Un homme d'affaire redressant une courbe. Des billets de banque tombent tout autour.
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Alors que les experts de la Réserve fédérale américaine (Fed) se disaient récemment plutôt ouverts à de futures hausses de taux, Pablo Martinez, Vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Gestion d’actifs CIBC, a profité du midi « Perspectives du Marché et de l’Économie en 2019 » de son institution financière pour expliquer pourquoi une telle politique n’est pas soutenable à long terme.

« Chaque année, les prévisionnistes affirment que les taux d’intérêt vont monter et ils se trompent souvent. Les taux d’intérêt montent beaucoup moins que ce que l’on prévoit et je ne pense pas que cette tendance puisse s’inverser », affirme-t-il.

L’expert explique que les bas taux d’intérêt ont poussé les acteurs économiques à s’endetter et l’endettement est devenu tellement élevé que monter les taux d’intérêt serait devenu, selon lui, « pratiquement synonyme » d’une récession.

Pour relancer l’économie en 2008, les banques centrales ont pratiquement fait tomber leur taux directeur à 0. Cela a évité une récession comparable à celle de 1930, mais baisser les taux amène son lot de déséquilibres dans les marchés.

Depuis 2016, les banques centrales américaine et canadienne tentent d’inverser la situation et de ramener la situation à ce qu’elle était avant la crise économique. Elles ont ainsi commencé à remonter leur taux directeur respectif, arguant que cela n’avait pas de sens qu’ils soient aussi bas dans un environnement de croissance économique. Elles ont également décidé d’arrêter les achats d’obligations, évoquant le fait que les banques centrales n’ont pas à détenir un aussi gros pourcentage d’obligations dans le marché.

Cette politique a bien fonctionné jusqu’à la fin de 2008 où le marché a commencé à être nerveux. « Cela montre une dépendance assez forte des agents économiques à un taux d’intérêt très faible », note Pablo Martinez. La preuve selon lui, c’est le changement d’attitude de Jerome Powell, directeur de la Fed au début 2019.

Ainsi, malgré les turbulences dans le marché dues entre autres au Brexit et à la guerre commerciale opposant la Chine aux États-Unis, le directeur de la Fed disait vouloir encore faire monter les taux. « Le marché s’est retrouvé encore plus dans le trouble, et ce, jusqu’à ce qu’il change son fusil d’épaule », souligne Pablo Martinez.

Les facteurs qui empêchent une hausse de taux

En plus de cette dépendance des agents économiques, Pablo Martinez estime que d’autres facteurs empêchent de trop nombreuses hausses de taux. L’un d’eux est l’endettement des ménages.

Après 2008, comme les taux étaient très bas, les consommateurs canadiens, qui représentent près de 70 % du PIB, se sont endettés. Ainsi, dès que la Banque du Canada a décidé de monter les taux, ces Canadiens ont suivi le rythme avec plus de difficulté. Du moins, ils ont diminué leurs dépenses de manière significative et certains se sont trouvés forcés de déclarer faillite, comme on a pu le constater au début de l’année.

Un autre secteur où cette baisse a été profitable est celui des entreprises. À l’image des consommateurs, celles-ci se sont aussi endettées.

« Les entreprises sont capables d’émettre des obligations sans que cela ne leur coûte cher, donc elles en émettent. La dette corporative a triplé aux États-Unis depuis la crise. On n’a jamais vu autant de dettes de sociétés dans le marché américain et c’est la même chose au Canada », constate Pablo Martinez.

Ce dernier point l’inquiète, surtout qu’il a remarqué que les dettes de sociétés sont de moins en moins de bonne qualité. Aujourd’hui, un peu plus de la moitié des obligations de sociétés canadiennes proviennent de sociétés cotées triple B.

« Comme les investisseurs ont faim d’obligations de sociétés – parce que c’est un des seuls moyens de faire un peu d’argent dans les portefeuilles – on en achète de plus en plus et il y a peut-être certains investisseurs qui sont moins regardants quant à la qualité du produit », explique-t-il.

Les obligations triple B varient davantage que les autres obligations selon les aléas du marché. Il estime toutefois que le moment est parfait pour se départir de ces obligations un peu plus risquées car il y a de nombreux acheteurs qui cherchent ce genre de titre en ce moment.

« Jusqu’à un certain point, le marché nous offre une deuxième chance de se débarrasser des titres qu’on aimait moins à la fin de décembre 2018. Nous sommes tout de même à la fin d’un des plus gros cycles économiques qu’on n’ait jamais vus. S’il y a des obligations que vous aimez moins, c’est une bonne occasion de s’en départir », assure-t-il.

Peu de marge de manœuvre en cas de récession

Étant donné que les taux directeurs sont bien plus bas qu’avant la crise de 2008, les banques centrales ne pourront pas soutenir le marché en cas de ralentissement économique plus prononcé qu’attendu. Cependant, Pablo Martinez affirme que la situation n’est pas la même qu’à l’époque. Selon lui, les débalancements du marché n’ont rien à voir avec ceux de 2008.

S’il conçoit que le marché canadien est dispendieux comme l’affirment certains experts, il estime qu’il se porte bien puisque l’économie est en croissance tout comme la population. Il pense donc qu’il n’y a pas vraiment de raison à l’intérieur du pays qui pourrait expliquer une récession.

Toutefois, certains facteurs exogènes pourraient être des déclencheurs, par exemple la guerre commerciale Chine / États-Unis ou les négociations du Brexit. La courbe des taux signale également des troubles à venir, mais à son avis cela ne veut pas dire que la situation sera aussi pire qu’en 2008. De plus, selon lui, les banques centrales ont tout de même des moyens d’agir.

« Oui, elles ont moins d’outils qu’auparavant, mais elles en ont quand même certains. À mon avis, l’Europe est dans une situation plus problématique que les États-Unis ou le Canada », conclut-il.