Table ronde sur les actions à revenu : première partie
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C’est une période éprouvante pour les investisseurs dans les actions canadiennes à revenu. Une hausse des taux d’intérêt aux États-Unis, des diminutions générales de dividendes dans le secteur de l’énergie et une faible croissance du PIB ont contribué aux pressions de vente qui ont vu les actions canadiennes à dividendes élevés se sous-classer en 2015 par rapport à l’ensemble du marché. Dans ce climat de morosité, les intervenants de la table ronde parlent du positionnement actuel de leur portefeuille.

Question : Le 16 décembre dernier, la Réserve fédérale américaine a annoncé une augmentation de ses taux d’intérêt d’un quart de point de pourcentage. Que va faire la Fed en 2016?

Michèle Robitaille, directrice générale et spécialiste des mandats d’actions à revenu chez Guardian Capital LP : La décision de la Fed en décembre a marqué un événement important sur les marchés financiers. La Fed a communiqué qu’elle adopterait une approche graduelle au cheminement futur des taux d’intérêt et qu’elle continuerait de surveiller les données économiques. Elle a fait aussi remarquer que le taux des fonds fédéraux allait probablement se maintenir, pendant quelques temps, au-dessous des niveaux qui devraient prévaloir à long terme. Le climat de taux d’intérêt plus bas pour plus longtemps demeure donc intact. Durant l’année 2015, certains des secteurs à dividendes du marché boursier ont connu une liquidation, particulièrement en décembre, en prévision de la hausse des taux d’intérêt. Ils se sont ensuite un peu repris, une fois que la hausse a eu lieu. La décision de la Fed était importante du point de vue de sa crédibilité et témoigne de ses perspectives quant à la solidité de l’économie américaine et à la croissance mondiale.

Jason Gibbs, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Gestion d’actifs 1832 : Je souscris à l’idée de taux d’intérêt plus bas pendant plus longtemps. J’adhère à la thèse du ralentissement de l’économie mondiale à long terme. Nous avons ajouté quelque 57 billions $US à la dette des secteurs public et privé à l’échelle mondiale depuis l’effondrement financier en 2007. Il s’agit d’un montant de dette considérable en plus du montant de dette déjà en place à ce stade.

De plus, la main d’oeuvre mondiale n’augmente pas autant qu’avant et elle est en train de vieillir. Tout cela contribue à faire ralentir la croissance et diminuer l’inflation. Il est difficile pour les taux d’intérêt de beaucoup augmenter dans cet environnement. Si l’on regarde les taux des obligations du gouvernement à 10 ans, celui des obligations du gouvernement du Canada est de 1,3 %, celui des obligations du Trésor américain de 2,16 %, le taux des obligations du gouvernement allemand est à 0,53 % et celui des obligations du gouvernement suisse à 0,14 %. La Fed fait beaucoup parler d’elle, et c’est normal. Elle a augmenté son taux directeur. Mais depuis ce jour-là, les taux d’intérêt du marché qui sont vraiment importants n’ont pas arrêté de diminuer. Il y a d’autres éléments importants qui entrent en jeu.

Peter Frost, vice-président principal et gestionnaire de portefeuille chez Placements AGF: La Fed va se trouver dans une impasse avec la vigueur du dollar américain qui va beaucoup freiner l’économie américaine. Si l’on examine la croissance de la production industrielle annuelle depuis 1990, elle est devenue négative ces derniers temps. Historiquement, une croissance négative annonce une récession. L’économie américaine est différente aujourd’hui de ce qu’elle était dans les années 1990, mais le niveau de croissance de la production industrielle a toujours été un bon indicateur économique. Le secteur manufacturier américain est en récession. Il serait dommage de voir dans 12 mois que la Fed s’est en fait coincée dans une récession.

Q : Que signifie cette conjoncture économique pour les actions à dividendes? Le rendement en dividendes de l’Indice composé S&P/TSX est d’environ 3,5 %.

PF : Les actions à dividendes affichent une valeur exceptionnelle. Regardez leur rendement en dividendes par rapport au rendement de 1,3 % des obligations sur 10 ans du gouvernement du Canada.

JG : Il faut étudier tous les secteurs. Les actions à dividendes englobent beaucoup d’actions dans de nombreux secteurs différents. Il y a une différence entre une action à dividendes dans le secteur énergétique canadien et une action à dividendes dans le secteur des télécoms canadiens, où les revenus et les dividendes sont plus viables. Les investisseurs doivent réaliser que les sociétés qui versent des dividendes peuvent avoir des revenus extrêmement volatils. Mais dans l’ensemble, le thème consistant à toucher des dividendes sur des actions dans un environnement de rendement faible sur les placements est plus fort que jamais. Le rendement en dividendes ainsi que la croissance du capital sont attrayants par rapport au rendement sans risque d’une obligation du gouvernement du Canada.

Q : En 2015, l’Indice composé à dividendes élevés S&P/TSX, qui est axé sur le revenu en dividendes, a produit un rendement total de -14,6 %, se sous-classant par rapport à l’Indice composé S&P/TSX au rendement de -8,3 %.

MR : L’énergie et les matériaux ont affiché des rendements plutôt médiocres en 2015.

