Encadrement des aînés: savoir dire non
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« Il est préférable de prendre un peu plus de temps pour vérifier la demande parce qu’une fois que l’argent est parti, il est parti pour de bon », indique Danielle M. Tétrault, vice-présidente adjointe, examens de conformité, chez Groupe Investors.
 
Selon le rapport annuel 2016 de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), les dossiers disciplinaires concernant des clients âgés étaient un enjeu prioritaire qui représentait un tiers des dossiers étudiés par le Service d’évaluation des dossiers et des poursuites achevées.
 
Avec le vieillissement de la population, l’encadrement des clients âgés devient donc un enjeu central pour beaucoup de conseillers. Non seulement peuvent-ils aider à prévenir la maltraitance, mais ils doivent également s’assurer d’adapter leur pratique en conséquence afin d’éviter de se retrouver dans l’eau chaude.
 
Me Minhea Bantoiu, avocat au cabinet Létourneau et Associés, a déjà traité des dossiers dans lesquels des clients âgés estiment avoir été mal conseillés par leur professionnel en services financiers ou la firme à laquelle il appartient.
 
« Un couple de retraités peut venir me consulter parce que, par exemple, ces clients ont perdu une somme importante dans leur fond de retraite. Souvent, les clients ont le réflexe de se dire que ça fluctue, des placements, et que c’est normal, mais en nous présentant des documents comme les relevés de compte ou les formulaires d’ouverture de compte, nous pouvons déterminer s’il y a quelque chose d’anormal. »
 
Certains problèmes sont plus récurrents que d’autres, comme les placements trop risqués, trop complexes ou qui fluctuent de façon trop importante. La multiplication des transactions par le conseiller pose aussi problème, selon Minhea Bantoiu : « Le client qui, avec l’âge, est de moins en moins capable de réaliser ce qui se passe ne verra pas nécessairement que le conseiller multiplie les transactions pour augmenter sa commission. »
 
Toutefois, l’avocat remarque une nette amélioration de la situation en raison des exigences de conformité: « Les firmes réalisent rapidement lorsqu’un portefeuille ne répond pas aux objectifs de placement contenus dans le formulaire d’ouverture de compte. Nous ne voyons plus de situations aussi grossières que dans le passé comme des retraités à qui on conseille de prendre un prêt sur leur maison et d’investir toute la somme dans des actions. »
 
Minhea Bantoiu rappelle que le conseiller a l’obligation d’informer et de conseiller son client: « Un client bien informé et qui comprend va prendre des décisions en connaissance de cause et n’aura pas de surprise. Moins le client a de bonnes connaissances, plus le devoir du conseiller est accru. Il y a une certaine modulation des obligations du conseiller en regard de la vulnérabilité de l’investisseur. »
 
Mon client vieillit, que faire?
 
Le conseiller doit bien connaître son client, non seulement pour satisfaire la conformité, mais également pour être capable de remarquer les changements qui s’opèrent dans sa compréhension de ce qui se passe ainsi que dans son entourage. Danielle Tétrault rappelle que le rôle du conseiller est parfois de protéger le client de lui-même.
 
« Si le client demande une transaction inhabituelle ou qui semble être associée à une fraude, comme quelque chose qui serait lié à un courriel d’hameçonnage par exemple, le conseiller peut s’informer à son département de la conformité et en parler avec son client, rappelle Danielle Tétrault. C’est correct de prendre son temps pour s’assurer qu’il n’y a pas de problème. »
 
Le conseiller en placement, en sécurité financière ou en épargne collective ne fait pas partie d’un ordre professionnel et n’a donc pas de secret professionnel à respecter. Toutefois, il est touché par la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.
 
« Ils ont besoin du consentement du client pour divulguer de l’information confidentielle, prévient Minhea Bantoiu.  Il existe des catégories de dérogation prévues à cette loi, mais elles sont assez strictes, voire extrêmes. Il n’y a pas de dérogation spécifique en cas d’abus ou d’exploitation financière. »
 
Si le conseiller soupçonne que le client soit en perte de capacités, elle suggère d’impliquer, avec le consentement du client, un membre de sa famille ou encore un de ses amis proches dans les discussions. En plus d’aider à raisonner le client, la personne ressource pourra, si nécessaire, contacter les policiers.
 
« Le conseiller ne peut pas communiquer des renseignements liés au client sans son autorisation. On essaie toutefois de protéger le client sans trahir nos obligations de confidentialité », ajoute Danielle Tétrault.
 
Le conseiller doit aussi être particulièrement vigilant lorsque le client a désigné un mandataire dans le cadre d’un mandat en cas d’inaptitude. Le conseiller sert toujours le client et doit s’assurer que les transactions demandées par son mandataire sont dans son meilleur intérêt.
 
« Il faut savoir qu’on peut dire non à une demande du mandataire, souligne Danielle Tétrault. Le conseiller qui s’inquiète ne devrait pas hésiter à consulter son service de conformité pour obtenir des conseils.»
 
Quelques signes à surveiller

  • Le client fait une demande de transaction très différente de celles qu’il fait habituellement. Par exemple, il demande subitement 20 000 $ alors qu’habituellement il ne retire que 1500 $ par mois;
  • Le client a de la difficulté à se souvenir de discussions que le conseiller a eues avec lui auparavant ou il ne comprend plus des concepts de finance qu’il saisissait auparavant;
  • Soudainement, une autre personne commence à assister aux rencontres entre le client et son conseiller. De plus, cette personne semble essayer de diriger la conversation;
  • Lorsqu’on parle au client au téléphone, il prend du temps à répondre. Le conseiller peut avoir l’impression que quelqu’un d’autre dit au client quoi répondre.