Pierre Marcoux et Stéphane Corriveau
Photo: Martin Laprise

Stéphane Corriveau est le gagnant de la catégorie institutions financières à portée nationale du Top 25 de l’industrie financière du Québec.

Finance et Investissement (FI) : Pourquoi avoir choisi de devenir actuaire?

Stéphane Corriveau (SC) : À la fin de mon CÉGEP, je ne savais pas trop dans quelle branche me diriger. Puis, par hasard, alors que je me trouvais dans un magasin, je croise à la caisse un de mes voisins, plus âgé que moi et que je n’avais pas vu depuis plusieurs années. Nous commençons à parler et je lui dis que je dois faire mon choix pour l’université et que j’hésite entre trois options : sciences économiques, ingénierie et actuariat. Il me répond alors : je ne sais pas ce que tu veux faire, mais dans tous les cas, ne va pas en actuariat, car c’est vraiment trop difficile. Alors dès que je suis arrivé chez moi, j’ai rempli les documents pour l’actuariat. Il m’avait challengé et moi, je carbure aux challenges. J’ai finalement quitté la région de Montréal pour aller étudier l’actuariat à l’Université Laval, à Québec, même si je ne connaissais personne là-bas.

FI : Le jury du Top 25 a souligné votre esprit rassembleur, en évoquant notamment votre implication visant l’émergence de nouvelles firmes institutionnelles en finance au Québec par l’entremise du Programme des gestionnaires émergents du Québec (PGEQ). Vous êtes aussi l’un des membres fondateurs (en septembre 2015) de l’Association de la retraite et des avantages sociaux du Québec (ARASQ), qui regroupe aujourd’hui plus de 900 membres. D’où vient ce réflexe ?

 SC : Lorsque je suis arrivé à l’université, j’ai décidé de m’impliquer auprès des associations étudiantes afin de pouvoir lier à ma formation universitaire, qui d’un point de vue intellectuel allait m’apporter les concepts de base, à des qualités sociales. C’était important pour moi d’avoir non seulement une formation technique, mais aussi une formation sociale. Je me disais que ça allait nécessairement me servir lorsque je travaillerais. En m’impliquant au sein de l’association d’actuariat de l’école, je me suis rendu compte que si les étudiants en commerce avaient les Jeux du commerce et que les étudiants du Barreau avaient les Jeux du Barreau, nous n’avions rien de comparable en actuariat. Alors, avec deux autres collègues, nous avons créé une association nationale afin de pouvoir rencontrer d’autres étudiants avec qui, un jour, nous serions appelés à travailler. L’association regroupait des étudiants des universités Laval, Montréal, Concordia, Waterloo et Guelph. C’est intéressant parce que j’ai récemment vu que cette association, avec laquelle je n’ai plus aucun contact, existe toujours et fête son 25e anniversaire.

Aussi, ce qui est spécial avec cette histoire, c’est qu’elle m’a valu une bourse universitaire financée par le Groupe Optimum. Je n’avais pas les meilleures notes, mais la bourse soulignait à la fois l’implication scolaire et les notes, ce qui reflétait ce que j’étais et ce que je faisais. Lorsque je suis sorti de l’université, en 1991, c’était le début de la récession et il n’y avait plus beaucoup d’emplois en actuariat. Mais la bourse m’avait permis de me faire connaitre auprès du Groupe Optimum et c’est là que j’ai pu obtenir mon premier emploi. Soit plus spécifiquement auprès de St-Laurent, compagnie de réassurance (maintenant Optimum Réassurance) avec le Groupe Optimum, où j’ai connu Carmand Normand. Après quatre ans, je suis allé chez Munich Re, puis en 1999, je suis retourné voir Carmand Normand qui, en 1996, avait quitté le Groupe Optimum pour fonder Addenda Capital, où j’ai travaillé jusqu’en 2008.

FI : Racontez-nous la genèse du PGEQ.

Chez AlphaFixe, nous considérons avoir bénéficié, en quelque sorte, de l’appui de la communauté pour partir notre firme. Par exemple, SSQ, qui est notre premier client, a pris le risque de dire : « Ça, c’est une nouvelle compagnie du Québec, on aime ce que l’on voit et on leur donne une chance ». Les gens chez SSQ n’étaient pas obligés et ils auraient pu nous dire : « C’est bien beau votre affaire, mais revenez nous voir dans quatre ans ». Mais ils nous ont fait confiance et ensuite, nous sommes allés rencontrer des caisses de retraite, et des actuaires nous ont invités à solliciter des mandats.  Lorsque tu concours pour des mandats d’une dizaine de millions de dollars et que tu as déjà un client qui t’a confié une centaine de millions, tu as une bonne carte de visite.

