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Recevoir des rentes à la retraite vaut son pesant d’or. Or, cette paix d’esprit a un coût qu’on doit évaluer. Nos experts examinent le cas de Claude et Marie.

Claude et Marie ont tous deux 65 ans, sont en bonne santé et viennent de prendre une retraite bien méritée. Le couple n’a pas de dettes de consommation et leur maison est payée. Depuis cette année, ils perçoivent leur pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) et leur rente de retraite du Régime de rentes du Québec (RRQ). Ils se demandent s’il est opportun de se procurer davantage de rentes.

Données financières

REER de Claude : 1 M$ ; REER de Marie : 200 000 $. Portefeuille équilibré (risque modéré) ;

PSV : chacun 7 000 $ de revenus annuels, donc 14 000 $ à deux ;

RRQ de Claude : 10 000 $ par an ; RRQ de Marie : 5 000 $ par an, donc 15 000 $ à deux ;

Pas de rente de retraite d’employeurs ;

Dépenses à la retraite : 75 000 $ nets (89 000 $ bruts) par an; impôt: environ 14 000 $.

«Avec un rendement avant impôt et après frais de 4 % par année, une indexation de 2 % des dépenses et des revenus fixes par année, ils épuisent leur capital à 90 ans et ils demeurent propriétaires de leur maison», remarque Nathalie Bachand, actuaire de formation et planificatrice financière au cabinet Bachand Lafleur, groupe conseil.

Quel montant devraient-ils souscrire en rentes viagères ?

Le couple doit piger 60 000 $ bruts dans ses REER chaque année afin de combler l’écart leur permettant d’assumer leurs dépenses. Donc, 32 % de leurs revenus bruts de retraite se trouve sous la forme de rentes viagères indexées, soit 29 000 $ divisé par 89 000 $. Est-ce suffisant ?

Selon les normes de l’Institut québécois de planification financière (IQPF), le couple risque de survivre à son épargne-retraite et pourrait se retrouver à 90 ans à compter seulement sur leur rente du RRQ et de PSV. «Idéalement, on veut que l’âge où les actifs seront épuisés corresponde à une probabilité de survie qui n’excède pas 25 %, soit une chance sur quatre d’être encore en vie», indique Nathalie Bachand. Cet âge est de 97 ans pour l’un des membres du couple, selon ces normes.

Bien que leur maison soit payée, il peut être insécurisant de constater qu’à 90 ans, ils doivent vivre avec des revenus de 29 000 $ par rapport à des dépenses actuelles de 75 000 $. «Puisqu’ils ne maintiennent pas leur niveau de vie jusqu’à une espérance de vie raisonnable, l’achat d’une rente viagère permettrait d’améliorer le scénario», ajoute Nathalie Bachand.

Elle propose d’analyser les dépenses nettes à la retraite afin de déterminer quelles sont les dépenses fixes et variables du couple. Si le couple juge qu’environ 50 000 $ par année sont des dépenses incompressibles comme la nourriture, les vêtements, les taxes foncières, etc., on pourrait envisager l’achat d’une rente viagère pour combler le manque à gagner de manière permanente. Une rente viagère annuelle de 24 000 $ permettrait de le faire en bonne partie et nécessiterait une ponction de capital de 410 000 $, estime Nathalie Bachand (voir les détails plus bas). «Il est aussi indiqué de tenir compte des frais fixes futurs, par exemple si le couple se voit obligé d’aller vivre dans une résidence pour aînés dans une quinzaine d’années», remarque Denis Preston, formateur et planificateur financier.

Devraient-ils acheter une rente viagère maintenant ou plus tard ?

Cela dépendra du profil d’investisseur du couple, soutient Nathalie Bachand. Claude et Marie supportent-ils aisément que le rendement de leurs placements fluctue beaucoup au quotidien ? «L’achat d’une rente viagère dès aujourd’hui peut être approprié si le couple est déjà prudent avec ses placements. Pour des entrepreneurs ou des investisseurs plus agressifs, la rente viagère est plus difficile à vendre. Le sentiment d’avoir un besoin urgent de revenus garantis est moins présent. C’est également comportemental», souligne-t-elle.

Laissons de côté l’aspect psychologique de la décision et examinons quelques chiffres. Selon les calculs de Nathalie Bachand, l’achat d’une rente viagère annuelle de 24 000 $ payée à même le REER de Claude coûterait environ 360 000 $. Puisque la rente est prise par ce dernier, il serait à propos d’envisager l’option d’une rente réversible à 60 % à Marie en cas de décès. Il en coûterait alors 410 000 $. Dans notre exemple, on a acheté une rente viagère non indexée, car c’est moins coûteux. Il s’avère donc que le couple perdra du pouvoir d’achat au fil du temps.

Ce montant de 24 000 $ va ainsi s’ajouter aux 29 000 $ déjà perçus avec la PSV et le RRQ. «Après impôt, on se retrouve avec environ 40 000 $ et on comble un peu plus de la moitié des dépenses annuelles. Même si on épuise le capital vers 89 ans et que la rente viagère n’est pas indexée, on maintient un revenu viager plus important et on couvre en grande partie les dépenses fixes», précise-t-elle. L’achat d’une rente viagère fait perdre le contrôle sur l’actif, mais vient augmenter le revenu garanti viager.

Qu’en est-il si on retarde l’achat de cette même rente viagère à 75 ans ? Il en coûterait alors 310 000 $ à Claude en prenant un taux de rendement semblable à celui d’aujourd’hui. Le couple va donc décaisser le manque à gagner à même ses REER pendant les 10 prochaines années. «Si je retarde de 10 ans l’achat de la rente viagère, j’épuise encore mon capital à 89 ans. Par contre, je ne peux connaître de manière certaine les conditions d’achat d’une telle rente dans 10 ans. Ce sera notre meilleure estimation aujourd’hui de ce qu’il en sera dans 10 ans», rappelle Nathalie Bachand.

