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« [Le projet de règlement proposé par l’Autorité des marchés financiers] fait appel à des solutions éculées, comme la distribution massive d’information, et compte sur le zèle du consommateur lecteur bien plus que sur l’encadrement des pratiques des fournisseurs pour assainir le marché. Cette stratégie nous paraît d’autant plus clairement vouée à l’échec que le projet de règlement est truffé de problèmes de nature technique », écrit la coalition d’organismes de défense des intérêts des consommateurs dans son mémoire remis dans le cadre de la consultation sur le Projet de règlement sur les modes alternatifs de distribution.

Lire le mémoire de la CACQ

Ainsi, la CACQ déplore que le projet de règlement de l’AMF repose « sur l’illusion qu’il suffit d’informer massivement les consommateurs pour les protéger. »

« Il est utopique de croire que la consommatrice exercera toujours, seule, un jugement aussi éclairé qu’elle ne le ferait avec l’aide d’un représentant, ou d’un dispositif qui dispose des mêmes aptitudes qu’un représentant », peut-on lire dans le mémoire.

D’une part, le consommateur risque d’être submergé d’information, selon la CACQ. Par exemple, le projet de règlement oblige le cabinet, lorsqu’il n’y a pas de représentant qui accompagne le client, à l’informer entre autres sur les garanties et options du produit; ses exclusions et limitations afférentes; les clauses particulières qui peuvent avoir une incidence sur la couverture d’assurance; l’existence d’un droit de résolution ou de résiliation en faveur du client et les modalités de son exercice, le cas échéant; les règles applicables à l’assurance provisoire, le cas échéant; les primes et autres frais, incluant les taxes applicables.

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« Les consommateurs ne lisent pas de longs documents, et surtout pas en ligne, et leur décision à cet égard est éminemment rationnelle : ces documents leur sont le plus souvent incompréhensibles, et leur contenu n’est pas négociable. Pourquoi perdraient-ils alors des heures à les lire, d’autant qu’ils décèleront probablement peu d’écarts significatifs entre les offres de divers concurrents? » lit-on dans le mémoire de l’organisme.

Le coût en temps et en expertise associé à la consultation d’offres complexes risque d’être si élevé que le client fera le mauvais choix, selon la CACQ : « Il s’arrêtera au produit dont le prix est le moins élevé – mais qui pourrait fort bien s’avérer en définitive le plus coûteux, parce qu’il ne répond pas à ses besoins. »

« On ne voudrait surtout pas que le consommateur en ligne se fie seulement au prix pour choisir. Mais on crée un environnement où c’est précisément ce qu’il fera », prédit la CACQ.

La CACQ déplore aussi que l’AMF n’oblige pas les cabinets à fournir au client des outils afin de bien évaluer les polices. « On l’inonde de faits bruts, mais on ne lui offre pas d’outils qui lui permettraient de contribuer efficacement à l’évaluation au moins préliminaire de sa situation. Cette omission étonne d’autant que l’AMF recommandait en 2015 qu’on fournisse de tels outils aux consommateurs », note la CACQ.

L’organisme propose que soit associé à un produit un «document d’informations clés», tenant en au plus trois pages, les informations dont les clients ont besoin. « Le cas échéant, ce document pourrait contenir des mentions comme celle-ci, par exemple: “Vous êtes sur le point d’acheter un produit qui n’est pas simple et qui peut être difficile à comprendre.” », suggère la CACQ.

Selon cette coalition, l’AMF devrait interdire les produits qui sont trop complexes pour un environnement en ligne et réguler les autres. Toutefois, le régulateur ne le fait pas et son processus d’encadrement proposé ressemble à effectuer une expérience qu’on ne maîtrise pas, un peu comme dans le poème de l’apprenti sorcier, compare la CACQ. « Comme l’apprenti sorcier de Goethe, comme le docteur Jekyll, on amorce un processus sans se soucier des inévitables périls qui en découleront. Les victimes n’en seront pas des personnages littéraires. »

Clarifiez le rôle du représentant

La CACQ souhaite également que l’AMF clarifie le rôle du représentant lorsqu’il est invité à soutenir des consommateurs dans le cadre d’un processus de distribution en ligne.

En effet, plusieurs questions demeurent en suspens à la lecture du projet de loi, selon la CACQ : « Comment conjuguera-t-il le rôle que lui impartissent la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) et ses règlements d’application avec la place qu’on lui ménagera sur la plateforme? Sera-t-il pleinement responsable en cas de souscription d’un contrat mal adapté, simplement parce qu’il a répondu en ligne ou par téléphone à une question très ponctuelle de la consommatrice? Si cette dernière met fin à son interaction avec lui avant qu’il ait pu fournir une indication qui lui paraît primordiale, pourra-t-il néanmoins communiquer avec la consommatrice, ou bloquer la souscription du contrat? On l’ignore. »

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La CACQ se demande aussi comment le fonctionnement de la plateforme sera conciliable avec l’obligation de la représentante de faire une analyse de besoins détaillée et de faire parvenir un préavis de remplacement.

« Dans certains cas où il y a urgence d’assurer, ou très peu de risque, pourrait-on songer à un régime d’assurance provisoire? Le projet de règlement ne fournit à cet égard aucun garde-fou pour les consommateurs, et aucune balise pour les fournisseurs », écrit la CACQ.

Les plateformes devraient rendre des comptes

La CACQ pose également des questions intéressantes à l’AMF par rapport à la déontologie et l’éthique de travail de la plateforme elle-même. « Comment et par quoi seront évalués les algorithmes sous-tendant la plateforme et qui permettront de recueillir la bonne information, de formuler les bons diagnostics, de proposer les bons produits, de suspendre les processus lorsqu’il le faut? On certifie les représentants (et on exige qu’ils participent à des programmes de formation continue), mais on n’évaluerait pas les plateformes? L’anomalie paraît consternante. »

Non seulement l’AMF n’impose pas d’exigence de validation, mais on ne précise même pas que le cabinet doit fournir à l’AMF des informations qui lui permettraient de garantir une «compétence» et une intégrité minimales des plateformes, déplore la CACQ : « On compte sur la compétence et la bonne volonté de l’industrie; ce n’est pas là, nous semble-t-il, une réglementation fondée sur des principes; c’est de la réglementation cramponnée à la pensée magique. »

Pour ces raisons, la CACQ souhaite qu’on renforce significativement les obligations des cabinets en matière de gestion de leurs processus et de reddition de compte.

L’organisme craint que le projet de règlement proposé par l’AMF ne résulte dans une « série d’expériences où les consommateurs feront surtout office de cobayes et, parfois, de victimes. Il nous paraît pourtant que la réglementation devrait avoir pour effet de réduire les risques juridiques et financiers, plutôt que de les augmenter. »