Homme d'affaire les mains en coupe. Une petite valise avec une croix médicale à l'intérieur au-dessus de ses mains.
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Que ceux qui s’inquiètent de la disparition des produits ­d’assurance invalidité, comme en témoignent certains conseillers en sécurité financière ayant répondu au ­Baromètre de l’assurance 2023, se rassurent: le secteur est plus détaillé et rejoint plus de clients potentiels que jamais.

Par exemple, un répondant du sondage mené au printemps et à l’été 2023 affirme que « l’­assurance invalidité est en voie d’extinction ». Cette observation fait sursauter ­Claudine Cloutier, ­vice-présidente, prestations du vivant au ­Groupe ­Cloutier. « ­Cette inquiétude tient ­peut-être au fait que Manuvie et Croix-Bleue se sont retirés du secteur, ­avance-t-elle. Par contre, il y a encore pas mal d’acteurs sérieux qui sont là pour rester. Je ne vois vraiment pas d’extinction. »

En 2022, ­Manuvie cessait de prendre des nouvelles souscriptions pour deux produits ­d’assurance invalidité individuelle non résiliable.

Selon une source bien informée qui demande l’anonymat, ­Manuvie s’est retirée parce que le secteur n’était plus aussi rentable pour elle. Alors que la société entreprenait de renouveler toute sa plateforme électronique, le jeu n’en valait pas la chandelle, nous ­dit-on.

Une autre spécialiste que sidère l’idée d’une « extinction » de l’­assurance invalidité est Karen Rondeau, stratège en planification avancée, prestations du vivant à ­Canada ­Vie. Selon elle, l’inquiétude est ­peut-être suscitée par une réduction importante du nombre d’assureurs offrant les polices garanties qui, à force d’acquisitions et de fusions, sont passés de dix à seulement deux : Canad Vie et ­RBC Assurances. « C’est la couverture d’assurance la plus importante qui soit ! s’­exclame-t-elle. Ça fait 25 ans que je travaille dans l’industrie et je l’ai toujours placée à la base de ma pyramide d’assurance. »

Claudine Cloutier est du même avis. « C’est l’assurance la plus importante puisqu’on s’assure ­nous-même. Celui qui travaille pour apporter du pain à la table, s’il perd sa capacité de travailler, il n’a plus rien. Pour ma part, après 20 ans dans le domaine, je juge que c’est la base de tout en termes de sécurité financière. »

Si le nombre d’assureurs qui offrent des polices garanties a diminué, le nombre de ceux qui proposent des produits à renouvel­lement garanti augmente. « ­Actuellement, on compte sept assureurs accessibles », dit ­Claudine Cloutier.

Outre l’anticipation d’une extinction de l’­assurance invalidité, le ­Baromètre de l’assurance a fait ressortir un nombre d’opinions et d’idées reçues sur lesquelles il vaut la peine de s’attarder. Par exemple, un répondant tire à boulets rouges sur ­Canada ­Vie en ces termes : « ­Il reste qu’il est préférable d’aller auprès de ­RBC puisque, pour ma part, ­Canada ­Vie ne m’a jamais accepté une police d’assurance invalidité. Non seulement ­est-elle la compagnie la plus intrusive en termes d’examens médicaux, mais ils n’acceptent personne. »

L’affirmation fait rire ­Anna Manousakos, directrice régionale des ventes, ­Montréal à ­IDC Worldsource. « J’ai travaillé pour les deux assureurs et, ­croyez-moi, j’atteignais mes objectifs de vente, ­dit-elle. À Canada ­Vie, des polices d’invalidité, j’en vendais, et pas seulement à des gens en pleine santé. » ­Même son de cloche de la part de ­Karen Rondeau : « ­Canada ­Vie est en activité depuis plus de 70 ans. Si nous ne recrutions pas de clients, nous ne serions plus en affaires. »

Le même conseiller qui, plus haut, prévoyait l’extinction du secteur donne pour cause « le nombre incroyablement élevé de dépressions, d’anxiété et d’épuisements professionnels. La plupart des compagnies ont retiré leurs produits ou l’ont rendu obligatoirement jumelable [sic] à une assurance vie. » ­Cette affirmation contient du vrai et du faux. Le faux tient à l’obligation de jumeler une police d’assurance invalidité à une police d’assurance vie. Aucun des spécialistes de produits à qui Finance et Investissement a parlé ne constate une telle chose. « ­Ce n’est pas du tout le cas chez les assureurs d’invalidité », tranche ­Claudine Cloutier.

