La main d'une femme tapant sur une calculette posée sur une table.
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Les autorités fiscales disposent d’un éventail de mesures afin de connaître les détenteurs et les mineurs de cryptoactifs. Et même si elles n’ont pas encore répondu à toutes les interrogations de la communauté fiscale, gare à ceux qui ignorent leurs interprétations actuelles.

C’est ce qui ressort d’ateliers donnés lors des congrès de l’Association de planification fiscale et financière (APFF) et de l’Institut québécois de planification financière (IQPF), en septembre et octobre.

Dans un jugement de la Cour fédérale dans l’affaire Coinsquare de mars 2021, le tribunal a autorisé la ministre du Revenu national à exiger bon nombre d’informations sur les activités des clients de ce marché en ligne de cryptoactifs. L’Agence du revenu du Canada (ARC) cherchait à obtenir de l’information sur les détenteurs de comptes d’une valeur de 20000$ au plus et sur les détenteurs des 16500 comptes les plus importants en matière de volume d’échange et de nombre de jetons possédés.

« On a des autorités fiscales qui commencent à poser de plus en plus de questions et s’intéressent aux détenteurs de cryptomonnaies. Les développements sur ce plan seront intéressants, car Coinsquare n’est pas la seule plateforme d’échange qui existe au Canada », indiquait Geneviève Favreau, avocate chez McCarthy Tétrault, lors du congrès de l’APFF. La non-conformité fiscale liée aux cryptoactifs présente donc un risque pour les clients.

Le présent article portera principalement sur deux types de cryptoactifs: les jetons de type marchandise (commodity tokens’), comme le bitcoin ou l’ether, et ceux issus de premières émissions de jetons (PEJ), mieux connus sous leur acronyme ICO ou Initial Coin Offering. Les seconds sont considérés comme des valeurs mobilières et les premiers ne le sont généralement pas, mais peuvent l’être selon le contexte.

« La façon dont ces jetons sont négociés, par exemple sur une plateforme d’échange, peut créer une valeur mobilière. Si la plateforme ne fait pas la livraison immédiate des jetons à l’acheteur, on considère qu’un contrat est créé entre l’acheteur et la plateforme, et ce contrat est une valeur mobilière », soulignait Lise Estelle Brault, directrice principale, fintech, innovation et encadrement des dérivés, de l’Autorité des marchés financiers (AMF). C’est, entre autres, la raison pour laquelle la plupart des plateformes d’échange de jetons de marchandise doivent s’inscrire auprès de l’AMF.

Examinons les règles concernant les jetons de marchandise. On peut les obtenir soit par un don, soit en les achetant ou par minage. Ce sont des biens meubles incorporels, selon le droit civil québécois, lit-on dans le cahier du participant du congrès de l’IQPF: « Lors d’une vente d’un bien, un contrat de vente ne peut être conclu puisqu’aucune somme d’argent n’est remise en échange du bien. Cette transaction serait plutôt considérée comme un contrat d’échange de biens (ou troc), tel que visé par les articles 1795 à 1798 du Code civil du Québec. »

Sur le plan fiscal, les cryptoactifs ne sont pas des devises, mais plutôt des biens ou des marchandises. Le traitement fiscal varie selon que cet actif sert à faire du troc, à gagner un revenu d’entreprise ou à spéculer.

Lorsqu’une entreprise, un commerce ou un contribuable se fait payer en cryptomonnaie, la transaction effectuée est assujettie aux règles du troc. « Il faut donc convertir la valeur de la cryptomonnaie reçue en dollars canadiens et cela est considéré comme une disposition. Le montant converti doit être déclaré dans la déclaration de revenus. Aussi, la taxe sur les produits et services ainsi que la taxe de vente pourraient devoir être perçues sur la valeur marchande de la cryptomonnaie au moment de conclure la transaction », mentionne le cahier du congrès de l’IQPF.

Si l’objectif est de générer un revenu de placement, on doit déterminer si la transaction constitue un revenu d’entreprise ou un gain ou une perte en capital. «Par exemple, si un contribuable réalise des bénéfices sur les achats et les ventes répétées de cryptomonnaie, l’Agence du revenu du Canada peut décider de faire la somme de tous les bénéfices de son revenu sous forme de revenu d’entreprise et non de gain en capital, à la suite de l’évaluation du caractère récurrent de la transaction», apprend-on dans le cahier du participant.

Concernant l’activité de minage, l’ARC traite l’opération comme une production de marchandise. Selon les circonstances, l’autorité fiscale déterminera si cette activité constitue un gain en capital ou un revenu d’entreprise.

Précisions attendues 

Voilà pour les règles fiscales générales qui s’appliquent aux cryptoactifs. Or, des questions fiscales restent encore sans réponse pour le moment, comme l’a mentionné Marc-Antoine Laurin, directeur principal, fiscalité, chez Raymond Chabot Grant Thornton, au congrès de l’APFF.