C’est cette idée qui sous-tend le PGEQ. On constate qu’il y a beaucoup de talent au Québec et que plusieurs personnes désirent partir leur firme, mais que la plupart ne connaissent pas le marché comme moi je l’ai connu chez Addenda Capital, par exemple. Ils imaginent qu’il suffit d’aller voir la Caisse de dépôt et placement du Québec et qu’elle va leur donner un mandat parce qu’ils sont issus du Québec. Mais ça n’arrive pas, car ce n’est pas ça le mandat de la Caisse. Par contre, il y a tout un écosystème à côté : des caisses de retraite de municipalités, de syndicats, de compagnies privées, d’universités, et ces gestionnaires n’ont aucune idée de la manière de les aborder et d’y avoir accès.

Donc, Sébastien Rhéaume [cofondateur d’AlphaFixe] et moi, nous sommes demandés comment nous pouvions aidé et nous en avons parlé avec Vital Proulx et Robert Brunelle [de la firme Hexavest]. J’ai connu Vital à l’Université Laval alors qu’il était l’un de mes professeurs. Puis, je l’ai retrouvé ensuite chez les Conseillers financiers du Saint-Laurent, où il gérait les actions. C’était un hasard, mais à cette époque, il était la seule personne que je connaissais au sein du Groupe Optimum et nous avons passé beaucoup de temps ensemble à parler de finance. Par la suite, Vital Proulx et Hexavest ont connu du succès par l’entremise de programmes de gestionnaires émergents aux États-Unis et c’est ce modèle que nous avons voulu répliquer au Québec.

Nous avons donc rencontré des dirigeants de certaines caisses de retraite afin de voir pourquoi ils n’investissaient pas dans les gestionnaires émergents, et on nous a expliqué qu’ils manquaient notamment de gouvernance, et qu’il était parfois difficile de comprendre comment ces firmes étaient structurées. Cela nous a mené à créer un système répondant à ces besoins et nous avons regroupé autour d’une même table des actuaires, des membres de comités de retraite et des gestionnaires émergents. Puis, afin que le risque soit contrôlé, nous avons fait appel à Innocap. C’est ainsi que nous avons monté le programme, puis nous sommes ensuite allés voir Finance Montréal pour structurer le tout.

Le PGEQ est donc à la fois en mesure de répondre aux besoins des caisses de retraite et permet à celles-ci d’encourager l’entrepreneuriat financier au Québec. Une fois encadré, ces gestionnaires ont une chance, au même titre que nous ou Hexavest, de pouvoir grandir et réaliser leur rêve. Au final, cela sert tout le monde, car des cerveaux du Québec qui quittent pour New York ou Boston, ça ne fait que réduire le potentiel de croissance pour toute la société.

FI : AlphaFixe a lancé le premier fonds d’obligations vertes au Canada en novembre 2017. Vous faites office de pionnier en investissement responsable.

SC : Lorsque nous avons lancé la firme, ce n’était pas dans nos cartes, mais nous nous sommes toujours dit qu’il fallait être innovateur, car la journée où l’on croit être en haut et que tout va bien, c’est la journée où tu commences à descendre. AlphaFixe est signataire des PRI depuis 2009 et nous intégrons les enjeux ESG dans notre analyse de crédit depuis la création de la firme. Nous avons été influencés à cet égard par l’un de nos premiers clients, soit Daniel Simard de chez Bâtirente. Il a attiré notre attention sur le fait que ça pouvait être une façon de débusquer des risques non financiers.

Nous avons aujourd’hui deux employés à temps plein qui s’occupent de l’investissement responsable, dont une personne possédant une maitrise en environnement. Il y a dix ans, nous n’aurions jamais imaginé pouvoir engager une personne diplômée en environnement et qui ne connaît pas la finance. Mais voilà comment les choses évoluent et nous sommes contents de dire que l’investissement responsable est aujourd’hui un volet important chez nous. Notre fonds vert a présentement plus de 100 millions d’actifs sous gestion et depuis juin 2018, AlphaFixe calcule l’empreinte carbone pour tous ses clients et compare celle-ci avec leur indice de référence.

FI : AlphaFixe, en plus de ses produits axés sur l’environnement, poursuit le développement d’autres stratégies.

SC : En octobre 2018, nous avons fait une tournée à Montréal et à Québec pour promouvoir le lancement d’un nouveau produit en obligations de qualité et de haut rendement. Il s’agit d’un produit créé en partenariat avec le Dr Edward Altman, professeur de finance émérite à la Stern School of Business de NYU. Le professeur Altman a une réputation mondiale concernant les obligations à haut rendement. Il est le père du système Z-Score qui fête ses 50 ans cette année. Ce nouveau produit Altman-AlphaFixe se caractérise par une gestion quantitative des obligations à haut rendement combiné à une analyse de crédit propre à AlphaFixe. C’est une première mondiale.

Aussi, nous allons lancer notre stratégie de prêts bancaires pour des investisseurs européens grâce à une entente avec une Banque suisse. Des présentations à Genève auprès d’investisseurs institutionnels ont été faites et déjà plusieurs investisseurs européens se sont commis pour plus de 25 M$.