Deux hommes d'affaire se serrant la main et se donnant un document
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Cette compensation monétaire a fait l’objet de surenchère dans les dernières années et risque de disparaître, si une tendance émergente qui provient des États-Unis s’étendait aux courtiers canadiens de plein exercice. Chose certaine, les bonis offerts par les firmes de courtage canadiennes sont appelés à diminuer.

Ainsi, en mai 2017, Merill Lynch a cessé d’offrir des bonis aux conseillers expérimentés pour qu’ils y transfèrent leurs activités, d’après le site américain WeathManagement.com. D’autres firmes au sud de la frontière ont tout simplement réduit l’importance de ces incitatifs, tout en remettant en question ce qu’ils reçoivent en retour de ce montant élevé.

Au Canada, la tendance n’est pas à l’abolition de ce genre de bonis, mais plutôt à la diminution de l’importance des chèques signés, comme l’ont indiqué des dirigeants de firmes de courtage interrogés par Finance et Investissement.

Luc Papineau, vice-président, courtage et gestion privée chez Valeurs mobilières Desjardins (VMD), raconte l’origine de ce type de rémunération : « Jusqu’à la fin des années 1990 et au début des années 2000, on appelait ça un boni de transition. Le temps qu’un conseiller passe d’une firme à l’autre, le temps qu’il transfère ses clients, il n’avait pas de revenu. On évaluait que ça prenait 6 mois à un conseiller pour retomber sur ses pattes. “On va regarder c’est quoi le manque à gagner et on va te compenser pour ce manque à gagner avec ton boni de transition”. Avec le temps, ça a évolué et certains ont renchéri et ont fait des plus gros bonis. »

Encore aujourd’hui, les conseillers en placement changent parce qu’ils sont malheureux dans leur firme actuelle, la plupart du temps, selon Luc Papineau. Toutefois, un conseiller qui veut faire monter les enchères est malvenu, dit-il : « On va payer un boni pour quelqu’un qui vient, mais on n’est pas là pour faire de la surenchère. Il faut qu’une personne veuille s’en venir pour les bonnes raisons. Quelqu’un qui courre juste après un chèque, ce n’est pas la bonne place. »

La Financière Banque Nationale (FBN) veut aussi qu’un conseiller transfère pour les bonnes raisons, à savoir pour son offre de service au représentant et aux clients, estime Denis Gauthier, premier vice-président, directeur national à la FBN : « Si un conseiller veut venir chez nous, on veut que ce soit pour le bien de ses clients. On veut qu’il comprenne notre offre. Il peut y avoir des coûts occasionnés au transfert et ça se peut qu’on soit partenaire là. »

« On paie trop »

Actuellement, les courtiers de plein exercice paient trop pour inciter les conseillers à changer de firme, d’après Charles Martel, premier vice-président et directeur de succursale chez CIBC Wood Gundy. Il estime que les bonis en ce sens sont appelés à baisser : « On a déjà été plus généreux dans nos packages que par le passé. On l’est moins maintenant, parce qu’on a une très bonne offre de service et que quelqu’un qui va venir chez nous va en avoir pour son argent. Le chèque et les incitatifs mis en place ne devraient pas être l’élément clé dans la prise de décision. Malheureusement, c’est trop souvent le cas. »

D’après Charles Martel, certaines firmes ont besoin encore aujourd’hui d’augmenter leur part de marché et sont prêtes à payer très cher pour recruter des conseillers en placement : « Quand on fait l’exercice de rentabilité et [qu’une telle firme] n’a pas de payback (retour sur l’investissement) avant sept ans, ou des fois plus, ça ne fait pas beaucoup de sens. »

Luc Papineau confirme que ce genre de boni au transfert a diminué ces dernières années et qu’il est remis en question : « C’est un jeu à somme nulle. Une firme prend un conseiller à un concurrent et ce concurrent va lui ravir un conseiller. Dans le fond, les firmes se sont échangées deux bons conseillers, mais ce qu’elles ont fait, c’est d’écrire un chèque en passant. Les seuls qui ont gagné, ce sont les conseillers en placement. Les firmes n’ont pas vraiment gagné. »

Le problème avec les incitatifs au transfert de firme est qu’ils ne sont pas divulgués aux clients, du point de vue de Sylvain Brisebois, premier vice-président et directeur général et directeur régional chez BMO Nesbitt Burns: « On pourrait facilement argumenter qu’il y a un certain conflit dans ces pratiques. D’après moi, les agences règlementaires vont se pencher là-dessus bientôt. »

Stéphan Bourbonnais, premier vice-président et directeur régional Est du Canada, Services privés, Gestion de patrimoine TD partage cet avis : « Il y a lieu de se questionner. Lorsque quelqu’un change d’organisation, est-ce qu’il a eu un incitatif financier pour le faire et est-ce que ça devrait être divulgué? »

Recrutement nécessaire

Quoi qu’il en soit, aucun dirigeant interrogé ne s’oppose à dédommager un conseiller expérimenté pour la perte de revenu occasionnée par le transfert de son bloc d’affaires auprès de sa propre firme de courtage. Ce processus peut prendre plusieurs mois et nécessiter beaucoup de ressources, entre autres afin d’obtenir l’approbation de chaque client. Cela handicape temporairement un conseiller en placement dans son développement des affaires.

De plus, chaque courtier a des objectifs de croissance et une bonne manière de grossir sa part de marché est par l’acquisition de conseiller. « Il n’en demeure pas moins qu’on a un problème de relève dans notre industrie et que l’âge moyen de nos conseillers ne va pas en baissant. Il va falloir qu’on augmente la base. Le recrutement est une façon de combler ce défi de relève », explique Charles Martel.