Fiducie discrétionnaire au Québec: « Oui, mais...»

Utilisée dans le contexte de la succession d’un parent responsable d’un enfant handicapé, la fiducie discrétionnaire est une fiducie dont l’enfant handicapé est le bénéficiaire. Dans ce type de fiducie, c’est à la discrétion du fiduciaire de choisir s’il doit, ou non, verser des revenus ou du capital au bénéficiaire. Le bénéficiaire n’a pas le droit de demander des revenus à son fiduciaire.

La fiducie Henson tient son nom de Leonard Henson, un père de famille ontarien, qui avait une fille souffrant d’un handicap intellectuel. Il avait décidé de mettre en place une fiducie testamentaire discrétionnaire dont sa fille, Audrey, était bénéficiaire. Au décès de Leonard Henson, le ministère ontarien des Services sociaux et communautaires a retiré ses prestations d’aide sociale à Audrey en soutenant qu’elle possédait des actifs et n’avait donc pas besoin de l’aide de l’État.

Le fiduciaire a porté l’affaire devant les tribunaux qui ont statué qu’une personne handicapée pouvait être bénéficiaire d’une fiducie discrétionnaire sans que l’État ne lui retire ses prestations d’aide sociale.

« Il est important de comprendre que ce n’est pas nécessairement les prestations d’aide sociale que les familles ne veulent pas que leur enfant handicapé perde, mais plutôt toute la gamme de services et l’encadrement qui viennent avec, explique Geneviève Coupal, notaire et directrice principale Services fiduciaires chez BMO Banque privée Harris. Ce n’est pas toujours une question d’argent, loin de là.»

Problèmes au Québec

Au Québec, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, en se basant sur la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, conteste parfois ce type de fiducie, et ce, même si la Loi est en accord avec le Code civil, et accepte en principe que l’argent de la fiducie ne soit pas l’argent du bénéficiaire.

« Ce sont des concepts reconnus comme valides, mais au Québec nous luttons de plus en plus souvent avec le gouvernement qui veut nous forcer, dans nos fiducies, à verser à nos bénéficiaires, et ce, même dans le cadre d’une fiducie totalement discrétionnaire, indique Geneviève Coupal. C’est une tendance que je vois dans ma pratique depuis les cinq à sept dernières années.»

En effet, il peut arriver que, lorsqu’il trouve des failles dans la rédaction de la fiducie, le gouvernement demande de retirer les prestations d’aide sociale du bénéficiaire.

Par failles, François Bernier, directeur, planification fiscale et successorale chez Placements Mackenzie, entend toute mention dans l’acte fiduciaire qui donnerait au bénéficiaire un droit ou une créance envers la fiducie dont il est le bénéficiaire, et ce, tant en ce qui concerne les revenus que le capital.

Par exemple, si l’acte fiduciaire spécifie que le bénéficiaire a droit à un revenu de 500 $ par mois, le gouvernement soutiendra que, puisque l’aide sociale est un programme de dernier recours, le bénéficiaire se doit d’exiger les revenus auxquels il a droit aux termes de l’acte de fiducie. Ce versement de 500 $ par mois pourra donc avoir pour effet de réduire ses prestations.

« Les gens devraient toujours consulter un conseiller juridique avant de se lancer dans le processus, souligne-t-il. La jurisprudence me semble assez constante à ce niveau: si la fiducie a été bien rédigée et ne donne aucun accès au capital comme au revenu, les tribunaux vont en respecter les clauses. Tout est une question d’avoir une rédaction étanche.»

Un autre bon réflexe est de nommer plusieurs bénéficiaires. Par exemple, si un client a trois enfants dont un seul est invalide, on devrait quand même nommer les trois enfants bénéficiaires de la fiducie discrétionnaire.

« Le gouvernement aura alors beaucoup plus de mal à déterminer à qui iront les revenus, rappelle Geneviève Coupal. Les autorités seront beaucoup plus agressives dans le cas d’une fiducie discrétionnaire qui n’aurait qu’un seul bénéficiaire.»

Une question reste toutefois en suspens: dans le dernier budget fédéral, les fiducies testamentaires se sont vues retirer le taux d’imposition progressif, à moins que leur bénéficiaire soit handicapé. Si la fiducie a plusieurs bénéficiaires et qu’un seul est handicapé, pourra-t-elle quand même bénéficier du taux progressif? Les fiscalistes se penchent actuellement sur la question.

Photo Bloomberg