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L’avenir de l’industrie financière se joue sur plusieurs fronts : intelligence artificielle (IA), réglementation, cybersécurité, transformation des relations clients. À l’occasion du 18e colloque de l’Association des marchés de valeurs et des investissements (AMVI), qui se déroulait le 8 mai à Montréal, quelques dirigeants du secteur ont repéré certains enjeux qui obligent les institutions financières à redéfinir leurs priorités.

  1. Former les équipes à utiliser l’IA

Depuis l’arrivée de ChatGPT en 2022, le secteur financier vit une révolution comparable à l’émergence d’Internet ou du téléphone mobile. Copilot, Gemini, Llama, DeepSeek… Ces outils promettent des gains d’efficacité inédits, mais soulèvent d’importants défis, notamment en matière de formation, de protection de renseignement personnels et de réglementation, a signalé Louis H. DeConinck, président d’Investia.

Selon une étude mondiale menée par KPMG et l’Université de Melbourne, en Australie, 58 % des employés utilisent déjà l’IA au travail, souvent sans encadrement formel. Près de la moitié l’auraient même utilisée de manière inappropriée.

« Par exemple, ils admettent utiliser l’IA de manière contraire aux politiques de l’organisation et télécharger des informations sensibles de l’entreprise, telles que des informations financières, commerciales ou sur les clients, vers des outils d’IA publics », lit-on dans le rapport.

Plus de 70 % des salariés déclarent se servir régulièrement d’une IA dans le cadre de leur activité professionnelle, souvent de manière spontanée et sans l’approbation de leur organisation. Et plus de la moitié des utilisateurs ont déclaré avoir commis une erreur dans leur travail en raison de l’utilisation d’une IA.

Pour Marjorie Minet, vice-présidente exécutive, services-conseils en gestion de patrimoine chez Desjardins, le défi est donc clair : « réussir à aller assez vite pour équiper les conseillers avant qu’ils s’équipent eux-mêmes. » Elle s’inquiète notamment de la protection des renseignements personnels. « Les conseillers s’équipent pour faire de super comptes rendus (des rencontres clients). Mais que se passe-t-il s’ils oublient d’enlever le nom de la personne quand on intègre ces données dans une IA ? »

Louis H. DeConinck, président d’Investia, déplore quant à lui la lenteur du déploiement des outils d’IA: « C’est long. On n’est pas encore rendus sur le terrain. Il y a des comités qui étudient les choses, mais ça ne sort pas. »

En cause, entre autres, des systèmes informatiques patrimoniaux qui ne sont pas prêts à intégrer l’IA. « On a un énorme enjeu de modernisation pour rénover les systèmes et se mettre rapidement au goût du jour. Or, c’est difficile de faire une course contre la montre alors qu’on est dans un marathon de travail profond », observe Marjorie Minet.

  1. Risque de concentration lié aux monopoles technologiques

La dépendance à un nombre restreint de fournisseurs technologiques comme Microsoft, Google et Meta, constitue un risque croissant pour l’industrie. « Cette concentration rend les institutions vulnérables », prévient Louis H. DeConinck, qui plaide pour une plus grande autonomie des équipes en matière d’outils numériques.

Marjorie Minet cite le cas de Broadridge comme exemple de fournisseur devenu quasi incontournable. Elle voit dans cette domination un « risque systémique » et suggère de s’inspirer du Royaume-Uni, où certaines plateformes sont soumises à un régime de surveillance renforcée destiné aux « marchés stratégiques ».

Les régulateurs canadiens pourraient ainsi envisager un encadrement pour les outils et logiciels ayant une importance systémique pour le secteur financier.

  1. Cybersécurité : une vigilance constante

À l’ère des assistants numériques, la cybersécurité reste une préoccupation omniprésente. Chez Investia, les opérations sont encadrées par des protocoles stricts : environnement Microsoft sécurisé, interdiction de prendre des captures d’écran et d’intégrer des portefeuilles clients dans des IA publiques. « On donne beaucoup de formation obligatoire sur la cybersécurité. On propose un environnement sécurisé aux conseillers, mais certains passent outre », signale Louis H. DeConinck

Chez VMD, un réseau d’intendants imputables a été mis en place pour encadrer la valorisation et l’usage responsable des informations, selon les meilleures pratiques internationales.

