Patience génératrice d'occasions
123RF/Kheng Ho Toh

Prudents, les gestionnaires de portefeuilles d’actions mondiales interrogés par Finance et Investissement misent sur la sélection de titres pour tirer leur épingle du jeu.

«Les actions sont pleinement évaluées selon des mesures historiques. Cependant, dans un contexte où l’inflation est de 1 ou 2 %, un rendement boursier de 4 à 8 % est tout de même envisageable au cours de la prochaine décennie», estime Paul Moroz, cogestionnaire, avec Jim Hall, de la Catégorie d’actions mondiales Manuvie.

Ces deux portefeuillistes de Mawer Investment Management pratiquent une approche ascendante axée sur la sélection de titres. Or, ils n’en tiennent pas moins compte de tendances dans l’économie mondiale qui pourraient provoquer de l’instabilité, voire des dislocations, dans le marché.

Par exemple, le fait que la Chine ralentisse, au moment où les prix des produits de base sont faibles et que la Réserve fédérale américaine amorce un cycle de hausses de son taux directeur, crée des risques pour les sociétés et les pays exposés de manière importante à des dettes libellées en dollars américains et aux matières premières, dont plusieurs dans des économies sud-américaines.

«Le PIB du Brésil a chuté de 4,5 % au 3e trimestre de 2015 par rapport au trimestre correspondant de 2014 et l’on parle maintenant d’une dépression dans ce pays. De nombreux pays, peut-être même le Canada, sont pris dans cette vaste trame», note Paul Moroz.

Devises instables

De la même manière, du capital sort de Chine au moment même où certaines banques chinoises pourraient avoir besoin de se recapitaliser. Cela accroît le risque que la Chine soit forcée de vendre des obligations du Trésor américain ou de laisser sa devise se dévaluer davantage.

Or, une dévaluation importante du yuan serait probablement déstabilisante pour les nations exportatrices concurrentes et pourrait déclencher une guerre des devises, alors qu’une vente d’obligations du Trésor pourrait engendrer une crise pour le dollar américain.

«Dans ce contexte, vous vous tenez loin des produits de base et des endroits qui ancrent leur devise au dollar américain et qui pourraient être forcés de ne plus le faire pour des raisons concurrentielles. De même, vous évitez les pays à fort endettement en dollar américain, par exemple l’Indonésie», juge Paul Moroz.

Il prévient qu’il ne faut pas lire dans la pondération de 3 % du fonds dans le secteur énergétique une seule opinion sur ce secteur.

«Les titres qu’on y retrouve ne possèdent généralement pas les caractéristiques que nous cherchons, soit un rendement élevé du capital investi, rendement plus élevé que le coût de ce capital, une condition essentielle de création de richesse à long terme, qui découle d’un avantage concurretiel durable. Nous y détenons les ExxonMobil et Chevron de ce monde, qui ont les bilans nécessaires pour traverser une période prolongée de repli du pétrole et du gaz», explique Paul Moroz.

À l’inverse, plusieurs titres du secteur financier répondent à ses exigences, comme Wells Fargo, qui détient une part importante du marché hypothécaire américain et qui devrait être plus rentable dans un contexte d’augmentation des taux d’intérêt. De plus, l’institution financière est surtout exposée aux États-Unis, où il n’y aura aucun problème lié à la devise.

Les liquidités injectées par les programmes d’assouplissement quantitatif des différents banquiers centraux ont poussé les évaluations des titres de croissance à des niveaux élevés par rapport aux titres «valeur». Ainsi, le MSCI World Growth Index a dégagé un rendement de 24,12 % en 2015, par rapport à 15 % pour le MSCI World Value Index, en dollar canadien.

Occasion en santé

Il est possible que la hausse récente du taux directeur de la Réserve fédérale atténue cette tendance. Cela dit, cette hausse s’inscrit dans un processus de normalisation des taux, et non un resserrement classique du crédit, selon Stephen Jenkins et Doug Cooper, cogestionnaires de la Catégorie de société d’actions mondiales CI Harbour.

«La performance de l’économie mondiale, celle des États-Unis au premier chef, suggère que nous ne sommes pas prêts pour un resserrement classique des taux visant à prévenir une surchauffe», dit Stephen Jenkins.

«Parce que les taux d’intérêt ont été maintenus artificiellement bas, nos modèles d’évaluation incorporaient déjà un taux d’escompte plus réaliste. C’est pourquoi nos évaluations n’ont pas été touchées par la récente hausse du taux directeur de la Réserve fédérale. Si des hausses considérables devaient survenir en 2016, nos évaluations devront cependant être révisées», admet Stephen Jenkins.

Après avoir maintenu une pondération de 25 % en liquidités aussi récemment qu’en avril 2015, les deux gestionnaires disent avoir profité du recul des titres qu’ils avaient dans leur mire à la fin d’août dernier pour les acquérir à bon prix. Cette pondération était passée à 10,5 % au 31 janvier dernier.