Q : En particulier, l’énergie représentait quelque 30 % de l’Indice à dividendes élevés à la fin de 2015 par rapport à la pondération de 18,5 % de l’indice composé. Sa forte pondération énergétique a certainement nui à cet indice d’actions à dividendes.

MR : Dans le secteur de l’énergie, la conjoncture de prix faibles des marchandises a remis en cause les dividendes des producteurs énergétiques à rendement élevé et ceux des compagnies de services qui avaient mis en place des dividendes. On a vu beaucoup de pressions s’exercer sur ces secteurs du marché boursier, et encore plus sur l’ensemble du secteur énergétique.

PF : Les actions des sociétés canadiennes d’oléoducs ont subi des pressions de vente à la suite de la chute du prix des actions d’infrastructure énergétique américaines. Il y a eu l’annonce effectuée au début décembre par la grande société d’oléoducs américaine Kinder Morgan (KMI) qu’elle baisserait son dividende de 75 %. À la suite de cette annonce, la société canadienne Enbridge (ENB) a pas mal écopé.Q: La faiblesse continue du secteur énergétique canadien a nui à l’Indice composé S&P/TSX. La faiblesse du cours des marchandises affecte aussi l’économie canadienne.

JG : Il existe une divergence au sein de l’économie canadienne. L’Alberta a de la difficulté. Mais le Canada compte 36 millions d’habitants et pour une portion non négligeable de ce pays, la faiblesse des prix du carburant et des taux d’intérêt, et dans certains cas de la devise, est une bonne chose. L’Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique représentent une part importante de la population canadienne, et ces provinces vont bien. Mais dans l’ensemble, on trouvera certainement que la croissance économique est faible au Canada.

PF : Le problème de notre secteur manufacturier tient en partie du fait que les devises des marchés émergents se soient fortement dépréciées par rapport au dollar américain. Donc, l’avantage concurrentiel du Canada, à cause de la faiblesse du dollar canadien, n’est pas aussi solide.

Q : La plupart des bonnes nouvelles économiques au sud de la frontière sont-elles incorporées au marché boursier américain? Toutes les difficultés économiques canadiennes ont-elles été prises en compte par le marché boursier canadien? Le thème consistant à vendre le Canada tire-t-il à sa fin?

MR : Si l’on examine les évaluations dans certains secteurs canadiens spécifiques, comme l’énergie, on remarque qu’il y a eu beaucoup de pressions négatives, surtout causées par les prix des marchandises. Ceux-ci ont continué de baisser depuis le début de l’année et d’exercer des pressions sur l’ensemble du marché boursier canadien. On peut difficilement dire si nous avons atteint un point d’inflexion dans la thèse consistant à vendre le Canada à découvert. Nous pensons que des cours pétroliers aux alentours de 30 $US le baril ne sont pas viables. Mais il y a un surplus d’inventaires. On pourrait continuer de voir, au cours des quelques prochains mois au moins, des pressions continues sur les cours pétroliers. On n’a certainement pas encore atteint le creux.

PF : On pourrait assister à d’autres baisses des dividendes dans le secteur énergétique canadien. Seuls quelques producteurs énergétiques canadiens n’ont pas réduit leurs dividendes.

MR :
Il est difficile de s’enthousiasmer à l’idée d’investir dans ce secteur. Ailleurs, les évaluations des actions bancaires semblent vraiment attrayantes comparativement aux niveaux historiques.

JG : Il faut vraiment examiner tous les secteurs canadiens. On ne peut pas dire que certaines actions de biens de consommation soient sous-évaluées, par exemple. Il faut adopter une perspective à long terme pour ce qui est des banques canadiennes, et de ce point de vue, je pense que les actions bancaires sont attrayantes. Le cours des actions prend en compte une hausse assez importante des réserves pour pertes sur prêts bancaires.

PF : Nous n’avons pas encore vu cela se concrétiser. Je suis d’accord pour dire que les actions bancaires sont attrayantes.

MR : La négativité entourant les actions bancaires canadiennes, qui se reflète déjà dans leurs évaluations, se maintiendra jusqu’à ce qu’on assiste à une amélioration des cours énergétiques. La thèse sur les banques consiste à dire que tant que les cours pétroliers sont faibles, l’économie canadienne est à risque et si on tombe dans une récession, non seulement il y aura des pertes sur prêts liées à l’énergie mais le marché de l’habitation canadien pourrait aussi être à risque. Si vous pensez comme nous qu’il est peu probable que cela se réalise, il est légitime de penser que les actions bancaires canadiennes recèlent une bonne valeur à long terme.

PF : Le thème « Vendez le Canada » pourrait tirer à sa fin, à moins qu’on commence à assister à un ralentissement de l’immobilier au Canada. Ça ne s’est pas encore produit. Les taux d’intérêt ont été faibles et ont soutenu les cours de l’immobilier.

JG : Le taux du chômage au Canada est demeuré stable, ce qui été de bon augure pour le marché de l’habitation.

MR : La création d’emplois a été solide tout au long de 2015.

JG : Nous pourrions commencer à voir la fin de ce thème pessimiste envers le Canada. Il faut remarquer que l’Indice composé S&P/TSX se sous-classe par rapport à l’Indice S&P 500 en devise locale depuis cinq ans maintenant, donc depuis un bon bout de temps.