Patrice Nzigamasabo, vice-président comptes nationaux et institutionnels chez Capital Group, ajoute que la gouvernance des données inclut des objectifs clairs, un suivi rigoureux et une sélection stricte des outils autorisés. « On utilise Microsoft Copilot. On ne peut pas utiliser Chat GPT, Gemini et les autres au travail. Ce genre de choses aide beaucoup au niveau de la cybersécurité. »

  1. Réglementation à deux vitesses

La concurrence s’intensifie, mais tous les acteurs du secteur financier jugent qu’ils ne jouent pas à armes égales. Dans les réseaux de conseillers traditionnels, on doit composer avec des exigences réglementaires lourdes (connaissance du client, connaissance du produit, audits, etc.) pendant que les plateformes numériques et les influenceurs financiers (finfluenceurs) opèrent dans une zone grise où ils peuvent contourner certaines exigences, parfois au détriment de la qualité de l’information offerte au public, signale Patrice Nzigamasabo.

« On développe des stratégies pour les clients qui utilisent nos produits, pas seulement pour les conseillers, en attendant qu’il y ait certains changements au niveau de la réglementation. »

Louis H. De Coninck illustre cet écart avec une anecdote. Il raconte avoir réussi à acheter un produit financier ayant comme sous-jacent des cryptoactifs en 22 clics sur une plateforme en ligne, sans vérification d’identité, un non-sens selon lui, alors que les conseillers doivent faire signer des documents volumineux avant de vendre un produit à un client. « Pensez-vous vraiment que le client comprend tout ça ? Il faut simplifier ce modèle », dit-il.

  1. L’émergence des finfluenceurs : une zone grise à encadrer

YouTube, TikTok, Instagram… Les finfluenceurs, multiplient les vidéos et conseils financiers, parfois personnalisés, sans être soumis à une quelconque réglementation, à la différence des professionnels du secteur. Si certains créateurs de contenu offrent une vulgarisation utile, d’autres flirtent dangereusement avec le conseil illégal, ce qui soulève des préoccupations réglementaires.

« On a des conseillers qui font des podcasts. C’est très difficile à contrôler », dit Louis H. DeConinck. Il estime que les institutions devraient investir davantage les médias sociaux et collaborer avec les finfluenceurs pour mieux encadrer leur influence auprès des clients.

Patrice Nzigamasabo invite pour sa part les organisations à surveiller de près ces pratiques, surtout lorsqu’il est question de recommandations personnalisées. « C’est souvent là que la ligne est franchie. »

Dans un autre panel sur la réglementation du secteur financier, on a demandé à l’Autorité des marchés financiers (AMF) d’indiquer son intention d’intervenir sur les actes de personnes non inscrites qui s’apparente à ceux de personnes inscrites, comme le fait d’offrir des conseils personnalisés à un client après l’avoir recruté sur les médias sociaux.

« C’est une bonne question. Le règlement 31-103 comprend une dépense statutaire pour la notion de conseil général, a indiqué Pascale Toupin, directrice de l’encadrement des intermédiaires à l’AMF. Il y a un travail d’enquête qui est fait. Il y a eu un jugement récemment en Alberta sur la question des finfluenceurs. La question, on la regarde aussi sur l’aspect de l’accès au conseil. Est-ce qu’on peut comme régulateur favoriser l’aspect au conseil des investisseurs de détails ? S’ils se tournent vers cela, c’est qu’il y a une certaine forme de facilité. Ça va faire partie de nos travaux à venir et l’Organisme canadien de réglementation des investissements se penche aussi sur la question. »

D’autres défis à l’horizon

L’industrie fait également face à un défi générationnel. Tandis que les baby-boomers arrivent en phase de décaissement, une nouvelle génération de conseillers, plus jeunes et plus agiles avec les outils technos, peine parfois à comprendre les besoins d’une clientèle plus âgée.

« Le conseiller veut plus d’actifs et moins de clients. Le client, lui, a moins d’actifs, mais il a besoin de conseils », résume Louis H. DeConinck. Pour lui, il faut mieux outiller les conseillers pour accompagner cette clientèle à distance, avec l’aide des nouvelles technologies, sans sacrifier la relation humaine.

Marjorie Minet craint une concentration des services autour des clients fortunés, au risque d’exclure les épargnants modestes. « Chaque institution, avec ses clientèles fidélisées, doit trouver l’équilibre entre la simplicité numérique et la valeur du conseil, la connexion humaine, qui est essentielle. »

Patrice Nzigamasabo, de son côté, appelle les jeunes conseillers à renouer avec les fondamentaux de la profession. « Il faut qu’ils soient plus à l’écoute, qu’ils prennent le téléphone, qu’ils aillent voir les clients, s’asseoir à la cuisine et parler de leur retraite. »

Un autre enjeu, l’obésité de l’information. La volonté de transparence a généré une avalanche de documents, rapports et divulgations, etc. que peu de clients lisent vraiment. La question demeure entière : où tracer la ligne entre la responsabilité du client et celle du conseiller dans cette jungle de données ?