La main d'une femme tapant sur une calculette posée sur une table.
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Plusieurs textes ont été publiés antérieurement relativement à cet article. Ils expliquent, entre autres, les conditions d’application et le traitement fiscal à utiliser. Ces textes sont toujours d’actualité.

Pour cette raison, nous nous concentrerons uniquement sur certains concepts particuliers qui nous semblent moins communs, soit : l’importance du moment où la dette est réglée, la nature du montant remis et son implication si plusieurs dettes sont réglées simultanément, les particularités lors d’une acquisition de contrôle, d’une fusion et d’une liquidation, ainsi que les réserves et provisions qui peuvent être demandées.

Dans le présent texte, le terme « montant remis » fait référence à la définition du paragraphe 80(1) L.I.R., soit le montant avant les réductions permises, alors que l’expression « solde du montant remis » fait référence au montant à inclure aux revenus selon le paragraphe 80(13) L.I.R., soit après la réduction des attributs fiscaux.

L’importance du moment où une dette est réglée

Selon le libellé du paragraphe 80(3) L.I.R., la réduction des pertes intervient au moment du règlement d’une dette commerciale. Cette réduction n’est pas discrétionnaire. Dans l’interprétation technique 2011-0418071I7 du 23 mai 2012, un contribuable pour lequel les règles de remise de dette se sont appliquées à un moment donné a reçu subséquemment de nouvelles cotisations pour des années antérieures. Ces nouvelles cotisations augmentaient les revenus nets des années en question. L’Agence du revenu du Canada est venue préciser que le contribuable ne pouvait pas demander un report de ses pertes autres qu’en capital (« PAC ») aux années ayant des cotisations rajustées. Les PAC devaient obligatoirement être appliquées à l’encontre du montant remis, puisque la remise de dette était survenue avant l’établissement des nouvelles cotisations.

Selon le paragraphe 80(5) L.I.R., la réduction des biens amortissables est permise sur les biens détenus au moment de la remise de dette. Par conséquent, les biens acquis après ce moment ne peuvent pas faire l’objet d’une réduction même si, à la fin de l’exercice, la fraction non amortie du coût en capital (« FNACC ») de la catégorie est supérieure à zéro.

Exemple

  • FNACC de la catégorie 8 de 125 000 $ au 31 décembre 2018;
  • remise de dette le 30 septembre 2019;
  • acquisition d’un bien de catégorie 8 de 75 000 $ le 30 novembre 2019;
  • fin d’exercice le 31 décembre 2019.

La réduction maximale permise selon le paragraphe 80(5) L.I.R. pour les biens de catégorie 8 sera de 125 000 $, l’acquisition du bien de 75 000 $ ayant eu lieu après le moment de la remise de dette.

Inclusion du montant remis pour une société : revenu d’entreprise ou de bien?

Le solde du montant remis sera ajouté au calcul du revenu net d’une société en vertu de l’alinéa 12(1)z.3) L.I.R. L’inclusion au revenu sera de 50 % du solde de la remise de dette, moins les attributs désignés. Si, par le passé, les intérêts sur la dette remise réduisaient un revenu de bien (ou auraient réduit un revenu de bien si la dette avait porté intérêt), l’inclusion devra aussi être ajoutée au calcul du revenu de placement total. Par exemple, la remise sur un prêt pour un immeuble locatif donnera lieu à un revenu de placement qui sera imposé à un taux d’imposition plus élevé.

Inversement, lorsqu’une dette était engagée pour une entreprise active, l’inclusion devra être traitée comme un revenu d’entreprise et pourra être imposée à un taux moindre. En plus de l’écart de taux, lorsqu’un groupe de sociétés associées cumule plus de 50 000 $ de revenu de placement total, chaque dollar additionnel réduit de cinq dollars le plafond des affaires de 500 000 $ de l’année subséquente, qui donne droit à la déduction accordée aux petites entreprises (« DPE »).

Dettes réglées en simultané selon l’alinéa 80(2)i) L.I.R.

Lorsque plusieurs dettes commerciales sont réglées au même moment et sont de différentes natures, il peut être avantageux de désigner l’ordre du règlement des dettes sur le Formulaire T2153, « Désignation prévue à l’alinéa 80(2)i) lorsque deux ou plusieurs dettes commerciales sont réglées au même moment ». Ce choix permet de réduire les dettes qui seront traitées comme du revenu de bien en premier. Ainsi, s’il reste un solde à inclure aux revenus après réduction des attributs fiscaux, les dettes de nature revenu d’entreprise seront privilégiées et pourront donner droit à la DPE.

Il ne faut pas omettre les intérêts qui sont réputés être une dette distincte selon l’alinéa 80(2)b) L.I.R. Ces intérêts sont de même nature que la dette dont ils proviennent.

