Pile de documents imprimés avec de grosses pinces colorées (jaune, bleu, rouge, orange) posés sur un bureau en bois. À gauche, un carnet est visible, ambiance bureau lumineux flou en arrière-plan.
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Quatre ans après l’entrée en vigueur des réformes axées sur le client, des sociétés de services financiers peinent encore à respecter leurs obligations réglementaires. Un examen mené auprès de 105 firmes révèle que plusieurs n’ont même pas actualisé leurs processus pour se conformer aux nouvelles exigences.

C’est ce qui ressort d’un avis conjoint publié le 10 décembre par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) et l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI). Le document fait état de lacunes importantes dans trois domaines clés :

  • la connaissance du client,
  • la connaissance du produit
  • et l’évaluation de la convenance.

Des profils de risque mal établis

L’un des problèmes les plus fréquents concerne l’établissement du profil de risque des clients. Les réformes exigent désormais que les personnes inscrites évaluent deux facteurs distincts : la tolérance au risque (la volonté d’accepter les risques) et la capacité de prendre des risques (l’aptitude financière à absorber des pertes).

Or, plusieurs sociétés continuent d’évaluer uniquement la tolérance au risque, comme le permettaient les anciennes règles. D’autres traitent les deux facteurs de manière indifférenciée dans leurs formulaires, ce qui entraîne des erreurs dans l’établissement du profil de risque global.

« Certaines personnes inscrites se contentaient d’examiner la situation personnelle et financière du client pour évaluer sa capacité de prendre des risques, sans lui demander son avis sur le sujet », notent les régulateurs dans leur rapport. À l’inverse, d’autres s’appuyaient uniquement sur l’autoévaluation du client sans vérifier sa situation financière réelle.

Information financière insuffisante

Les examens ont également révélé que plusieurs sociétés ne recueillent pas suffisamment de renseignements sur la situation financière de leurs clients. Certaines omettent complètement de documenter les besoins en liquidités, un facteur pourtant crucial lorsque des clients investissent dans des titres illiquides ou sans option de rachat.

D’autres utilisent des fourchettes si larges pour évaluer les actifs financiers qu’il leur devient impossible de réaliser une évaluation exacte. Par exemple, établir qu’un client possède entre un et cinq millions de dollars d’actifs financiers nets signifie qu’un investissement de 400 000 $ pourrait représenter de 8 % à 40 % de son portefeuille.

« Pour bien évaluer la convenance, il importe de recueillir des renseignements suffisamment détaillés, selon les circonstances, sur chacun des aspects de la situation financière du client », précise l’avis.

Mise à jour défaillante

La tenue à jour de l’information sur les clients pose également problème. Plusieurs sociétés n’ont pas respecté la fréquence minimale obligatoire de révision. D’autres ont omis de mettre à jour les dossiers après avoir pris connaissance de changements significatifs, comme une perte d’emploi, un départ à la retraite ou un divorce.

Certaines personnes inscrites déclarent avoir rencontré leurs clients pour vérifier que leur information n’avait pas changé, mais n’ont conservé aucune documentation attestant ces rencontres. « Il ne suffit pas d’inscrire “aucun changement” dans le dossier du client ou le formulaire “Connaissance du client” ; il faut démontrer qu’on a eu avec le client un échange valable », précisent les régulateurs, qui ajoutent que cet exercice ne doit pas être traité comme une simple formalité.

Connaissance du produit : documentation absente

Du côté de la connaissance du produit, de nombreuses sociétés ont omis de constituer une documentation suffisante pour démontrer qu’elles avaient bien évalué les titres offerts. Dans certains cas, les documents relatifs au contrôle diligent étaient conservés, mais sans indication de la date d’examen, de la personne responsable ou de la démarche suivie.

« Bien qu’il soit permis de s’appuyer sur les rapports d’autres parties pour évaluer les produits, les sociétés doivent documenter leur propre analyse », insistent les régulateurs.

