Quand la bulle immobilière éclatera

Entre-temps, les banques canadiennes avancent que leurs ratios prêt/valeur sur les prêts résidentiels sont à présent plus bas que ceux des banques américaines juste avant l’éclatement de la bulle immobilière dans ce pays; toutefois, notre examen révèle que les ratios moyens prêt/valeur des banques américaines à ce moment-là étaient semblables à ceux que nous voyons actuellement pour les prêts résidentiels au Canada. Plus important encore : leur distribution présente une similitude troublante. En supposant des diminutions incrémentielles de 10 % du prix des habitations, il apparaît que la SCHL et les banques présentent des risques de pertes importantes ou de dégradation du capital.

En cas de baisse importante des prix résidentiels, nous pensons que le Banque Toronto-Dominion et la Banque de Montréal seront les moins touchées, alors que la Banque Nationale du Canada et la Banque Canadienne Impériale de Commerce seront les plus touchées. Aussi longtemps que les taux d’intérêt resteront faibles, nous pensons que les investisseurs profiteront tout de même des rendements en dividendes élevés payés actuellement par les banques canadiennes. Toutefois, nous pensons qu’il y a très peu de potentiel de hausse des cours pour la plupart d’entre elles. Les investisseurs devraient continuer à surveiller les décisions de la Banque du Canada en prévision d’une augmentation des taux, qui à notre avis aura un effet significatif sur l’activité des ventes d’immobilier, puis affectera les prix.

Les autorités canadiennes ont été incapables d’empêcher la hausse des prix

Les faibles taux d’intérêt ont continué à encourager les achats immobiliers au pays. La Banque du Canada maintient son taux directeur à 1 % depuis plus de deux ans. Nous pensons que les taux ont toutes les chances de demeurer faibles jusqu’à ce que la croissance économique s’améliore, mais nous ne voyons que peu de signes que cela se produit : alors que la croissance du PIB mensuel a été de 0,2 % en janvier, cette croissance a suivi une baisse de 0,2 % en décembre. De plus, avec un taux de chômage de 7,2 %, il est peu probable que le Banque du Canada accroisse ses taux d’intérêt. Nous pensons donc qu’un financement à bon marché des achats de domiciles devrait demeurer en place pendant quelque temps.

Cette période prolongée de taux d’intérêt faibles a contribué à la hausse du prix des habitations pour tous les types de logement et toutes les géographies. Depuis 2001, les prix des logements ont plus que doublé au Canada.

Alors que la banque du Canada a conservé les taux d’intérêt à un faible niveau pour des raisons macroéconomiques plus générales, la tâche d’essayer d’atténuer l’impact qu’ont des taux faibles sur le logement a incombé à la SCHL. Entre autres fonctions, cette organisation gère le Fonds d’assurance hypothécaire fournissant une protection aux banques pour leurs activités de prêts hypothécaires et contrôle environ 75 % du marché canadien de l’assurance hypothécaire. Cela donne à la SCHL pas mal de pouvoir pour influer sur les critères de prêt, et cette organisation a déjà resserré ses normes ces dernières années en réponse à la hausse des prix résidentiels. Pendant une brève période à partir de 2006, la SCHL a assuré des hypothèques avec des périodes d’amortissement aussi longues que 40 ans et des ratios prêt/valeur de 100 %. Depuis lors, la SCHL a progressivement resserré les normes en diminuant la période d’amortissement et en augmentant le capital requis pour ses prêts assurés. La mise de fonds minimum a été prestement ramenée à 5 %, et plus récemment, en juin 2012, la période d’amortissement maximum de l’emprunt a été réduite à 25 ans, ce qui avait été la norme avant 2006, et le capital requis pour refinancer une résidence est passée de 15 % à 20 %.

Il semble que le plus récent resserrement de la SCHL a eu un impact immédiat sur les prix de l’immobilier résidentiel ces six à 12 mois. Les augmentations des prix résidentiels sur 12 mois, qui étaient régulièrement au-dessus des 6 % en 2011, ont chuté jusqu’à zéro ou presque. Les prix résidentiels à l’échelle nationale ont en fait chuté pendant trois des sept ans passés.

