesse d’exister est toujours considérée comme un « contribuant » (interprétation technique 2013-0514771E5, 26 juin 2014). Cependant, toujours selon l’ARC, cette personne ne peut constituer un « contribuant résident » puisque pour être un résident du Canada, il faut nécessairement exister. Dans le cas où il est déterminé qu’il n’existe aucun « bénéficiaire résident », terme qui sera défini plus loin dans le présent texte, un dynasty trust ne sera jamais réputé résider au Canada si la succession canadienne transfère des biens et cesse d’exister avant même la fin de l’année d’imposition de la fiducie américaine.

Cependant, si la succession canadienne transfère des biens, mais continue d’exister à la fin de l’année d’imposition de la fiducie américaine, le dynasty trust sera réputé résider au Canada jusqu’au moment où la succession cessera d’exister (par. 94(5) L.I.R.). Dans ce cas, l’année d’imposition du dynasty trust sera réputée avoir pris fin immédiatement avant le moment où la succession cessera d’exister (al. 128.1(4)a) L.I.R.) et le dynasty trust sera réputé avoir disposé de la plupart de ses biens (al. 128.1(4)b) L.I.R.), ce qui aura pour conséquence d’engendrer des gains en capital, et potentiellement des impôts au Canada si les biens ont augmenté de valeur durant la période où le dynasty trust était une fiducie réputée résidente du Canada.

Il y a lieu de noter que certains auteurs considèrent que lorsqu’une succession transfère des biens à une fiducie étrangère, c’est plutôt la personne décédée qui est le « contribuant » et non la succession. Or, selon eux, l’article 94 L.I.R. n’est pas applicable s’il n’existe aucun « bénéficiaire résident ».

  • Notion de « bénéficiaire résident »

Comme cela a été mentionné précédemment, même s’il n’existe plus de « contribuant résident », un dynasty trust sera tout de même réputée résider au Canada s’il existe un « bénéficiaire résident ». Afin de constituer un « bénéficiaire résident », une personne résidente du Canada doit être bénéficiaire de la fiducie étrangère et il doit exister un « contribuant rattaché ». Un « contribuant rattaché » constitue un « contribuant » à l’exception d’une personne dont l’entièreté des « apports » a été effectuée à un moment de non-résidence.

S’il est prévu qu’une personne qui réside au Canada aux fins fiscales canadiennes aura droit de recevoir le capital du dynasty trust dans l’éventualité où, par exemple, les personnes américaines seraient toutes décédées, ce résident du Canada est qualifié de « bénéficiaire remplaçant » aux fins de l’article 94 L.I.R., mais n’est pas un « bénéficiaire résident » (AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2007-0235241C6, 8 juin 2007).

  • Retenue à la source

Lorsque la succession transfère les biens à un dynasty trust, si ceux-ci ont augmenté de valeur durant la période de détention par la succession, des gains en capital seront réalisés. En effet, la succession ne sera pas considérée comme ayant distribué des biens à un bénéficiaire résident du Canada en vertu du paragraphe 107(2) L.I.R., et ce, même si le dynasty trust est réputé résider au Canada tout au long de l’année en vertu de l’article 94 L.I.R. Il s’agit plutôt d’une distribution à un bénéficiaire non résident du Canada, laquelle est effectuée pour un produit de disposition correspondant à la JVM plutôt que sur une base de roulement fiscal.

Si aucun choix en vertu du paragraphe 107(2.11) L.I.R. n’est fait afin que la succession conserve dans son revenu les gains en capital imposables réalisés par le transfert des biens à la JVM, les gains en capital imposables seront considérés comme payables au dynasty trust (AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2003-0000695, 24 juin 2003). La succession devra donc effectuer une retenue à la source, et ce, même si le dynasty trust est réputé résider au Canada aux fins de l’impôt de la partie I L.I.R. Cependant, dans ce cas, conformément à l’alinéa 94(3)g) L.I.R., la retenue effectuée par la succession sera réputée avoir été payée par le dynasty trust en vertu de la partie I L.I.R.

Étant donné la complexité des règles fiscales canadiennes en matière de fiducies étrangères ainsi que les conséquences importantes de l’application de ces règles, il est indéniable qu’une analyse approfondie de la structure d’un dynasty trust doit être faite.

Conclusion

Il est certain que la planification fiscale peut permettre de minimiser les impacts fiscaux engendrés par le décès. La planification successorale se fait évidemment avant le décès et dans le cadre de celle-ci, il faut s’intéresser aux impôts américains qui pourraient être occasionnés par la détention directe de biens par des personnes américaines et non pas par une fiducie américaine créée par testament.

Comme cela a été exposé dans le présent texte, la mise en place d’un dynasty trust peut constituer une solution afin de minimiser les impôts successoraux américains et les impôts sur les transferts intergénérationnels qui seraient applicables autrement au décès de personnes américaines. Évidemment, un dynasty trust demeure un type de fiducie complexe et une analyse approfondie doit être effectuée avant de mettre en place ce type d’entité.

*  Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, vol. 23, no 4, du mois de décembre 2018.