Protéger le client de lui-même
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Ray Sin poursuit sa métaphore reposant sur l’alimentation. «Si vous vous trouvez dans une ville étrangère et que vous ne savez pas où aller manger, vous consultez Yelp (une application qui regroupe des millions de critiques de restaurants) ou s’il y a une file d’attente devant un resto, vous considérez que c’est un bon signe. Toutefois, ce genre de comportement intuitif n’est pas recommandé en matière d’investissement. Est-ce que l’action la plus populaire sera forcément la meilleure à long terme ? Il suffit de se remémorer les nombreuses bulles sur les marchés ou l’évolution du cours de certains titres comme Pets.com pour conclure que non», constate le chercheur.

Homer Simpson ou Spock

De plus, les recherches montrent que la prise de décision chez l’humain repose sur deux systèmes, l’un qui fait davantage appel à l’émotivité et un autre qui est plus cartésien. «Nous avons tous un Homer Simpson et un Spock en nous», blague Ray Sin. Ainsi, des biais comportementaux, comme ceux d’excès de confiance ou de mémoire sélective, nous pousseront à acheter les titres à des cours élevés et à les revendre au creux de la vague, exactement le contraire de ce qu’il faut faire. Ou encore, nous nous laisserons influencer par les titres dont les médias parlent le plus, ce qui n’est guère mieux.

Comment s’y prendre alors pour aider un client à contrer ces biais ? Le conseiller pourrait, par exemple, demander à son client de se projeter dans l’avenir et de s’écrire une lettre dans laquelle il décrira son plan d’action. Comment réagira-t-il si jamais des tumultes devaient survenir sur les marchés ? Quels sont ses objectifs à long terme ? Quel pourcentage de son revenu est-il prêt à mettre de côté au fur et à mesure que son revenu augmentera ? On peut parier qu’il écrira qu’il ne paniquera pas et qu’il continuera à agir selon son plan d’action.

«Conservez cette feuille dans le dossier du client et sortez-la si jamais il s’écarte de son plan lors de la prochaine correction boursière», explique Stephen Wendel, chef du service de recherche sur les sciences du comportement chez Morningstar. Cela aura probablement pour effet de tempérer les réactions un peu trop émotives.

Stephen Wendel croit aussi qu’il est bon de démontrer aux clients que nous avons tous des biais comportementaux et de les préparer aux fluctuations boursières. Une façon d’y arriver est de changer le discours concernant les corrections baissières. Selon lui, les représentants ont tendance à présenter les corrections comme des baisses importantes des cours.

«Pourquoi ne pas plutôt dire qu’une baisse des cours représente une diminution du risque de subir des pertes dans l’avenir puisque la correction a déjà eu lieu ? Vu ainsi, c’est moins inquiétant», suggère Stephen Wendel.

Ce dernier croit aussi que l’on devrait fournir des exemples de réussite aux clients. «On pourrait ainsi demander à un client de nous nommer deux ou trois personnes qui, selon lui, ont réussi financièrement, de nous expliquer pourquoi et d’en tirer des leçons pour lui», recommande-t-il.

Le conseiller pourrait également leur suggérer des lectures, comme les ouvrages de Warren Buffett, David Chilton (Un barbier riche), Benjamin Graham et Stephen Jarislowsky.

Mesurer les rêves

Une autre façon d’aider le client est de l’encourager à être plus précis dans la définition de ses objectifs, selon Sarah Newcomb, titulaire d’un doctorat en économie comportementale et auteure de Loaded : Money, Psychology, and How to Get Ahead Without Leaving Values Behind. Par exemple, si un client indique à son conseiller qu’il veut voyager une fois à la retraite, il faut aller plus loin et lui demander s’il veut passer des vacances dans une copropriété en Italie, faire du ski dans les Laurentides ou jouer au golf en Floride et déterminer le coût approximatif de chacune des options.

Il sera ainsi plus facile de démontrer au client qu’un niveau d’épargne trop faible le forcera à rester chez lui, sur le balcon d’un centre d’accueil en bordure d’une autoroute passante. «Un autre biais comportemental pousse les clients à accorder plus d’importance aux besoins immédiats qu’aux besoins futurs et il faut les aider à se projeter dans l’avenir», explique Sarah Newcomb.

Pour ce faire, il peut être utile d’y aller graduellement. «Ainsi, vous pourrez aider le client à se fixer des objectifs sur un an, puis, par la suite, sur trois ou cinq ou dix ans», poursuit Sarah Newcomb. Par exemple, l’objectif pour la première année pourrait être le remboursement du solde d’une carte de crédit ou une cotisation au régime d’épargne-études de ses enfants.

Les gens qui ont une forte tendance à rechercher des gratifications à court terme pourraient même se permettre de petites dépenses folles si leurs objectifs sont atteints, question de rendre la transition vers une planification à plus long terme moins douloureuse. Il n’y a pas de mal à se faire du bien, dit-on souvent, mais à la condition de ne pas mettre son avenir en péril pour autant.