Réclamations en hausse

Par ailleurs, il est vrai que les réclamations pour troubles nerveux sont en progression. À ­Canada ­Vie, par exemple, en 2020, elles représentaient 25 % des réclamations totales, en 2022, 35,5 %, selon des chiffres fournis par Anna Manousakos. La part du lion des réclamations revient aux troubles ­musculo-squelettiques : 42 % en 2020, 38,6 % en 2022. De plus, note ­Karen Rondeau, la durée des dépressions est en augmentation.

Au sujet des troubles nerveux, un conseiller note pour Canada ­Vie : « ­Ils ont une assurance invalidité, accident et maladie excluant la dépression et l’anxiété, ce qui la rend quasiment à moitié prix. » Encore vrai et faux. Claudine Cloutier reconnaît qu’il y a un produit à ­Canada ­Vie qui exclut les troubles nerveux, « mais les primes ne sont pas à moitié prix », souligne-t-elle.

Par ailleurs, « notre produit principal, qui ne peut être annulé, inclut la dépression, fait ressortir ­Karen Rondeau. L’autre option est celle des produits garantis renouvelables, dont la plupart excluent la dépression, car c’est plus difficile à évaluer au moment de l’indemnisation. Je suggère d’aller avec une police non résiliable si un client est admissible. »

Humania reçoit les accolades d’un conseiller : « Son assurance salaire accident seulement est très abordable et elle est émise instantanément », ­salue-t-il. Or, il souligne l’inconvénient d’une tarification « excessivement difficile ». Un autre conseiller parle aussi de tarification difficile parmi ses clientes, faisant un lien hypothétique avec la hausse des troubles nerveux. Ce sont des opinions que Karen Rondeau relativise : « D’autres vous diraient que ça va très bien ; c’est donc très personnel à chacun. Et c’est certain qu’Humania accepte les femmes. »

Au sujet de ­Beneva, un autre conseiller affirme : « ­Le produit ­Série ­Pilier de ­Beneva est pour moi le meilleur produit ­d’assurance invalidité, le plus intéressant pour Monsieur et ­Madame ­Tout-le-Monde. D’abord, parce qu’ils sont hyper compétitifs dans leurs primes, ensuite, parce qu’ils offrent des garanties intéressantes qu’ils incluent d’office dans leur produit de base. »

Claudine Cloutier commente : « C’est un produit qu’on apprécie aussi, mais un autre conseiller aurait aussi bien pu préférer un produit d’Humania. » Anna Manousakos confirme : « ­Le client a le choix de garantir son revenu au moment de la tarification ; ou pour une prime moins élevée, il peut prouver son revenu au moment d’une réclamation. Pour ma part, je préfère toujours garantir la prestation au moment de l’émission, mais c’est ma préférence. »

Quelques tendances se dessinent dans le marché de l’assurance ­­in­­validité, la plus importante tenant à une offre qui ne cesse de s’élargir. « ­Quand je suis arrivée dans le métier, rappelle ­Claudine Cloutier, il y avait quatre joueurs seulement qui offraient des produits garantis non résiliables, axés sur les professionnels et les entrepreneurs. »

Depuis, le marché s’est considérablement élargi, notamment avec la montée du travail autonome, que la pandémie n’a fait qu’accélérer. « ­Depuis la ­COVID, les compagnies ont commencé à mieux traiter les gens qui travaillent à domicile, constate Anna Manousakos. On les assurait, mais il y avait plus de limitations, par exemple pour l’invalidité partielle. À présent, c’est admis. »

« ­Aujourd’hui, ajoute Claudine Cloutier, il est presque certain qu’un client peut trouver un produit qui lui convient ; on peut assurer presque tout le monde, ce qui n’était pas le cas à une autre époque. »

Cet élargissement des clientèles est accru par les polices à émission simplifiée, une autre tendance qu’identifie Claudine Cloutier. « ­On va voir de plus en plus de tels produits, ­dit-elle. Ils sont plus faciles sur le plan de l’assurabilité et plus rapides. Par contre, ils ne couvrent pas tous les risques et sont plus sélectifs, ce qui les range avec les troisièmes choix pour moi, après les deux autres grandes catégories. »

Difficile de choisir

Cet élargissement apporte son lot de défis, notamment dans le repérage du bon produit. « ­Il est hyper important qu’un conseiller soit bien entouré et conseillé avant de faire une proposition à un client, soutient ­Claudine Cloutier. L’analyse des besoins peut être bonne, mais la solution, inappropriée. » Anna Manousakos constate que l’assurance invalidité est maintenant le produit « que plusieurs conseillers jugent le plus difficile à vendre ».

Par contre, le défi classique du conseiller en ­assurance invalidité demeure celui « d’assurer les gens avant qu’il ne soit trop tard, avance ­Anna Manousakos. Les gens, surtout quand ils sont jeunes, ne comprennent pas le besoin et le plus gros défi est de le leur faire comprendre. Ils se croient invulnérables ».