Puisque la baisse des prix a commencé à se produire avant la mise en applications des règles de l’assurance de la SCHL, il semble que le marché de l’habitation avait déjà perdu un peu de son élan. Toutefois, la stabilisation des prix et leur chute n’ont eu qu’un impact mineur sur les nouvelles mises en vente et le volume des ventes. Le taux annualisé des nouvelles mises en vente de propriétés résidentielles n’a baissé que de 7 % en février 2013, par rapport au plus récent sommet atteint à la fin du deuxième trimestre de 2012, juste avant la publication des nouveaux paramètres d’assurance de la SCHL. De même, le taux de vente annualisé a chuté d’environ 12 % depuis le deuxième trimestre de 2012.

Bien que les ventes aient de toute évidence ralenti, le marché de l’habitation semble avoir atteint un équilibre alors que les ventes représentent 50 % des nouvelles offres, avec environ six mois d’inventaire présentement en vente, ce qui correspond bien aux moyennes à long terme.

Les taux d’intérêt faibles continuent à accroître les niveaux d’endettement

La faiblesse des taux d’intérêt continuera à apporter un financement bon marché au secteur de l’immobilier et à être le moteur de l’endettement du consommateur. Alors louer paraît moins cher, être propriétaire d’un domicile peut offrir des avantages intangibles qui deviendront de plus en plus abordables à mesure que chutent les taux d’intérêt. Lorsque l’immobilier est considéré comme un bon placement, les gens vont généralement acheter la maison la plus chère qu’ils peuvent (c’est-à-dire emprunter le plus possible) en raison de la faiblesse des taux, et le niveau d’endettement du consommateur par rapport à son revenu disponible ne cesse d’augmenter. Toutefois, nous continuons à penser que l’augmentation de la dette des ménages par rapport au revenu disponible des Canadiens ne peut pas se poursuivre très longtemps.

L’impact de la bulle de l’immobilier sur les banques

De toute évidence, les prêts résidentiels représentent une grande partie des affaires des banques, la plupart d’entre elles ayant plus de la moitié de leurs prêts canadiens constitués d’hypothèques résidentielles. Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) reste très soucieux des risques que comporte l’accroissement de la dette du consommateur ainsi que de l’exposition des banques aux prêts résidentiels dans cet environnement.

Récemment, le BSFI a désigné les six banques canadiennes que nous couvrons comme banques systémiquement importantes de par leur taille et leurs liens entre elles et avec le système financier dans son ensemble. Il en résulte que le BSIF aura besoin de capitaux supplémentaires comme marge de sécurité par rapport aux actions ordinaires des banques, équivalant à 1 % des actifs pondérés selon le risque d’ici janvier 2016. Les banques canadiennes seront donc tenues de détenir 8 % d’actions ordinaires par rapport aux actifs pondérés selon le risque d’ici la date limite. Actuellement, seule la Banque Nationale du Canada est un peu au-dessous de cette norme avec 7,9 %.

Néanmoins, nous avons examiné l’exposition des banques aux prêts résidentiels. Les banques canadiennes, collectivement, affirment que la plus grande différence entre elles-mêmes et les banques américaines juste avant la bulle immobilière est le niveau plus élevé de capital, en moyenne, que détiennent la plupart des banques canadiennes dans leurs portefeuilles de prêts résidentiels. Le ratio prêt/valeur moyen de ces sociétés est en gros de 45 % à 60 %.

