Leda Braga - photo : courtoisie

« C’est le futur, vous ne pouvez l’ignorer plus longtemps, un peu comme on ne peut plus se passer d’un GPS lorsqu’on est sur la route, expliquait Leda Braga, PDG de Systematica Investments, à propos de l’approche systématique, aussi connu sous le nom d’approche quantitative.

La « Reine du Quant », comme elle est parfois appelée dans le milieu des fonds de couverture (Hedge Funds) aux États-Unis était l’une des invités, aux côtés de Chad Langager, PDG d’Alpha Layer, à l’occasion d’un webinaire organisé par CFA Montréal, le 17 mai dernier, et consacré à la gestion systématique en investissement.

Toujours brûlant d’actualité, le modérateur, conseiller senior en investissement chez Mercer Canada, Dario Morrone, n’a pu résister à la tentation d’amorcer la discussion en évoquant sa demande à ChatGPT au sujet des différences entre l’approche d’investissement fondamentale et celle systématique. L’agent conversationnel utilisant l’intelligence artificielle (IA) a souligné leur caractère distinct : l’approche fondamentale se concentrant sur l’analyse des facteurs économiques et financiers d’une entreprise, tandis que l’approche systématique reposait sur des modèles quantitatifs et des algorithmes.

Le robot a aussi proposé une définition plus fouillée de la dernière : « Celle-ci repose sur l’utilisation de modèles et d’algorithmes informatiques pour prendre des décisions d’investissement. (…) Les gestionnaires de portefeuille utilisent des techniques telles que l’analyse technique, l’analyse des séries chronologiques et l’utilisation de modèles prédictifs pour identifier des opportunités d’investissement. Cette approche met l’accent sur l’automatisation et l’objectivité des décisions d’investissement.»

« Oui, en gros je suis d’accord avec la définition », a répondu la PDG de Systematica Investments. « Mais au fond – plus en amont – c’est quoi la gestion d’investissements ? C’est le business d’utiliser des données pour prendre des décisions d’investissement conformément à certains critères : tolérance au risque, univers de placement, cibles précises, etc. En cela, c’est la même chose que l’investissement discrétionnaire : nous traitons de l’information pour prendre des décisions d’investissement. »

La différence principale a trait à comment l’information est traitée. L’approche systématique fait davantage appel, selon elle, à la technologie et aux outils à leur disposition pour articuler leur processus d’investissement. « Il y a tellement de données disponibles de nos jours que sans la technologie il serait très difficile de les traiter adéquatement. » Elle croit pour cette raison qu’il y a de la place pour une certaine convergence entre les deux approches. « Il y a d’ailleurs plus de gestionnaires discrétionnaires qui utilisent les services de Quants [analystes quantitatifs].»

Chad Langager, le PDG de Alpha Layer, croit aussi que cette convergence est bien engagée et que le milieu a déjà passablement changé, particulièrement ces dernières années avec le développement de l’IA et du ML (Machine Learning ou apprentissage automatique). « C’est beaucoup plus accessible avec de moins grandes barrières à l’entrée. »

Selon lui, les discussions ont eu lieu, notamment avec leurs clients et les firmes avec lesquelles il travaille, se poursuivent de façon plus marquée et ont même pris une tournure de type Quantamental [stratégie d’investissement mélangeant approche fondamentale et utilisation de l’AI et ML]. « Je crois que chaque groupe ou firme n’a pas intérêt à se cantonner dans un rôle donné, après tout, chacun essaie de tirer son épingle du jeu dans le marché et de procurer de meilleurs rendements sur l’investissement à leurs clients. »

Tous les bons investisseurs ont un côté systématique à leur processus, fait remarquer Leda Braga. « Prenez Warren Buffett, écoutez quelques-unes de ses vieilles entrevues, vous verrez à quel point il est systématique dans sa façon de voir les choses et d’approcher l’investissement. »

Elle croit qu’une approche systématique permet de traiter plus de données et ce faisant, d’en tirer un avantage. « On a tous entendu parler de l’histoire du type basé à New York qui payait un extra pour obtenir sa copie du Financial Times livré par jet au petit matin. C’est fini. Il n’y a pas plus d’avantages à cela. Les données sont aujourd’hui livrées instantanément et mondialement. Il existe même des algorithmes pour traduire les nouvelles chinoises ! »

Les capacités de négocier toutes sortes de classes d’actifs de façon électronique ne cessent également de se multiplier. « C’est un développement fantastique, à peu de frais, et plus transparent qui, avec la quantité de données disponibles, a participé à la création de conditions propices à l’investissement systématique », a-t-elle souligné.

L’IA dans le processus d’investissement

« L’intelligence artificielle ne date pas d’hier. L’expression IA a été créée en 1956, c’est donc dire que l’engouement que l’on observe actuellement s’est fait quelque peu attendre », précise Chad Langager d’Alpha Layer. La différence, selon lui, entre la programmation traditionnelle et celle dite de ML (Machine Learning ou apprentissage automatique) est l’inversion des rôles. « L’ordinateur ne se limite plus à exécuter des tâches, comme le traitement de données. Il apprend par des exemples et construit en quelque sorte les règles qui optimisent le traitement des données. »

En investissement systématique, l’idée est d’utiliser l’IA et le ML pour aider à soutenir et améliorer le processus humain de prise de décisions. Ce n’est pas nouveau, selon lui, car de tout temps les gens ont essayé d’utiliser les nouvelles technologies pour améliorer leurs investissements. « Pensons aux investisseurs hollandais qui, à l’époque du premier marché boursier, utilisaient un télescope pour voir les bateaux entrer au port et spéculer sur le prix des marchandises. »

Même si les possibilités semblent infinies, Leda Braga voit néanmoins quelques limites à l’IA sur le plan de l’automatisation de l’investissement – à l’image des véhicules autonomes. « Un fonds autopiloté, à qui l’on demanderait par exemple de négocier des actions mondiales et de procurer un niveau de volatilité de 8 %, avec un ratio de Sharpe de 2, en lui fournissant des données qu’il devrait traiter avec des algorithmes, est encore loin dans la pratique, voire inatteignable. L’étendue des données est trop grande et celles-ci trop aléatoires. »

Ce que l’investissement systématique ajoute cependant à la construction d’un portefeuille est, à ses yeux, de plus bas frais de gestion ainsi qu’une meilleure diversification. « Si vous jetez un œil à une base de données de types de fonds de couverture et que vous sélectionnez les fonds systématiques, vous verrez qu’ils sont naturellement non corrélés avec ceux discrétionnaires. Si bien que celui qui construit un portefeuille serait bien avisé de considérer cela comme une dimension bien réelle. » Ce sont là, selon elle, quelques-uns des aspects qui sont mis de l’avant pour convaincre les futurs clients du bien-fondé de l’approche quantitative.

« Pour certains moins au fait sur la nature de notre travail, cela passe par un travail d’éducation afin d’expliquer les tenants et aboutissants de nos processus d’investissement et démystifier notre approche, démontrer comment la technologie fonctionne », a expliqué Chad Langager. « Il n’y a aucune question à laquelle nous ne répondrons pas », renchérit la PDG de Systematica Investments. « Ce n’est pas une boîte noire, c’est même une boîte de verre, tout à fait transparente. » Tout notre processus décisionnel est structuré, codé et bien établi. « Toutes les vérifications sont faites au préalable (Due Diligence). Le contrôle est peut-être même plus serré », conclut-elle.