Vers un nouvel élan ?
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Il faut notamment que les bénéfices des banques se redressent pour que les indices soient en hausse de manière soutenue, selon elle.

Pour Philippe Langham, gestionnaire du Fonds d’actions de marchés émergents RBC, le fait que les devises des pays émergents sont encore très sous-évaluées est une des raisons pour laquelle le rebond boursier peut se poursuivre.

L’autre raison est que même si la croissance économique ralentit à court terme, elle s’accélérera probablement dans l’avenir, mue par les réformes qui ont justement été mises en oeuvre dans la foulée du ralentissement économique des dernières années de même que par l’assouplissement monétaire qui est encore en vigueur.

Pour Jeff Feng, gestionnaire de la Catégorie marchés émergents Trimark, la reprise des marchés émergents devrait continuer, même si son rythme de progression ralentit. Car même si la croissance de ces économies s’essouffle, la plupart d’entre elles continuent de croître à un rythme au moins deux fois plus élevé que celui des pays développés, alors que l’Europe et le Japon croissent à peine.

Or, justement, les politiques monétaires laxistes de la Banque centrale européenne (BCE) et du Japon créent des liquidités excédentaires qui finissent par se retrouver en partie dans les pays émergents, alors que les investisseurs qui cherchent de meilleurs rendements poussent du même coup à la hausse la valeur des devises de ces pays.

Devises volatiles

L’impact des fluctuations de devises sur le rendement des titres de marchés émergents n’est pas négligeable. L’indice JP Morgan emerging markets currency, qui mesure un panier de ces devises par rapport au dollar américain, a chuté de 36 % entre son pic du 29 avril 2011 et le 29 avril 2016.

En comparaison, 100 $ US investis dans l’indice des marchés émergents (ME) MSCI le 29 avril 2011 ne valaient plus que 79 $ US cinq ans plus tard, soit un recul de 21 % : l’avance des actions dans l’indice ME MSCI a été insuffisante pour enrayer la baisse des devises de ces marchés.

Mince consolation, l’effondrement du dollar canadien a fait en sorte que 100 $ CA investis dans le même indice MSCI valaient un peu plus de 104 $ CA cinq ans plus tard…

«Dans le passé, des périodes de trois à cinq ans de contre-performance des marchés émergents par rapport aux marchés développés ont été suivies de périodes de rendements supérieurs. Ainsi, l’indice mondial MSCI a généré des rendements de 36,2 %, de 15,4 % et de 18,8 %, respectivement, en 2013, 2014 et 2015, par rapport à 4,4 %, à 7,1 % et à 1,5 % pour l’indice ME MSCI, en dollars canadiens. Par contre, de 2001 à 2007, ce dernier a affiché un rendement supérieur à l’indice mondial MSCI», remarque Christine Tan.

«La cause principale de la bonne performance des marchés américains au cours des trois dernières années a été l’influx d’argent vers des actifs libellés en dollars américains et non la croissance spectaculaire des bénéfices, puisque le rendement des actions provenait essentiellement de l’expansion des multiples», indique Christine Tan.

Rappelons que les marchés émergents ont reculé de près de 35 % (en dollars américains) entre leur dernier pic du 5 septembre 2014 et leur creux du 20 janvier 2016. Or, une étude de Morgan Stanley a montré que le recul médian de l’indice des ME MSCI entre un pic et son creux subséquent a été de 31 % au cours des marchés baissiers précédents.

Les trois gestionnaires s’accordent pour dire que l’écart d’évaluation qui s’est créé avec les marchés développés a pu être ignoré pendant un certain temps, mais qu’il était devenu trop important pour que les investisseurs n’en prennent pas note et profitent des aubaines.

Habituellement, l’escompte entre le ratio cours/bénéfices de l’indice mondial MSCI et celui des ME oscille entre 15 % et 20 %, alors qu’il était de 31,3 % au 31 mai dernier. Et l’escompte était de 31,5 % en ce qui a trait au ratio cours/valeur comptable.

«Ces escomptes sont très élevés et pourraient rétrécir à l’avenir. Il faut toutefois être prudent avec plusieurs titres qui ont des ratios très bas, dont la rentabilité est inférieure au coût de leur capital», souligne Philippe Langham.