Il y aurait encore des occasions d’investir l’encaisse restante au cours des prochains mois, et certains secteurs offrent un potentiel intéressant, notamment celui des soins de santé, qui jusqu’à récemment se négociait à des multiples élevés, reconnaît Stephen Jenkins, sur la base de perceptions de bénéfices de qualité.

Des inquiétudes concernant les prix exigés pour certains médicaments et l’arrivée de produits génériques ont toutefois modéré les ardeurs. Dans ces situations, il arrive souvent que tous les titres reculent, quelles qu’en soient leurs circonstances individuelles.

C’est ce qui leur a permis d’acquérir Johnson & Johnson à près de 14 fois les bénéfices : «Elle a un bilan solide comme du roc, avec 37 G$ d’encaisse, affiche un rendement de l’avoir élevé et détient la première ou deuxième part de marché dans trois ou quatre catégories, sans compter qu’elle génère environ 25 % de ces revenus de produits mis en marché au cours des cinq dernières années», rappelle Stephen Jenkins.

Les gestionnaires ont aussi pris une participation dans McKesson, le plus important distributeur de produits pharmaceutiques en Amérique du Nord, avec des revenus de 187,7 G$.

Assurant la livraison d’environ le tiers des médicaments utilisés quotidiennement dans les marchés qu’elle dessert, elle fait partie des trois principales sociétés qui contrôlent 90 % du marché nord-américain. Ses économies d’échelle et son pouvoir de fixation des prix créent un vaste fossé économique autour de ses activités.

Le secteur industriel offre aussi des occasions, comme InterTech, une société spécialisée dans les tests pour diverses industries.

Titres chers

L’économie ralentit à l’échelle mondiale, et plusieurs sociétés ont abaissé leurs prévisions et ont fait des mises à pied, concède Jeff Hyrich, gestionnaire principal du Fonds Destinée mondiale Trimark.

«Nous avons de la difficulté avec les évaluations élevées de plusieurs titres depuis les deux dernières années, comme en fait foi notre encaisse de 9,9 % à la fin de janvier dernier. Nous attendons patiemment que le cours des titres de qualité baisse davantage pour ne pas payer trop cher leur potentiel de croissance», explique-t-il.

«Les 35 titres du fonds affichent dans l’ensemble une évaluation 28 % moins élevée que l’indice. Et ce, tout en dégageant un ratio sur l’avoir 32 % supérieur à l’indice et un ratio dettes/capitaux propres 30 % inférieur à l’indice», indique-t-il.

Les concepts récents de Jeff Hyrich tendent à un investissement dans des entreprises de plus petite taille, moins liquides et moins suivies. On en trouve, entre autres, dans certains marchés émergents qui ont été faibles ces dernières années. Il précise que bâtir une position dans ces titres prend du temps, soit des mois, voire une année.

Acheter à contre courant

La capitalisation boursière moyenne du fonds est de 9 G$ US, ce qui le rapproche d’un fonds de capitalisation moyenne à l’échelle mondiale. «Les fonds d’actions mondiales les plus importants au Canada se concentrent sur les 230 sociétés dont la capitalisation est d’au moins 43 G$ US», rappelle-t-il.

Jeff Hyrich rappelle qu’il y a quelques années, contrairement à aujourd’hui, les marchés émergents étaient très populaires. En allant contre la tendance, il a pu y dénicher des titres qui ont été jetés avec l’eau du bain.

Récemment, les nouveaux concepts sur lesquels il travaille sont très diversifiés géographiquement. Il passe plus de temps sur le secteur des ressources, durement frappé ces derniers mois, préférant les titres qui offrent des services à l’industrie plutôt que ceux qui sont dans l’extraction même.

Aucun titre n’a été ajouté au portefeuille du fonds au 3e trimestre, ce qui cadre avec sa rotation de portefeuille de 12 % par année : un titre est conservé en moyenne huit ans.

Les entreprises détenues dans le Fonds Destinée mondiale Trimark tirent 35 % de leur chiffre d’affaires de l’Amérique du Nord, 32 % de l’Europe, 19 % de l’Asie-Pacifique et 15 % des marchés émergents.

«Toutefois, la diversification du fonds se fait d’abord par concept : chaque titre est un concept unique et il n’y a pas de chevauchement entre ces concepts. C’est très différent d’un fonds canadien typique qui détient les cinq grandes banques», souligne Jeff Hyrich.

Ross Stores est le titre le plus important en portefeuille, avec une pondération de 8,4 %. Il est dans le portefeuille depuis 17 ans. «Nous avons facilement obtenu 20 fois notre mise dans ce titre. C’est le même concept qu’un Winners au Canada. La société traverse les récessions sans broncher en vendant une variété de marques de vêtements à escompte. Elle possède 1 300 magasins aux États-Unis, mais elle peut facilement doubler ce chiffre. Le rendement de l’avoir est de 44 %.»