Afin d’améliorer la viabilité du plan de retraite, il serait également diligent d’évaluer l’impact d’une réduction des dépenses à la retraite. «En conservant la rente viagère tout en réduisant les dépenses annuelles nettes de 75 000 $ à 68 000 $, le couple épuise son capital à 97 ans, une durée plus raisonnable de décaissement si l’on tient compte des normes de l’IQPF», indique-t-elle.

D’un point de vue successoral, il est bien sûr plus rentable de retarder l’achat de la rente puisque si Claude et Marie décèdent précocement, ils en laisseront plus à leurs héritiers. «S’ils n’ont pas d’enfants, la question ne se pose peut-être pas. Mais dans le cas où on voudrait transmettre des sommes à des héritiers, Claude et Marie doivent comprendre que s’ils meurent rapidement, ils auront donné 410 000 $ à l’assureur», remarque Nathalie Bachand. Il faut donc peser le pour et le contre. Malgré la ponction de capital en début de retraite que nécessite l’achat d’une rente viagère, on ne doit pas négliger la paix d’esprit qu’elle procure pour certains, rappellent nos experts.

Autre aspect souvent oublié : la capacité du client à prendre la bonne décision financière à 75 ans, voire plus tard. Selon une étude américaine publiée en 2015, «Old Age and the Decline in Financial Literacy», par des chercheurs de l’université Texas Tech et de l’université du Michigan, le niveau de littératie financière des aînés diminue graduellement après 60 ans. Et même s’il y a une diminution des capacités cognitives, les personnes testées ne se sentaient pas moins en confiance de prendre des décisions financières. La dégradation est lente et difficile à percevoir, semble-t-il.

«On peut se demander si à 75 ans notre couple prendra la bonne décision lorsqu’il voudra ou non acheter une rente viagère. Il y a aussi le risque de ne jamais agir et de préférer le statu quo», indique Nathalie Bachand.

Martin Dupras suggère d’avoir des discussions régulières avec le couple à propos de l’utilité des rentes. Si Claude et Marie ne sont pas prêts aujourd’hui à débourser un gros montant pour une rente viagère, peut-être seront-ils plus ouverts dans deux ans, cinq ans ou dix ans, croit le planificateur financier et président de ConFor financiers.

«Le fait de subir une ponction de capital importante nécessite une préparation. À 65 ans, c’est difficile de prendre une décision qui va nous encarcaner pendant 25 ans. Bon nombre ne ressentent pas le besoin de couvrir immédiatement leur risque de longévité. En vieillissant, pour des fins de gestion de risque, cela pourrait changer», remarque-t-il.

L’idée d’étaler dans le temps l’achat d’une telle rente en scindant le déboursé n’est pas mauvaise, selon lui. On s’expose ainsi à différents scénarios de taux d’intérêt. Si ces taux s’avèrent plus élevés, les versements de la rente le seront aussi. On pourrait donc dépenser 150 000 $ dans trois ans et peut-être un montant semblable dans cinq ou huit ans, par exemple.

Devraient-ils prendre plus de risque avec leur portefeuille après avoir acheté une rente ?

Puisqu’un pourcentage plus important de leurs revenus de retraite serait garanti avec une rente viagère, Claude et Marie pourraient se sentir plus à l’aise de prendre des risques avec la portion de leur patrimoine qui n’est pas en rentes. Ils pourraient augmenter leur répartition d’actif en actions, ce qui ne serait pas le cas autrement.

Bien que mathématiquement vraie, cette affirmation est plus difficile à matérialiser dans les faits, d’après Martin Dupras. «Les humains ont tendance à compartimenter leurs avoirs et même si je peux soutenir plus de risque avec mon REER parce que j’ai beaucoup de rentes viagères, bon nombre vont refuser de le faire», dit-il. Selon Nathalie Bachand, le retraité qui ressent le besoin d’avoir davantage de rentes viagères aura souvent un profil d’investisseur prudent et ne voudra pas nécessairement prendre plus de risque avec son portefeuille de placements.

«Si Claude et Marie couvrent leurs dépenses fixes annuelles avec des rentes viagères, lors d’une correction boursière, celles-ci vont permettre d’éviter de piger dans le portefeuille de placements et cela pourrait dans certains cas augmenter l’espérance en dollars de leur portefeuille et aussi la valeur successorale de leurs avoirs», indique Denis Preston.

Quels avantages y a-t-il à souscrire une rente ?

La rente viagère est un arbitrage entre la sécurité et la flexibilité. «Combien suis-je prêt à perdre en flexibilité pour m’acheter de la sécurité», résume Martin Dupras. Chaque personne aura une réponse différente.

Pour Claude et Marie, la rente viagère est financièrement avantageuse si l’un d’eux vit jusqu’à 100 ans, par exemple. Un revenu payable à vie minimise ainsi le risque de longévité du couple.

Lorsqu’on souscrit une rente, on subit une ponction de capital, mais ensuite on n’a plus à se soucier de choisir les bons placements ni à tenir compte du risque encouru. La gestion des actifs, des risques liés au décaissement et des autres risques financiers est assumée par l’assureur.

La rente viagère est également un produit intéressant quand notre espérance de vie est supérieure à la moyenne. C’est le cas de Claude et Marie qui sont en bonne santé et dont l’espérance de vie n’est pas réduite par une maladie ou une lourde hérédité.