De la valeur à récupérer

Toujours est-il que les marchés émergents se négocient à des multiples à peine plus élevés qu’ils ne l’étaient il y a une vingtaine d’années. Ainsi, l’indice MSCI des marchés émergents se négociait récemment à 11 fois les bénéfices des 12 prochains mois, par rapport à 16,9 fois pour le S&P 500. Pourtant, la croissance prévue des bénéfices de l’indice ME MSCI pour la même période était récemment de 22 %, par rapport à 12,6 % seulement pour les bénéfices du S&P 500.

«Au début de 2016, les marchés émergents étaient très abordables, en particulier le marché brésilien. Mais en février, nous avons vu le dollar américain reculer substantiellement par rapport aux devises des pays émergents et les marchés ont bondi. Néanmoins, il y a encore beaucoup de valeur dans les marchés émergents, en tenant compte du fait qu’ils sont à la traîne depuis plusieurs années. Je crois qu’ils vont réaliser un meilleur rendement que les marchés développés dans les années à venir», soutient Christine Tan.

À court terme, les cours des matières premières continuent d’influencer l’indice des marchés émergents MSCI. «Cependant, au cours des cinq dernières années, les marchés émergents dans leur ensemble sont passés d’une période où les deux principaux moteurs de croissance étaient l’exportation de matières premières et la croissance de la Chine à une croissance fondée sur la consommation intérieure. Au début de l’année, le secteur des matières premières ne représentait plus que 15 % de l’indice marchés émergents MSCI, par rapport à plus de 35 % il y a cinq ans. En comparaison, les matières premières ne comptent que pour 10 % de l’indice mondial MSCI», observe Philippe Langham.

Ce dernier pense que les investisseurs commencent à comprendre que ces changements dans les marchés émergents feront augmenter la croissance à long terme, même si à court terme, elle ralentit.

«Plusieurs réformes ont été mises en oeuvre dans la foulée du ralentissement économique des dernières années. On peut espérer qu’elles favoriseront la croissance à moyen et long terme», ajoute-t-il.

«À mon avis, c’est positif que la plupart des gouvernements de pays émergents se préoccupent maintenant davantage de la qualité de la croissance économique plutôt que de sa quantité. Ce rééquilibrage est particulièrement important pour les pays qui ont bénéficié du prix élevé des matières premières, notamment l’Arabie saoudite, Dubaï, l’Afrique du Sud et le Brésil. Une croissance plus modérée mais durable est en réalité meilleure pour les entreprises, parce que de bonnes équipes de direction peuvent se concentrer sur l’optimisation de leurs activités et l’expansion de leurs marges. Pensez aux États-Unis au cours des dernières années, alors que la croissance économique a considérablement ralenti : les sociétés en ont profité pour se restructurer et recentrer leurs activités», reprend Christine Tan.

Poussée de la consommation

Un thème central de la thèse d’investissement dans les marchés émergents demeure la montée de la consommation intérieure. D’abord, du point de vue démographique, les pays émergents sont très loin d’avoir atteint le maximum de leur croissance. Ce qui a pour corollaire que la demande pour les infrastructures urbaines reste forte, alors qu’un million de personnes par semaine déménagent dans des villes.

De plus, lorsque les revenus des consommateurs des marchés émergents atteignent un certain seuil, généralement autour de 10 000 $ US par personne, la consommation discrétionnaire décolle en flèche, note Philippe Langham.

«Il y a énormément d’individus dont les revenus se situent juste sous ce seuil. Or, on remarque une très nette progression des salaires dans les marchés émergents, et des millions de personnes sont sur le point de l’atteindre», précise-t-il.

«Nous investissons dans les tendances les plus prévisibles, et la montée de la consommation est une conséquence maintes fois observée de l’enrichissement graduel dans les pays développés, et déjà observable dans les pays les plus avancés des marchés émergents comme Taïwan, la Corée du Sud, la Chine, le Brésil et l’Inde», soutient Jeff Feng.

«Contrairement aux marchés développés, il y a encore dans les marchés émergents des titres de consommation qui se négocient à des multiples attrayants parce que plusieurs investisseurs ont des inquiétudes à l’égard des titres de marchés émergents qui sont d’un autre ordre que leur évaluation fondamentale, telles que la solidité de la devise, la stabilité politique et la liquidité des titres», reconnaît Jeff Feng.

Ce dernier juge toutefois trop important l’escompte accordé à ces titres en raison de ces inquiétudes, surtout quand on considère que les consommateurs, notamment en Chine, sont très peu endettés et qu’ils peuvent utiliser le crédit pour consommer davantage.