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Alors que le différend politique entre l’Arabie saoudite et le Canada s’aggrave, des experts estiment que les entreprises canadiennes ne devraient pas s’attendre à une résolution rapide du conflit.

Mardi, le huard a plongé à la suite d’informations selon lesquelles l’Arabie saoudite avait ordonné aux gestionnaires d’actifs de vendre leurs avoirs canadiens.

La banque centrale saoudienne et les gestionnaires de régimes de retraite de l’État saoudien ont envoyé des instructions pour se débarrasser des actions, des obligations et de la trésorerie canadiennes « peu importe le coût », a indiqué le Financial Times, citant des sources anonymes.

« Le plus grand impact dans l’immédiat a été la chute du dollar canadien, qui a plongé d’environ un demi-pour cent aujourd’hui », a souligné Michael Currie, vice-président et analyste en placements chez Gestion de patrimoine TD.

« Il a repris de la vigueur, mais je pense que cela reflète en grande partie les informations sur la banque centrale saoudienne et les régimes de retraite vendant des actions et se départissant de beaucoup d’actifs », a-t-il déclaré.

L’Arabie Saoudite détiendrait entre 10 et 25 milliards de dollars (G$) en devise canadienne, a indiqué M. Currie.

L’article du Financial Times a été publié un jour après un important programme de vente par un courtier international non identifié sur le marché boursier de Toronto, en contraste avec des gains réalisés sur d’autres marchés mondiaux, a indiqué Dominique Barker, gestionnaire de portefeuille chez Gestion d’actifs CIBC.

La liquidation des actions a eu lieu après qu’Affaires mondiales Canada eut exprimé son inquiétude à propos de l’arrestation et de la détention d’une blogueuse et militante en Arabie saoudite, suscitant une forte réaction du royaume.

Riyad a décrété un gel des nouveaux échanges commerciaux avec le Canada et a rappelé des milliers d’étudiants fréquentant des universités canadiennes, à la suite du gazouillis de la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland.

Le ministère saoudien des Affaires étrangères a également ordonné à l’ambassadeur du Canada, Dennis Horak, de quitter le pays. Le transporteur aérien national Saudia a aussi annoncé la suspension de ses vols à destination et en provenance du Canada à compter du 13 août.

Les exportations canadiennes de céréales vers le pays ont également été touchées, a souligné Cam Dahl, président du groupe de l’industrie Cereals Canada.

« L’organisation saoudienne des grains nous informe que les contrats futurs ne seront pas du Canada », a-t-il relevé.

M. Dahl a fait valoir qu’environ 7 % de la récolte d’orge au Canada était envoyée à l’Arabie saoudite, tandis qu’une part beaucoup plus faible du blé y est destinée.

Un manque d’attention aux relations d’affaires Janice Stein, directrice et fondatrice de l’École Munk des affaires internationales de l’Université de Toronto, croit que la forte réaction de l’Arabie saoudite prend aussi sa source dans le débat au Canada sur un contrat de 15 G$ sur les véhicules blindés légers et sur un manque d’attention aux relations d’affaires avec le royaume.

« Ils s’attendent à ce qu’on s’attarde à la relation (entre les deux pays). De leur point de vue, des critiques publiques de leur bilan en matière de droits de l’homme ne sont pas compatibles avec le développement de la relation », a estimé Mme Stein.

La réaction de l’Arabie saoudite sous la direction du prince héritier Mohammed ben Salmane fait écho à d’autres sorties fortes et impulsives dans des conflits régionaux, a souligné Mme Stein.

« C’est une stratégie générale du genre de celle que le royaume a lancée contre le Qatar », a-t-elle indiqué.

Dans le cas du Qatar, l’Arabie saoudite, sous la houlette du prince Salmane, a poussé les pays voisins à se joindre à un blocus. L’épisode montre que le royaume n’est pas du genre à reculer rapidement, a fait valoir Mme Stein.

Les mesures adoptées par l’Arabie saoudite contre le Canada ont également suscité des inquiétudes quant à la façon dont cela pourrait toucher les activités des entreprises canadiennes dans la région, notamment celles de SNC-Lavalin, qui a une présence importante dans le pays.

L’entreprise établie à Montréal a indiqué par communiqué mercredi qu’elle attachait « une grande valeur à ses contributions au royaume d’Arabie saoudite depuis cinq décennies », disant ne pas être en mesure d’évaluer pour l’instant les conséquences du différend sur ses occasions d’affaires en cours ou projetées.

« Si un embargo commercial complet sur les intérêts commerciaux canadiens au royaume d’Arabie saoudite devait être décrété pour une période prolongée, il y aura une incidence sur notre rendement financier futur », a indiqué SNC-Lavalin.

Barrick Gold, qui a une coentreprise avec la société saoudienne Saudi Arabian Mining Co. dans une mine de cuivre du pays, a affirmé par courriel qu’elle espérait que le partenariat continue à se renforcer avec le temps.

La porte-parole d’Affaires mondiales Canada, Allison Lewis, a déclaré que le Canada cherchait à obtenir des éclaircissements du gouvernement saoudien sur diverses questions.

Le fait que l’Arabie saoudite cible des entreprises et des actifs financiers en réaction à des récriminations politiques signifie que le Canada devra débattre des coûts liés à l’expression de critiques sur les droits de la personne, a souligné Mme Stein, de l’École Munk des affaires internationales.

« Nous entrons dans un monde où rien n’est gratuit », a-t-elle fait valoir.