Les changements apportés à la structure des honoraires des conseillers de Patrimoine Manuvie ont suscité la frustration de l’équipe de vente et entraîné certains départs de la société. Annoncées plus tôt dans l’année, ces modifications font en sorte qu’il est difficile pour les conseillers de servir de façon rentable les clients ayant des comptes à faible actif.
Manuvie affirme que ces changements sont prudents sur le plan financier, mais admet qu’elle aurait pu mieux faire passer le message. « Avec le recul, je pense que nous aurions pu donner plus de préavis, admet Richard McIntyre, président et chef de la direction de Gestion de patrimoine Manuvie. Nous travaillons sur notre communication. »
Investment Executive a parlé à deux conseillers de Gestion de patrimoine Manuvie et a accepté de ne pas les nommer parce qu’aucun d’entre eux n’est autorisé à parler aux médias des changements de frais.
Un conseiller de l’Ontario (que nous appellerons Mark) nous a dit que les comptes prête-nom coûtent maintenant 60 $ par an au lieu d’être inclus dans les frais.
« S’il s’agissait d’un client qui avait quelques centaines de milliers de dollars dans un [compte] à son nom, ça ne serait pas grave. Je serais d’accord pour dépenser 60 $ pour qu’ils y restent, assure-t-il. Mais j’ai un client qui a 3 000 $ et je ne gagne pas 60 $ par an sur ce compte. »
Il peut soit payer les 60 $ par an, soit transférer le client sur la plateforme des comptes clients (Nominee Account) et payer 150 $ par an, rapporte Mark. Le seul bon choix selon lui serait de dire : « Je suis désolé, M. le client, je ne peux pas vous aider, vous allez devoir aller voir ailleurs ».
Les modifications apportées aux frais ont surtout touché les conseillers ayant des comptes avec des actifs plus modestes, ce qui a incité certains d’entre eux à quitter Manuvie. Les concurrents ciblent d’ailleurs les conseillers actuels de Manuvie, au cas où ils souhaiteraient changer de firme.
Augmentation des coûts
Richard McIntyre nous rapporte que les coûts d’exploitation au Canada ont augmenté et que l’entreprise a dû refléter ces augmentations dans les honoraires de ses conseillers. « Nous n’avions pas revu nos honoraires depuis une quinzaine d’années, cela a donc pu être un choc, estime-t-il. Nous travaillons avec des conseillers indépendants qui dirigent leur propre entreprise, donc chaque fois que nous apportons un changement qui touche leur activité, nous faisons de notre mieux pour en limiter les effets négatifs — mais ce n’est pas toujours simple. »
L’introduction de compte prête-nom avec frais a été une première pour Gestion de patrimoine Manuvie. « C’est probablement le seul point d’achoppement », affirme Richard McIntyre.
D’autres coûts qui étaient inclus dans la grille tarifaire n’évoluaient pas en fonction des revenus, et Manuvie les a donc supprimés, continue-t-il. Par exemple, les frais de conformité sont désormais des coûts fixes pour les conseillers et ne sont plus liés à un pourcentage des revenus.
Les investissements récents et continus dans les mises à niveau technologiques ont également contribué à la décision.
Il y a deux ans, Gestion de patrimoine Manuvie a opté pour la technologie d’arrière-guichet (back office) de Fidelity Clearing Canada (FCC), ce qui, selon elle, a contribué à l’augmentation des coûts. Bien que le système de FCC ait initialement connu des problèmes, les conseillers affirment maintenant qu’il est meilleur que la plateforme Broadridge précédemment en place.
Gestion de patrimoine Manuvie utilisait Broadridge depuis une vingtaine d’années. À un moment donné, elle ne pouvait plus personnaliser la plateforme en fonction de ses besoins, et a donc opté pour FCC, commente Richard McIntyre.
En outre, Gestion de patrimoine Manuvie a remplacé le logiciel de planification financière Naviplan par Conquest et a commencé à offrir des outils alimentés par l’intelligence artificielle, comme ChatMFC, a indiqué Richard McIntryre. « Nous ne voulons pas nous contenter d’essayer de suivre la vague, nous voulons prendre de l’avance. »
L’histoire de deux conseillers
Les honoraires de Mark ont augmenté de 18 % après les changements. Bien qu’il ait maintenu le salaire de son équipe, l’entreprise dispose désormais de moins de liquidités à reporter à la fin de l’année.
« Il semble qu’ils ne s’adressent qu’aux grandes succursales qui gèrent des centaines de millions de dollars, et si vous gérez 40, 50, 60 ou 70 millions de dollars, vous serez tout simplement exclus », déplore Mark.
Pendant ce temps, un autre conseiller de Gestion de patrimoine Manuvie en Ontario, que nous appellerons John, dit comprendre pourquoi Manuvie a augmenté ses frais et appuie les changements. Il gère pour sa part un actif à neuf chiffres.
« Elle ne peut pas se permettre de garder tout le monde. En fin de compte, si vous êtes dans le secteur, et que vous voulez croître, vous serez récompensé par cette mesure », assure John, ajoutant que Manuvie s’efforce de devenir un courtier plus haut de gamme.
Les coûts ont augmenté, mais ce n’est pas une « grosse affaire », car cela valait la peine d’améliorer la technologie de base de Manuvie, avance-t-il.
Si un conseiller développe ses activités, les frais diminuent sur une base nette, car les revenus augmentent plus rapidement que les coûts, explique Richard McIntyre. Toutefois, les conseillers dont les revenus stagnent verront leurs frais augmenter proportionnellement.
Si les conseillers ont des clients non rentables, ils peuvent les transférer au siège social de Gestion de patrimoine Manuvie, rappelle Richard McIntyre. « Nous pouvons aider les conseillers à gérer leur portefeuille d’affaires et à s’assurer qu’ils travaillent avec les clients qui conviennent à leur modèle d’affaires. »
Des concurrents à l’affût
L’augmentation des frais a incité certains conseillers à quitter Gestion de patrimoine Manuvie, selon Mark. Et les concurrents le savent.
Mark dit avoir été approché par plusieurs entreprises. Il a décidé de rester parce qu’il a récemment racheté le book de son ancien employeur et qu’il ne peut pas bouger tant que ses prêts ne sont pas remboursés.
Le secteur devient de plus en plus compétitif, car de nouvelles entreprises considèrent la gestion de patrimoine comme une source de croissance. Il n’est donc pas rare que les conseillers soient approchés par plusieurs concurrents, déclare Richard McIntyre.
iA Gestion de patrimoine, IG Gestion de patrimoine et Sun Life ont toutes essayé de convaincre John de passer à une autre société, mais il n’en démord pas. Gestion de patrimoine Manuvie demeure le meilleur courtier indépendant en ce qui a trait à la valeur de la marque, à la conformité et à la fidélisation de la clientèle, selon lui.
Les problèmes existent dans toutes les entreprises, « c’est juste une autre sorte de galère », soutient-il. « Au moins ici, je sais à quoi m’attendre. »