Une photo du parlement d'Ottawa au coucher de soleil.
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Selon plusieurs fiscalistes, le nouveau gouvernement libéral minoritaire sera contraint d’adopter une approche plus agressive que celle décrite pendant la campagne électorale s’il veut augmenter les recettes fiscales, car le parti aura besoin du soutien de l’opposition pour ses programmes de dépenses et pour gérer le déficit.

La politique fiscale du gouvernement « sera influencée par le NPD, car [les libéraux] auront besoin d’un allié pour les soutenir sur une base permanente », a noté Doug Carroll, spécialiste de la fiscalité et des successions chez Aviso Wealth à Toronto. Les autres principaux partis d’opposition sont peu susceptibles de remplir ce rôle, a-t-il ajouté.

Les experts et les conseillers en fiscalité surveilleront la façon dont les libéraux aborderont des questions telles que la potentielle hausse d’impôt des personnes à revenu élevé, le taux d’inclusion des gains en capital et l’inégalité des richesses.

Les personnes à revenu élevé 

Larry Short, gestionnaire de portefeuille et conseiller en placement principal chez iA Private Wealth à St. John’s, estime que l’impôt minimum de 15 % proposé par les libéraux ne devrait pas générer beaucoup de revenus pour le gouvernement, en partie parce que les personnes à revenu élevé sont déjà assujetties à un impôt minimum de remplacement.

« C’est une [promesse] qui fait la une des journaux sans aucune substance derrière elle », assure Larry Short.

Selon le programme du parti, cette taxe permettrait de récolter 1,7 milliard de dollars (G$) sur cinq ans.

Larry Short croit qu’« il est plus que probable » que les libéraux augmenteront les taux d’imposition marginaux des personnes à revenu élevé, même si une telle initiative ne figurait pas dans leur programme électoral. Cette mesure permettrait d’augmenter les recettes fiscales et d’obtenir le soutien du NPD, car les néo-démocrates ont proposé de faire passer le taux d’imposition fédéral le plus élevé de 33 % à 35 %.

« Nous devons examiner ensemble la plateforme du NPD et celle des libéraux » lorsque nous considérons l’orientation de la politique fiscale du gouvernement, suggère Larry Short.

Cependant, Doug Carroll pense que les libéraux s’en tiendront à des mesures ciblées, comme leur taxe sur les véhicules de luxe, proposée dans le budget fédéral de 2021 et l’impôt minimum pour les hauts revenus.

« Cela pourrait être les deux principales [initiatives] pour montrer qu’ils gardent un œil sur la population à haut revenu », prédit Doug Carroll.

L’introduction de fortes augmentations d’impôts en dehors de la plateforme du NPD « ferait le jeu des critiques, en particulier des conservateurs », qui accuseraient les libéraux de permettre au NPD de diriger la politique fiscale du gouvernement, analyse Doug Carroll.

Wilmot George, vice-président de la planification fiscale, de la retraite et de la succession chez CI Investments, convient que les libéraux semblent favoriser une approche plus ciblée pour s’attaquer à l’inégalité perçue de la richesse au Canada.

« Peut-être que le gouvernement libéral tentera d’augmenter les revenus, mais en le faisant de manière plus prudente, propose Wilmot George. Cependant, nous sommes dans un gouvernement minoritaire, et les libéraux auront besoin de soutien. »

Gains en capital 

Doug Carroll se dit sceptique quant à la possibilité de voir les libéraux augmenter le taux d’inclusion des gains en capital – une autre proposition de campagne du NPD – suggérant qu’une telle augmentation pourrait être complexe à administrer et à mettre en œuvre, et politiquement impopulaire auprès des investisseurs canadiens.

« Les gens vont manœuvrer [en termes de planification fiscale] d’une manière que vous ne pouvez pas anticiper », affirme Doug Carroll.

Le Bureau du Directeur parlementaire du budget (DPB) a estimé que la hausse du taux d’inclusion des gains en capital à 75 %, comme le propose le NPD, permettrait de recueillir 44,7 G$ sur cinq ans.

Aaron Hector, vice-président et conseiller financier chez Doherty & Bryant Financial Strategists, est d’accord. « Si les libéraux avaient voulu augmenter le taux d’inclusion des gains en capital, cela se serait déjà produit, assure-t-il. Cela fait plusieurs années que l’on spécule à ce sujet. »

Cependant, Wilmot George souligne que le NPD est susceptible de mettre une hausse de l’impôt sur les gains en capital « sur la table » en échange de son soutien au gouvernement, même si les libéraux eux-mêmes n’y sont pas favorables. « Les Canadiens auront un œil sur le prochain budget fédéral pour voir si [une augmentation du taux d’inclusion] est une mesure que les libéraux prendront », dit-il.

Pour sa part, Larry Short estime qu’« il est à peu près acquis » que les libéraux augmenteront le taux d’inclusion des gains en capital, à la fois pour faire face aux dépenses liées à la pandémie et pour s’assurer le soutien du NPD. Toutefois, il a déclaré que le gouvernement pourrait chercher des moyens d’atténuer le choc pour les investisseurs, peut-être en s’installant sur un taux inférieur à 75 %, comme le NPD le proposait.

Impôt sur la fortune 

Un impôt sur la fortune, tel que l’impôt de 1 % sur les actifs supérieurs à 10 M$ proposé par le NPD, est peu probable, selon les experts, du moins à court terme.

« Les libéraux semblent vouloir s’attaquer à l’inégalité des richesses par le biais de l’impôt minimum et s’en prendre également aux très grandes entreprises rentables comme les banques et les compagnies d’assurance plutôt que de cibler les particuliers », analyse Aaron Hector.

Wilmot George assure que l’introduction d’un impôt sur la fortune serait controversée, en partie parce qu’elle soulèverait la question de la double imposition. Un impôt sur la fortune serait également difficile à administrer et pourrait ne pas générer les recettes fiscales escomptées par ses partisans, car les riches chercheront des moyens d’en atténuer les effets.

Le DPB estime que la proposition d’impôt sur la fortune du NPD générerait plus de 60 G$ sur cinq ans.

« Je ne dis pas qu’un gouvernement libéral ne pourrait pas aller de l’avant avec un impôt sur la fortune, affirme Wilmot George, mais je serais surpris qu’il le fasse bientôt et qu’il le fasse sans une consultation importante sur le sujet. »

Larry Short a convenu qu’un impôt annuel sur la fortune serait « un cauchemar » à gérer. Selon lui, les libéraux sont plus susceptibles d’introduire une certaine forme d’impôt sur les successions ou les héritages, même si ni les libéraux ni le NPD n’ont fait campagne sur une telle proposition.

Un impôt sur les successions serait plus facile à administrer, a fait valoir Larry Short, car il ne serait évalué qu’au moment du décès ; un impôt sur la fortune devrait être évalué chaque année. Un impôt sur les successions permettrait également au gouvernement de tirer parti du transfert massif de richesse intergénérationnelle actuellement en cours.

« Je serais surpris qu’un impôt sur les successions ne soit pas introduit », conclut Larry Short.