Une main donnant un dollar à une autre main.
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«Vous voulez être mieux rémunéré ? Alors, augmentez votre actif sous gestion, vos revenus bruts, votre proportion de comptes à honoraires et cessez de servir les familles les moins fortunées de votre bloc d’affaires.»

C’est le message que transmettent plusieurs courtiers de plein exercice aux conseillers en placement, d’après le sondage du Top 8 des courtiers québécois. Et les récents changements à leurs grilles de rémunération le démontrent.

Un conseiller de Gestion de patrimoine TD sondé résume cette pression qu’on leur impose : «Si on ne croît pas, on meurt.» Pour éviter d’être pénalisés par ces changements de grille, les conseillers en placement doivent fonder leur plan d’affaires sur les priorités stratégiques de leur firme de courtage, qui se résument en un mot : «croître». Plusieurs y parviennent. Néanmoins, ceux qui ne s’adaptent pas voient leur rémunération baisser et risquent de devoir changer de firme ou de quitter l’industrie.

Analysons cinq messages qu’envoient certaines grilles de rémunération.

«Cessez de servir les détenteurs de petits comptes.»

Dans la dernière année, la Financière Banque Nationale (FBN) et Valeurs mobilières Desjardins (VMD) ont annoncé qu’elles ne rémunèreront plus les conseillers pour les familles dont l’actif à investir est inférieur à 100 000 $. Ces courtiers ont ainsi suivi une tendance répandue dans l’industrie. La FBN a d’abord imposé un seuil de 50 000 $ par famille, qui passera à 100 000 $ au 1er mai. Le concept de famille y est assez large, puisqu’il s’étend aux parents, enfants, frères et soeurs d’un ménage.

«La cliente qui a un actif de 700 000 $ et qui te réfère son fils dont l’actif est de 28 000 $, c’est quasiment plus important pour elle que son fils ait de bons conseils, car il commence dans la vie. Il va bénéficier de la même tarification qu’elle. On ne fait pas beaucoup d’argent avec le fils, mais c’est un investissement et ça permet d’avoir une relation avec nos clients au moment de la passation de l’héritage», explique Denis Gauthier, premier vice-président, directeur national à la FBN.

L’an dernier, VMD ne faisait qu’inciter ses conseillers en placement à segmenter leur clientèle. Cette année le courtier impose une valeur minimum d’actif par famille, celle-ci correspondant à trois générations. «Notre barre n’est pas très haute», dit Luc Papineau, vice-président, courtage et gestion privée chez VMD.

VMD et FBN auront ainsi un seuil d’actif minimum par famille plus faible que leurs concurrents. Par exemple, l’an dernier, Charles Martel, premier vice-président et directeur de succursale chez CIBC Wood Gundy (WG), indiquait que les conseillers verraient leur taux de commission (payout rate) amputé de 25 % pour les ménages possédant de 150 000 $ à 250 000 $, et de 50 % pour les ménages possédant moins de 150 000 $. Chez CIBC WG, un ménage comprend un couple, ses parents, ses grands-parents, ses enfants et ses petits-enfants ainsi que toutes leurs sociétés de portefeuille.

Chez Gestion de patrimoine TD, pour que le conseiller en placement obtienne une rémunération, une famille doit avoir un actif minimum de 250 000 $ à investir, confirme Stéphan Bourbonnais, premier vice-président et directeur régional Est du Canada, Services privés, Gestion de patrimoine TD. Une famille y comprend trois générations, soit un couple, ses enfants et ses parents.

De son côté, BMO Nesbitt Burns (NB) est récemment revenu sur sa décision de cesser de payer les conseillers qui servent des familles ayant moins de 250 000 $ ou qui généraient un revenu annuel inférieur à 2 500 $, note Sylvain Brisebois, premier vice-président et directeur général et directeur régional chez BMO NB : «On a offert plus de flexibilité. La rémunération était automatiquement enlevée pour ces familles. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.» Il note par ailleurs qu’une famille comprend également trois générations.

«Augmentez vos revenus bruts.»

La plupart des grilles de rémunération sont basées sur le même principe : les taux de commission sont plus élevés pour les conseillers ou les équipes de conseillers dont le revenu brut annuel généré est plus élevé. Or, ces dernières années, le seuil minimal de production afin d’éviter d’avoir le payout rate réduit a été majoré par plusieurs firmes. Généralement, ce seuil s’établit entre 350 000 $ et 500 000 $ par conseiller en placement, parfois plus.

Chez CIBC WG, ce seuil est de 450 000 $ et a été relevé ces dernières années. «Tout me coûte plus cher : mon coût au pied carré, ma technologie, mes soins de santé, le salaire de mes employés et de mes adjoints. J’ai aussi un actionnaire qui veut un rendement de son capital investi, ce qui est légitime», explique Charles Martel.

Cette majoration du seuil minimal de production survient à un moment où il y a une pression à la baisse sur la tarification facturée au client, notamment en raison des divulgations réglementaires de la phase deux du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2). La conjugaison de ces facteurs est difficile pour la relève, reconnaît le premier vice-président de CIBC WG : «C’est dur de recruter de jeunes conseillers en placement.»