Acquisition de contrôle

Conformément à la définition de « solde de pertes applicable » au paragraphe 80(1) L.I.R., la réduction de pertes des années d’imposition qui précèdent l’acquisition de contrôle pour réduire le montant remis est permise seulement si la dette a été émise avant l’acquisition de contrôle. Si la totalité ou presque d’une dette a servi à refinancer une dette qui était antérieure à l’acquisition de contrôle, la réduction sera aussi acceptée.

Cependant, la réduction du montant remis par des pertes antérieures au changement de contrôle ne sera pas permise si la dette contractée avant l’acquisition de contrôle a été émise en prévision de l’acquisition de contrôle. L’objectif est d’éviter qu’une dette postérieure à l’acquisition de contrôle soit réduite par les PAC ou les pertes en capital nettes (PCN) d’années avant l’acquisition de contrôle.

Présomption de règlement : fusion versus liquidation

Lorsqu’une dette entre sociétés est réglée lors de leur fusion, la dette est réputée avoir été réglée immédiatement avant la fusion par un paiement correspondant au coût indiqué de la dette selon le paragraphe 80.01(3) L.I.R. Le montant remis est donc de 0 $.

Lors d’une liquidation, la société qui est débitrice envers l’autre société doit appliquer l’article 80 L.I.R. immédiatement avant la liquidation. Cette dette est réputée avoir été réglée pour un montant de 0 $ ou la valeur du paiement s’il y a lieu, ce qui génère donc un gain.

Dans le cas d’une liquidation selon le paragraphe 88(1) L.I.R., soit lorsque la société mère possède au moins 90 % des actions émises de sa filiale de chaque catégorie d’actions, il est possible de se soustraire à l’application de l’article 80 L.I.R. Pour ce faire, la société mère doit se prévaloir du choix selon l’alinéa 80.01(4)c) L.I.R. sur le Formulaire T2027, « Choix relatif au montant réputé du règlement d’une dette ou d’une obligation en cas de liquidation d’une filiale ». Ainsi la dette commerciale sera réputée avoir été payée pour un montant correspondant à son coût indiqué et aucun gain ne sera donc généré.

Bref, la production de ce choix permet d’avoir un traitement fiscal similaire entre la fusion et la liquidation selon le paragraphe 88(1) L.I.R. L’omettre entraîne des incidences fiscales.

Convention concernant le transfert d’une remise de dette en vertu de l’article 80.04 L.I.R.

Dans un groupe corporatif, lorsque le montant remis est supérieur aux déductions disponibles par les paragraphes 80(3) à 80(10) L.I.R., il est permis de produire une convention selon l’article 80.04 L.I.R. afin de transférer un montant de la remise de dette à une société liée.

Cette convention n’est pas obligatoire. Il est possible de choisir de réduire le prix de base rajusté (« PBR ») des actions ou des dettes de sociétés liées en vertu du paragraphe 80(11) L.I.R., sans transférer de solde. Cependant, en raison de l’élément B de la formule de l’inclusion selon le calcul au paragraphe 80(13) L.I.R., il est plus avantageux de transférer une portion du montant remis à une société liée par convention selon l’article 80.04 L.I.R., avant de réduire le PBR de ces mêmes actions ou des dettes de cette société.

Ce choix doit être produit et signé conjointement par les deux parties sur le Formulaire T2156, « Convention pour le transfert d’un montant remis selon l’article 80.04 ». Il n’est pas toujours possible de faire une convention s’il y a d’autres actionnaires impliqués dans la société liée. Ces derniers n’auront pas avantage à réduire les attributs fiscaux de la société dont ils possèdent des actions.

Provision pour remise de dette pour un particulier résident du Canada (sauf une fiducie) selon l’article 61.2 L.I.R.

En raison de la provision à l’article 61.2 L.I.R., un particulier n’aura pas à s’imposer immédiatement sur le solde du montant remis si son revenu net est inférieur à 40 000 $. En considérant l’inclusion aux revenus moins la provision, le contribuable devra inclure chaque année un montant qui correspond à au moins 20 % de son revenu qui excède 40 000 $, jusqu’à concurrence du montant remis dans l’année de la remise de dette ou de la provision réclamée l’année précédente. Cette provision n’est pas limitée dans le temps.