Par exemple, un client peut-il déclarer une perte en capital s’il démontre qu’il s’est fait voler ses cryptoactifs? On attend encore la réponse des autorités fiscales, mais il est possible que cela soit le cas si les faits le prouvent.

On ignore également si un contribuable doit remplir le formulaire Tl 135 Bilan de vérification du revenu étranger lorsque ses cryptoactifs ont atteint une valeur de 100000$ et plus à un moment de l’année. Les autorités fiscales du Canada ont précisé que ces actifs sont visés par le Tl 135 lorsqu’ils sont déposés, échangés et détenus à l’extérieur du Canada, précisait Marc-Antoine Laurin dans un atelier.

Le hic est que les cyptoactifs sont virtuels et que, par exemple pour la chaîne de blocs, il s’agit d’un marché décentralisé. Doit-on remplir le formulaire T1135 « quand la clé est dans un portefeuille à l’extérieur du Canada » ou lorsque les actifs sont négociés « sur un exchange à l’extérieur du Canada? Ce sont d’autres questions qui vont nécessiter plus de précision », indiquait-il.

Quel sera le traitement fiscal des jetons qu’un influences a reçus par exemple en échange d’un gazouillis (tweet) afin de faire connaître ce cryptoactif (airdrop) ? « Est-ce que ce sera considéré comme un revenu au moment où c’est reçu? On s’imagine que oui, mais quelle est la valeur de ce coin? Souvent, il n’a pas de valeur sur le marché », a noté Marc-Antoine Laurin.

Quelle sera l’imposition d’un hard fork, une opération qui consiste à créer une nouvelle version de la chaîne de blocs parallèle à la première et qui alloue alors un nouveau jeton aux détenteurs de jetons du moment? Est-ce que les autorités fiscales appliqueront un traitement semblable à celui du fractionnement d’actions d’une société?

Bon nombre de questions touchant les activités de minage sont aussi en attente de réponses, dont le traitement fiscal des inventaires. On ne sait pas non plus quelle sera l’imposition des activités de minage de type proof of stake. Pour ces activités, chaque mineur qui souhaite valider un bloc met en jeu une certaine quantité d’argent, soit une sorte de dépôt. Cet argent lui est remis lorsque sa tâche est accomplie.

« Est-ce que c’est considéré comme du revenu de bien ou du revenu d’entreprise? [L’écart d’imposition est important], car un revenu de bien va être imposé à 50,17%, par rapport à du revenu d’entreprise qui peut varier selon le petit taux ou le gros taux, mais aller à 20,5%. On aimerait avoir une réponse, car le staking peut aussi comporter des risques et demande à faire un certain travail. Alors, est-ce réellement du revenu passif? Ce sera à voir », a mentionné Marc-Antoine Laurin.

Valeurs mobilières peu encadrées 

Une PEJ ou ICO est une opération de collecte de fonds menée sur Internet, qui vise généralement à financer un projet technologique en démarrage ou quiconque désire se lancer en affaires et obtenir du financement d’internautes et d’investisseurs en tous genres. Cela s’apparente au modèle des premiers appels publics à l’épargne (PAPE), une forme de financement par capitaux propres. Or, «dans le cas d’une ICO, les investisseurs ne se voient pas offrir des actions qui seront cotées en Bourse, mais de la monnaie virtuelle ou des jetons dont la valeur et l’utilisation éventuelles sont étroitement liées au succès du projet financé», lit-on dans le cahier du participant du congrès de l’IQPF.

Les fiscalistes ont encore des questions relativement à l’imposition des PEJ. Pour le détenteur d’un cryptoactif issu d’une ICO, les règles générales de l’imposition liée aux jetons de marchandise semblent s’appliquer, mais qu’en est-il de l’entreprise qui lève du capital et reçoit des jetons? «Est-ce que c’est un revenu? Ou est-ce que c’est le même traitement qu’une émission d’actions? On aimerait avoir de l’information sur la façon de traiter cela», note Marc-Antoine Laurin.

Lors du congrès de l’IQPF, on soulignait que «les ICO constituent un terrain propice à la fraude». De plus, il n’existe pas de réglementation spécifique à l’ensemble des ICO. «Bien que certaines soient réglementées par l’AMF, la majorité proviennent d’outre-mer et ne sont pas encadrées», mentionnait-on aux participants.

Non seulement « la documentation fournie peut être partiale, incomplète ou trompeuse », selon le cahier du congrès de l’IQPF, mais les « ICO visent généralement à financer des projets à un stade très préliminaire, suivant des modèles d’affaires expérimentaux. Les risques de perdre la totalité du capital investi sont élevés. »