Nous avons comparé les ratios prêt/valeur du marché de l’habitation américain conduisant à l’effondrement de 2008-2009 et du marché canadien pour 2006 et 2013. La valeur moyenne du ratio prêt/valeur aux États-Unis juste avant l’écroulement du secteur de l’habitation était de 54 % à 55 %, soit très comparable aux ratios actuels des banques canadiennes. Plus important encore, la distribution des ratios prêt/valeur pour les hypothèques canadiennes en 2013 actuellement assurées par la SCHL indique une plus grosse proportion de prêts dans les catégories au ratio prêt/valeur plus élevé à comparer des niveaux de 2006. Nous pensons que cela démontre un risque supérieur encouru par la SCHL et le niveau de capitalisation des banques. En fait, la proportion de prêts qui ont des ratios prêt/valeur supérieurs à 80 % est plus élevée parmi les banques canadiennes que pour les banques américaines en 2007, juste avant l’effondrement du secteur de l’habitation.

Avec un grand pourcentage d’hypothèques des banques canadiennes situées dans la fourchette prêt/valeur de 70 % à 80 %, il ne faudrait qu’une baisse des prix de 10 % pour que ces prêts dépassent les normes actuellement autorisées par la SCHL sur les nouveaux prêts. Si les valeurs immobilières devaient chuter précipitamment, beaucoup de ces prêts tomberaient dans les catégories du ratio prêt/valeur les plus élevées. Nous l’avons déjà vu avec les prêts résidentiels aux États-Unis en 2009.  Les réserves de la SCHL pourraient s’avérer insuffisantes pour couvrir les pertes des hypothèques assurées

Nous avons estimé les pertes potentielles pour les demandes de règlement au titre de la couverture de la SCHL pour chaque banque canadienne, en moyenne, dans son portefeuille de prêts résidentiels. Alors que de nombreuses hypothèques canadiennes ont des ratios prêt/valeur faibles à cause de l’appréciation récente du prix des habitations, 28 % des hypothèques canadiennes assurées on des ratios de 80 % ou plus. Nous nous inquiétons que cela crée un risque que les sommes à payer par la SCHL dépassent son capital si le prix des habitations canadiennes venait à décliner. En se servant de l’expérience américaine comme scénario possible de ce qui pourrait arriver au Canada, nous estimons que si le prix des habitations devait chuter de 20 % et si 20 % des hypothèques dépassant la valeur de la propriété se trouvaient en défaut de paiement et avaient un taux de recouvrement de 60 %, les pertes de 12 G$ qui en résulteraient absorberaient plus de 90 % des 13 G$ de capital du fonds d’assurance. Si 100 % des prêts à valeur négative devaient se trouver en défaut de paiement, nous calculons que même une baisse modeste des prix de 10 % feraient plus qu’épuiser le capital de la SCHL.

Les pertes des hypothèques non assurées pourraient entamer le capital des banques de façon significative

Pour les prêts résidentiels non assurés, nous pensons que les pertes potentielles encourues directement par les banques pourraient être importantes et entamer leur capital. Une fois de plus, nous présumons un recouvrement de 60 % du solde des emprunts non assurés, supposant des pertes de 100 % sur le solde non assuré affectant directement les actifs corporels. Si 20 % des prêts résidentiels à valeur négative sont des pertes, l’impact sur les niveaux d’actifs corporels devient important avec une réduction des prix de 30 % à 40 %. Dans le pire des cas, si tous les prêts résidentiels étaient des pertes et que les prix résidentiels chutaient de 30 %, nous pensons que près de la moitié des actifs corporels de la plupart des banques serait touchée.

Le capital n’est pas une protection à toute épreuve

La plupart des banquiers canadiens aiment bien montrer le capital intégré aux portefeuilles de prêts résidentiels comme protection du capital des banques contre des pertes importantes. D’après l’expérience américaine, nous pensons que cet argument n’est pas à toute épreuve pour protéger les banques canadiennes ou la SCHL contre les pertes. Nous pensons que la distribution des ratios prêt/valeur est beaucoup plus importante pour déterminer l’impact qu’un effondrement du secteur de l’habitation aura sur les banques canadiennes. Nous continuerons à surveiller les développements concernant l’immobilier résidentiel canadien. Toutefois, nous ne sommes pas convaincus que le capital intégré aux prêts résidentiels suffit à protéger entièrement les banques ou le contribuable canadien.

Photo Bloomberg