Prenons l’exemple d’une recrue dont le taux de commission est protégé durant ses six premières années. S’il facture à ses clients un honoraire moyen de 1 % de son actif géré, il devra atteindre un actif de 50 M$ au bout de cette période pour générer un revenu brut de 500 000 $. «Si on exclut la première année en raison de la formation et de l’obtention des permis, ça fait 10 M$ d’actifs productifs par année. C’est un beau défi», note Charles Martel.

Quelques conseillers de la FBN interrogés ont aussi noté que leur grille de rémunération «n’est pas faite pour encourager les gens seuls et jeunes, mais pour les équipes et les conseillers seniors».

Denis Gauthier admet qu’un conseiller seul, qui approche de sa huitième année et qui est ainsi sur le point de passer à la grille normale, pourrait être pénalisé. «C’est une minorité», dit-il. Selon lui, la plupart des conseillers commencent au sein d’une équipe et sont rémunérés en fonction de la grille normale.

«Augmentez vos ventes nettes.»

Plusieurs courtiers accordent une rémunération supplémentaire lorsqu’un conseiller a des entrées nettes d’actif supérieures à un certain seuil. Par exemple, chez Gestion de patrimoine TD, un boni annuel est remis à un conseiller qui recrute un minimum de deux ménages provenant de l’extérieur du réseau de la TD et dont l’actif sous gestion par ménage est supérieur à 500 000 $. Selon une source, ce boni s’élève de 0,15 à 0,25 % des nouveaux actifs et varie en fonction de l’importance de ces derniers, le plus haut pourcentage étant réservé à ceux qui ont 10 M$ d’actif admissible ou plus.

«Le statu quo n’est plus toléré par les institutions financières. On s’attend à une croissance du modèle d’affaires des conseillers. Ceux qui ne sont pas en mode croissance risquent d’avoir une pression plus grande», dit Stéphan Bourbonnais.

«Adoptez les honoraires.»

Plusieurs courtiers favorisent l’adoption des honoraires de différentes façons. D’abord, pour une fourchette de production brute donnée, le payout rate est généralement plus élevé dans un compte à honoraires que dans un compte transactionnel.

De plus, certains courtiers favorisent les honoraires par l’intermédiaire de mesures incitatives, comme une rémunération différée versée sous forme d’actions bancaires, appelée restricted stock unit ou restricted share award.

Cette rémunération augmente lorsqu’un conseiller dépasse certaines cibles, lesquelles varient selon les priorités de son courtier. Parmi ces cibles, on note la proportion de l’actif géré dans des comptes à honoraires ou le pourcentage des revenus bruts provenant de ces comptes ; le pourcentage de familles dont l’actif est supérieur à 500 000 $, par exemple ; le taux de rétention de familles dont l’actif à investir est supérieur à 250 000 $ ; la proportion de comptes clients pour lesquels le représentant a fait une planification financière intégrée ; la part des ménages qui génèrent un revenu annuel supérieur à 4 000 $ ; les recommandations aux autres partenaires du réseau bancaire.

VMD offre aussi une rémunération différée sur trois ans semblable à celle offerte par les autres courtiers. Cette rémunération est cependant investie soit dans un certificat de dépôt, soit dans un fonds négocié en Bourse équilibré, explique Luc Papineau : «Au bout de trois ans, les produits sont encaissés et les gens reçoivent leur montant sous forme d’argent. C’est pour compenser le fait que nous ne sommes pas une société par actions.»

«Favorisez les ventes croisées.»

Des conseillers de différentes firmes, dont FBN, BMO NB et CIBC WG, sont incités à recommander leurs clients entre autres aux banquiers et aux conseillers en sécurité financière de leur institution financière.

Par exemple, depuis juillet, CIBC WG offre un incitatif financier lorsqu’un conseiller présente un banquier commercial à ses clients entrepreneurs. Le but est que ce client transfère ses activités bancaires d’affaires à la Banque CIBC. «Maintenant, j’ai des banquiers qui sont physiquement dans mes bureaux. On est en train d’habiller les clients de A à Z», dit Charles Martel.

Le partage de commission entre le banquier et le conseiller en placement est avantageux pour ce dernier, note-t-il : «Si, comme conseiller, je collecte 3 000 $ par exemple, ce montant ne va pas sur la grille [comme c’est le cas d’un revenu brut], mais directement dans mes poches avant impôt. On a amélioré ça.»

Selon Charles Martel, les conseillers ont avantage à identifier les clients potentiels dans leur bloc d’affaires pour éviter de se retrouver pris au dépourvu : «Si on ne le fait pas proactivement, le conseiller devra réagir et risquer de perdre le compte si un client lui dit : « Mon banking d’affaires est chez RBC, ils me présentent le conseiller de RBC Dominion valeurs mobilières. Est-ce que tu peux faire quelque chose ? »»