Exemple

Solde du montant remis de 20 000 $ en 2019, un revenu de 50 000 $ en 2019, un revenu de 60 000 $ en 2020 :

2019 : 20 000 + 0 – (0,2 (50 000 – 40 000)) = 18 000 $ de provision → inclusion nette de 2 000 $

2020 : 0 + 18 000 – (0,2 (60 000 – 40 000)) = 14 000 $ de provision → inclusion nette de 4 000 $

Dans la déclaration de revenus au décès du particulier, la provision est permise, puisqu’elle n’est pas prévue au paragraphe 72(1) L.I.R. De plus, la provision n’a pas à être incluse dans la déclaration de revenus de la succession. Lorsqu’une créance commerciale est réglée dans les six mois après le décès d’un contribuable, elle est réputée avoir été réglée au début du jour du décès selon l’alinéa 80(2)q) L.I.R. Il est avantageux pour une succession d’enclencher les démarches rapidement pour obtenir ce règlement dans les six mois suivant le décès lorsque c’est possible. Le montant remis pourrait ainsi permettre de réclamer une provision qui ne sera jamais imposée, si le revenu au décès du particulier n’est pas plus élevé que cinq fois le solde du montant remis auquel on ajoute 40 000 $.

Exemple

Pour un solde de montant remis de 100 000 $, il faudrait un revenu de 540 000 $ pour qu’aucune provision ne soit permise : 100 000 – (0,2 ´ (540 000 – 40 000) = 0.

Déduction pour insolvabilité selon l’article 61.3 L.I.R. pour les sociétés seulement

Cet article parfois oublié est particulièrement avantageux puisqu’il s’agit d’une déduction finale, contrairement aux provisions qui doivent être incluses aux revenus l’année suivante. Les critères d’insolvabilité utilisés à l’article 50 L.I.R. ne sont pas pertinents pour cette déduction. C’est un calcul qui permet de déterminer le montant de la déduction. Sommairement, une société aura droit à une déduction si le solde du montant remis excède de deux fois la valeur marchande de l’actif net de la société. L’actif net correspondra à la juste valeur marchande des actifs de la société en fin d’année, plus les montants payés dans les 12 derniers mois à des personnes avec lien de dépendance, moins le passif compte non tenu des impôts payables de l’année. De plus, si le revenu net de l’année est plus élevé que le solde du montant remis, la déduction sera augmentée de 100 % de cet excédent.

Le calcul se fait à la fin de l’exercice. Par conséquent, il est possible que l’annulation de la dette ait eu lieu en début d’année, et que l’actif net de la société se détériore durant l’année, impliquant une augmentation de la déduction. Voilà pourquoi une règle anti-évitement a été ajoutée au paragraphe 61.3(3) L.I.R. Une société n’aura pas droit à la déduction si un bien a été transféré au cours des 12 mois qui précèdent la fin d’année ou si la société a contracté une dette au cours de cette période et qu’il est raisonnable de considérer que l’un des motifs du transfert ou de la dette est d’augmenter le montant que la société peut déduire.

La déduction ne s’applique pas à une société qui a fait une convention selon l’article 80.04 L.I.R. afin de transférer à un cessionnaire admissible une partie du montant remis.

Provision pour remise de dette – Sociétés ou fiducies selon l’article 61.4 L.I.R.

Cette provision est similaire à celle prévue au paragraphe 40(1) L.I.R., soit la provision pour gain en capital sur un montant non reçu. L’imposition annuelle minimum sera de 20 % de l’excédent du solde du montant remis sur la déduction pour insolvabilité, s’il y a lieu. Ceci permet d’étaler sur cinq ans l’imposition du solde du montant remis, net de la déduction pour insolvabilité.

Cette provision ne s’applique pas à une société de personnes en raison du paragraphe 80(15) L.I.R., ni à une société qui commence à être liquidée autrement que par l’application du paragraphe 88(1) L.I.R., ni à une société qui a fait une convention selon l’article 80.04 L.I.R. afin de transférer à un cessionnaire admissible une partie du montant remis.

Modification permise par le ministre selon le paragraphe 80(16) L.I.R.

Bien que l’utilisation des attributs des paragraphes 80(5) à 80(12) L.I.R. soit discrétionnaire, le paragraphe 80(16) L.I.R. autorise le ministre à appliquer les réductions prévues aux paragraphes 80(5) à 80(11) L.I.R. dans les cas suivants : lorsqu’un particulier utilise la provision selon l’article 61.2 L.I.R. ou lorsqu’une société demande la déduction pour insolvabilité selon l’article 61.3 L.I.R. Cela évite l’augmentation de la provision ou de la déduction en n’utilisant pas tous les attributs permis.

En conclusion, les règles entourant l’article 80 L.I.R. sont relativement complexes. La compréhension des subtilités abordées précédemment demeure nécessaire pour s’assurer du bon traitement fiscal en situation de remise de dette. Ces subtilités jumelées aux textes publiés antérieurement permettront d’avoir une vision globale de l’étendue de ces règles.

 

Marie-France Forest, CPA, CA, M. Fisc., Directrice principale, Mazars, marie-france.forest@mazars.ca et Christiane Samson, CPA, CGA, M. Fisc., Brodeur & Létourneau CPA, csamson@blcpa.ca

Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, (Printemps 2020), vol. 25, no 1.