Les portefeuilles modèles et les titres d’émetteurs reliés ou associés font aussi l’objet de lacunes. Certaines sociétés ont supposé à tort que leur relation avec l’émetteur suffisait à démontrer le respect de leur obligation d’évaluation.

Convenance : facteurs ignorés

L’évaluation de la convenance au client représente le troisième volet problématique. Plusieurs personnes inscrites n’ont pas mis en place les processus nécessaires pour prendre en compte tous les facteurs obligatoires avant de recommander un placement.

Si l’information sur le client et sur le produit est généralement considérée, trois facteurs sont souvent négligés :

  • les conséquences de la mesure sur le compte du client (notamment la concentration et la liquidité),
  • l’incidence des coûts sur les rendements,
  • et l’examen d’un ensemble raisonnable d’autres mesures possibles.

Par exemple, certaines sociétés qui offrent plusieurs séries d’un même fonds avec des coûts variables omettent d’évaluer l’incidence de ces coûts lors de la sélection d’une série pour un client. D’autres n’ont aucun mécanisme pour identifier les comptes qui pourraient être admissibles à des placements plus économiques une fois les seuils d’actifs atteints.

Des progrès notables chez certaines firmes

Malgré ces lacunes, l’examen révèle que certaines sociétés ont déployé des ressources importantes pour s’adapter aux réformes et ont réalisé des progrès considérables. Les régulateurs soulignent plusieurs bonnes pratiques observées sur le terrain.

Du côté de la connaissance du produit, certaines grandes sociétés intégrées ont instauré des processus détaillés qui établissent le type d’évaluation à effectuer selon la catégorie d’actifs, ainsi que les comités et personnes responsables. D’autres ont mis en place des solutions technologiques qui génèrent et enregistrent automatiquement les renseignements clés sur les titres, facilitant ainsi le travail des personnes inscrites.

Plusieurs courtiers sur le marché dispensé se sont dotés de mécanismes robustes pour tenir compte de la concentration dans les titres d’un émetteur ou d’un secteur, ainsi que de la concentration globale dans les titres du marché dispensé par rapport aux actifs financiers nets du client. Certains utilisent même des seuils variables plus prudents pour les investisseurs ayant une faible tolérance au risque ou pour les aînés.

Pour l’évaluation de la convenance, des firmes ont développé des approches adaptées à leur modèle d’entreprise. Certains gestionnaires de portefeuille effectuent et documentent l’évaluation au niveau du mandat d’investissement pour les clients partageant les mêmes objectifs, évitant ainsi de reproduire la documentation pour chaque client tout en maintenant des contrôles efficaces au niveau individuel.

« Nous avons recensé un éventail de bonnes pratiques quant à la réalisation et à la documentation des évaluations de produits », notent les régulateurs, qui encouragent les sociétés à s’inspirer de ces exemples.

Mesures correctives et indications

Lorsque des lacunes ont été relevées, les régulateurs ont exigé des sociétés qu’elles y remédient dans un délai raisonnable. Les manquements graves ont nécessité des mesures réglementaires additionnelles.

Le personnel des ACVM et de l’OCRI fournit dans son avis des indications détaillées pour aider les personnes inscrites à améliorer leurs pratiques. Les régulateurs soulignent que les politiques et procédures doivent être suffisamment détaillées pour permettre aux personnes inscrites de comprendre et de respecter leurs obligations réglementaires.

« Nous reconnaissons que l’application différera selon la catégorie d’inscription, le modèle d’entreprise et le type de relation avec le client propres à chaque personne inscrite », précise l’avis, qui présente également des exemples de bonnes pratiques adoptées par certaines sociétés.

Rappelons que les obligations en matière de connaissance du client, de connaissance du produit et d’évaluation de la convenance sont entrées en vigueur le 31 décembre 2021. Les régulateurs continueront d’examiner la conformité des sociétés dans le cadre de leurs examens réguliers.