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La vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan, s’inquiète du « manque de rigueur » de ministères fédéraux pour recouvrer des prestations qui ont été versées en trop, en toute urgence, durant la crise de la COVID-19.

Dans l’un de leurs deux rapports très attendus déposés le 6 décembre dernier au Parlement, Karen Hogan et son équipe ont conclu qu’Ottawa a échoué à avoir des « plans rigoureux et complets pour vérifier l’admissibilité des bénéficiaires » ayant eu recours à des programmes d’aide tels que la Prestation canadienne d’urgence (PCU).

« Je suis préoccupée par le manque de rigueur des activités de vérification après paiement et de recouvrement », a déclaré Karen Hogan en point de presse, au sujet de l’audit mené sur plusieurs programmes de prestations d’urgence.

L’analyse de la vérificatrice générale a porté sur la PCU, qui a été très populaire au début de la pandémie, mais aussi sur d’autres programmes, comme la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE) et la Subvention salariale d’urgence.

Le bureau de la vérificatrice générale a pu établir que 4,6 milliards de dollars (G$) ont été versés en trop à des bénéficiaires inadmissibles et qu’une imposante somme d’au moins 27,4 G$ devrait être examinée puisqu’elle pourrait s’avérer un trop-perçu.

Or, on relève aussi que le gouvernement de Justin Trudeau ne prévoit pas « vérifier tous les paiements versés aux bénéficiaires identifiés comme à risque d’être inadmissibles ».

Karen Hogan a souligné en conférence de presse qu’elle a recommandé à ce que les ministères responsables mènent des vérifications plus « exhaustives » que celles prévues pour recouvrer l’argent versé en trop.

En date de la fin de l’examen de l’audit de la vérificatrice générale – visant le travail de l’Agence du revenu du Canada (ARC) et d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) – Ottawa n’avait récupéré que 2,3 G$, selon les données qui ont été fournies au bureau de Karen Hogan.

Les libéraux défendent le plan et la « rigueur » de l’ARC

La ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier, a tenu à exprimer le « désaccord » du gouvernement Trudeau quant aux estimations de Karen Hogan des « trop payés liés aux subventions aux entreprises ». Elle a, du même souffle, défendu le plan de l’ARC et la « rigueur » du travail qui y est mené.

« L’agence continue son laborieux travail de vérification et bien qu’il soit trop tôt pour se prononcer sur le montant total des trop payés, les résultats jusqu’à maintenant suggèrent un niveau de conformité plus élevé que celui estimé par la vérificatrice générale », a-t-elle dit en mêlée de presse.

Elle a soutenu que, dans le cas de la PCU, il a fallu attendre des mois pour que l’ARC dispose des données nécessaires pour s’assurer de l’admissibilité des prestataires, après versement de l’argent.

« Si l’on se souvient bien, en 2020, l’agence n’avait pas les données fiscales de 2019 lui permettant, par exemple, de confirmer le revenu des personnes qui demandaient la PCU », a fait valoir Diane Lebouthillier en notant que la date limite pour soumettre sa déclaration de revenus et payer ses impôts avait été repoussée.

L’audit portant sur ces initiatives déployées à toute vapeur, qui découle d’un examen légalement requis, souligne qu’Ottawa a choisi l’approche de mener l’essentiel des vérifications d’admissibilité après le versement de prestations afin de répondre à l’urgence de la situation. Dans l’intermède, les ministères responsables « se sont appuyés sur les attestations personnelles » des demandeurs.

« La vérification de l’admissibilité après paiement était d’autant plus importante qu’il existait un risque que certains bénéficiaires ne soient pas admissibles aux prestations qu’ils avaient reçues », précise le bureau de Karen Hogan.

Or ces vérifications menées après coup, en plus d’être jugées insuffisantes, accusent des retards préoccupants aux yeux de la vérificatrice générale.

« Le ministère et l’agence risquent de ne pas terminer toutes les vérifications après paiement prévues dans les délais établis, a-t-on écrit. Ils pourraient donc être incapables de relever et de recouvrer une partie des montants dus. »

Selon des fonctionnaires de l’ARC qui ont répondu à quelques questions des médias, le 6 décembre en après-midi, Ottawa est sur la bonne voie pour récupérer l’argent des trop-perçus avant qu’il ne soit trop tard.

« On a un plan en place. On est très, très à l’aise avec le plan », a dit l’une de ces fonctionnaires.

Elle a mentionné qu’environ 1700 vérifications ont été complétées, que 1900 autres étaient en cours et que 2500 seraient lancées l’an prochain.

« On s’attaque aux dossiers qui présentent les plus hauts risques. Mais on est encouragés par les résultats à date. On a un assez haut niveau de conformité de la part des organisations qu’on a vérifiées », a affirmé cette fonctionnaire.

Conservateurs et bloquistes demandent des ajustements

Réagissant au constat de « manque de rigueur » de Karen Hogan, le lieutenant du Québec pour l’opposition conservatrice, Pierre Paul-Hus, a affirmé que « ça démontre comment il y a du laxisme dans l’ensemble de la gestion des programmes ».

Aux côtés de son collègue porte-parole en matière de finances, Jasraj Singh Hallan, il a réclamé des libéraux de Justin Trudeau un nouveau plan de recouvrement des montants frauduleusement perçus.

« On avait levé un drapeau en 2020 en disant qu’il faudrait faire attention et mettre des balises », a déclaré Pierre Paul-Hus, ajoutant qu’il redoutait d’autres trop-perçus dans le cas de nouvelles initiatives voyant le jour, comme la prestation canadienne pour les soins dentaires.

Le chef bloquiste Yves-François Blanchet a, en mêlée de presse, appelé Ottawa à rajuster le tir en fonction des « recommandations qui sont faites pour des références futures ».

« Il y a des sommes à récupérer dans des délais qui pourraient s’avérer trop courts. Je recommande vivement que le gouvernement cible les cas d’abus les plus vraisemblables dont les sommes sont les plus importantes », a-t-il dit avant de se rendre à la Chambre des communes pour la période des questions.

De son côté, le porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière de finances, Daniel Blaikie, a sommé le gouvernement de faire preuve de prudence pour éviter que « les gens d’ici qui ont fait une demande de bonne foi à ces programmes et qui n’ont pas l’argent pour rembourser (soient) persécutés ».

Dans une déclaration écrite, il a noté que le NPD demande la mise en place d’« une amnistie pour le remboursement de la PCU et de la PCRE pour les personnes à faible revenu ».