Rencontré lors du congrès annuel de l’Institut québécois de planification financière (IQPF), du 5 au 7 juin à Québec, Hervé de la Tour d’Artaise a accepté de partager ses impressions sur la France et le Québec avec Finance et Investissement.

Finance et Investissement : Quelles sont les différences et les similitudes entre l’industrie financière au Québec et en France ?

Hervé de la Tour d’Artaise : Il y a, premièrement, une différence dans la structure du marché. En France, on ne parle pas de planification financière, mais de gestion de patrimoine. Pour moi, c’est une gestion de fortune, d’actif et d’argent. La planification financière, c’est davantage une notion de gestion des flux et de positionnement dans le temps. On se fixe des objectifs pour deux ou cinq ans. On se demande où l’on est rendu aujourd’hui, où l’on sera demain et quels sont les moyens que l’on prendra pour arriver à atteindre nos buts. L’approche est un peu différente.

Une autre différence réside dans le fait qu’au Canada la retraite est un enjeu central pour l’industrie. En France, la retraite repose sur le principe de répartition. [NDLR: les cotisations prélevées sur les salaires des actifs (cotisations salariales et patronales) servent à payer les pensions des retraités selon le pacte de solidarité entre les générations.] Ce système est piloté par les partenaires sociaux et, derrière, par l’État. Nous avons donc une retraite qui, jusqu’à maintenant, était extrêmement sécurisante pour les gens qui ne voyaient pas la nécessité de faire de grandes réserves pour le futur. Toutefois, les choses changent et commencent à avoir un impact sur le rapport des jeunes Français face à l’épargne.

FI : Comment la crise a-t-elle changé la donne en France ?

Hervé de la Tour d’Artaise : Le marché se compose, en France, essentiellement des banques, qui ont une position de leaders, des assureurs et des indépendants. Si je devais établir un ordre de proportions, je dirais que les banques font 70 % des placements de capitaux, tandis que les assureurs ont 20 % et les indépendants 10 %.

Je crois que lorsque la croissance est là et que les marchés sont bons, cela camoufle les erreurs. Quand on ne gagnait que 15 % et que marché faisait 20 %, ça excusait beaucoup de choses aux yeux des clients. Il y a maintenant une certaine méfiance des clients par rapport aux fournisseurs de produits qui ne comprenaient pas visiblement ce qu’ils ont vendu au public. Les indépendants suivent leurs clients de plus près et sont plus proactifs, ils ont donc un peu profité de cette nouvelle méfiance du public envers les banques.

Les assureurs, eux, vivent des produits à grande échelle et j’ai peur qu’ils se retrouvent dans la même situation que les banques qui offrent des produits peu adaptés et peu personnalisés aux clients.

FI : Remarquez-vous la même augmentation des exigences règlementaires en France ?

Hervé de la Tour d’Artaise : Je vois une similitude dans la réglementation, non seulement sur le marché canadien ou français, mais en Chine et partout ailleurs dans le monde. La tendance est que les pouvoirs publics veulent contrôler le marché. Les excès du passé vont forcément favoriser un renforcement du contrôle et de la réglementation.

C’est la responsabilité des professionnels de se prendre en charge, de se structurer et de s’organiser pour permettre des échanges afin d’aider les clients qui se retrouvent avec des besoins internationaux, comme les Canadiens qui travaillent en France ou les jeunes Français qui viennent ici. Si je suis certain que les autres planificateurs travaillent comme moi, je pourrais les consulter avec confiance. À l’opposé, si je sais qu’ils font n’importe quoi je n’aurai aucune confiance !

FI : Aimeriez-vous mettre sur pied des comités de travail entre les planificateurs québécois et les conseillers en gestion de patrimoine français ?

Hervé de la Tour d’Artaise : Je travaille essentiellement pour des cadres d’entreprise de tous les secteurs d’activités, il est donc très fréquent qu’ils travaillent dans deux pays ou plus durant leur carrière. On ne peut plus faire de la planification financière si l’on ignore les environnements fiscaux et financiers des autres pays. Ce qui est important, c’est qu’on ait la même façon de travailler. En France, nous ne serons jamais spécialistes de la retraite canadienne et vice-versa. Toutefois, par l’intermédiaire de l’IQPF, je pourrais avoir un interlocuteur honnête et professionnel qui pourrait m’aider à satisfaire le besoin de mon client. L’important, c’est de protéger le client.