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En assurance de personnes, les primes garanties font la loi. Après une éclipse d’une trentaine d’années, les primes variables reviendront-elles dans l’actualité ? Si oui, les clients gagneront-ils au change ?

Les bas taux d’intérêt, les exigences réglementaires en matière de capital requis et l’implantation de nouvelles normes comptables compliquent la rentabilité des produits d’assurance vie à primes garanties.

La Ligne directrice sur les exigences de suffisance du capital des assureurs de personnes (ESCAP) est entrée en vigueur en janvier dernier. «Le maintien des primes à leurs niveaux actuels exige davantage de capital requis ou immobilisé par l’assureur», explique Luc Pellerin, premier vice-président et actuaire désigné d’UV Mutuelle.

Jusqu’ici, les assureurs canadiens semblent s’être adaptés sans douleur à ces nouvelles exigences. «Il n’y a pas eu beaucoup de changements par rapport aux primes», constate Luc Pellerin.

Les futures normes comptables IFRS 17, appelées en français Normes internationales d’information financière, seront instaurées en 2021 et l’inquiétude est déjà palpable.

«Avec IFRS 17, l’actif et les obligations seront toujours comptabilisées à la valeur marchande, mais les réserves actuarielles seront calculées en utilisant un portefeuille type qui ne variera pas exactement comme l’actif. D’où la volatilité possible des résultats», explique Luc Pellerin.

De plus, les actuaires sont tenus dans l’ombre à l’égard des futurs mécanismes d’application. «Il y a beaucoup d’inconnues. A priori, les IFRS 17 pourraient augmenter les coûts des protections à long terme. Les actuaires devront être [capables de composer avec ces éventuelles hausses de coûts]», dit Luc Pellerin.

Incertitude

Aux yeux de Jean-Michel Dubord, directeur – assurance vie et marketing avancé au Groupe Cloutier, le marché comporte «de l’incertitude par rapport à la pérennité des primes garanties. Je ne vois pas de tendance claire», dit-il.

Ce professionnel de l’assurance de personnes ne serait pas surpris si les produits à primes limitées de 10, 15 ou 20 ans disparaissaient «d’ici cinq ans» à cause des taux d’intérêt, des exigences plus élevées en matière de capitalisation et des nouvelles normes comptables.

Toutefois, ajoute-t-il, «les primes garanties pourraient se maintenir, mais tout en subissant de fortes augmentations».

Pour sa part, Lyne Lapointe, vice-présidente exécutive de AFL Groupe financier, ne croit pas à la fin prochaine des produits à primes garanties.

«J’entends régulièrement parler de la venue de produits à primes variables en assurance maladies graves depuis sept ou huit ans. Si les assureurs n’ont pas éliminé les primes garanties en maladies graves, ils ne devraient pas bouger en assurance vie», dit-elle.

Vulnérabilité en maladies graves

En revanche, les développements de la science pourraient accélérer les choses, du moins en assurance maladies graves.

«Les tests d’ADN pourraient avoir beaucoup d’impact sur le design des produits d’assurance maladies graves. Jusqu’à présent, nous ne voyons aucun signe voulant que les assureurs s’apprêteraient à y instaurer le principe des primes variables», dit Sébastien Lafond, associé et responsable de la distribution chez Lafond + Associés – Groupe Conseil et Groupe Courtage.

Rien ne dit que les assureurs ne changeront pas leur fusil d’épaule.

«Nous savons que les conséquences des tests d’ADN préoccupent énormément les assureurs. Notre tâche consiste à prévenir nos clients qu’il y a un risque touchant la pérennité des primes fixes en maladies graves», signale Sébastien Lafond.

Du côté de l’assurance vie, «on ne voit pas de signaux indiquant que les assureurs envisageraient des structures de primes variables», ajoute ce dirigeant de Lafond + Associés.

Fait significatif, le leader de marché Financière Manuvie a lancé en juin une vie entière avec participation. Les primes sont garanties.

«Selon nous, cette décision de Manuvie illustre l’idée que les primes garanties en assurance vie reposent sur des bases relativement solides», dit Sébastien Lafond.

Retour vers le passé

Président fondateur du cabinet Coaching Financier Trek, Marc Bérubé se dit méfiant à l’égard de l’intérêt des clients pour les primes variables. «En achetant une assurance vie à l’âge de 25 ans, on veut naturellement savoir si on sera toujours en mesure de payer les primes 40 ans plus tard. Avec des primes variables, on ne saura jamais d’avance si ça pourra être le cas», dit-il.

Les primes variables en assurance vie rappelleront de mauvais souvenirs à plusieurs conseillers d’expérience.

«Au cours des années 1980, des assureurs, dont certains ont été acquis depuis lors, se sont mis à augmenter les primes de produits d’assurance vie à primes variables de façon marquée. Faute de pouvoir assumer ces coûts, bien des clients vieillissants ou à l’âge de la retraite ont abandonné leurs protections. D’autres ont réduit leurs couvertures à l’extrême», évoque Guy Duhaime, président du Groupe Financier Multi Courtage.

Selon Guy Duhaime, avec les primes variables, les assureurs auraient toujours de bonnes raisons pour augmenter les primes : «Ce concept de tarification n’est finalement pas fait pour la plupart des clients, ni pour les conseillers».

Selon Guy Duhaime, s’il y avait des primes variables, les clients auraient à se discipliner afin d’investir l’économie proposée par ce concept et ainsi assumer les hausses de primes futures. «Ce n’était pas le cas dans les années 1980», constate-t-il.

Un marché unique

Les partisans des primes garanties peuvent toutefois compter sur un fidèle allié, la particularité du marché canadien. En effet, contrairement à d’autres grands marchés comme l’Europe, les primes garanties règnent au Canada.

Ainsi, selon l’actuaire désigné de UV Mutuelle, le marché canadien de l’assurance de personnes sera un rempart face à l’arrivée éventuelle des primes variables.

«Les consommateurs et les conseillers canadiens demandent des produits à primes garanties. À l’exception de l’invalidité, l’industrie de l’assurance de personnes devrait continuer sur cette voie, du moins dans un avenir prévisible. C’est le marché canadien qui le demande !» affirme Luc Pellerin.

Une certitude, le changement

La question des coûts pourrait être le joker qui modifiera les règles du jeu.

Tel est le point de vue du président et chef de la direction d’Humania Assurance, Stéphane Rochon. Selon lui, la demande de produits moins coûteux par des consommateurs entraînera de grands changements.

«S’il faut des primes non garanties pour être davantage concurrentiels, des assureurs finiront par y répondre. Par exemple, une T100 à primes ajustables, sensiblement moins chère qu’une T100 à primes garanties, trouverait certainement son public», dit le patron d’Humania.

D’après lui, les assurances maladies graves à primes garanties «risquent fort de disparaître» pour cause de rentabilité insuffisante. «Il est fort probable que de nouveaux produits à primes ajustables et très compétitifs verront le jour !» ajoute Stéphane Rochon.

Quant au reste des produits d’assurance de personnes, tout est sur la table.

«Le marché canadien de l’assurance de personnes va changer. C’est une certitude», affirme le dirigeant d’Humania Assurance. Stéphane Rochon évoque l’ouverture potentielle de «nouveaux marchés» en assurance vie par l’application éventuelle du principe des primes variables.