Une femme tenant un petit arbre dans la main dont les feuilles représentent le globe terrestre. Un papillon est vers l'arbre.
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« ­Comme conseiller, l’investissement responsable (IR) te permet de mieux faire ton travail parce que tu poses plus de questions aux clients. Cela te permet de mieux les connaître, de connaître leurs valeurs et de mieux répondre à leurs besoins », résume ­Ann-Rebecca ­Savard, représentante de courtier en épargne collective et sur le marché dispensé rattachée à ­MICA ­Capital.

Si cette conseillère est particulièrement enthousiaste ­vis-à-vis de l’IR, elle est loin d’être la seule. Les résultats de l’édition 2023 du ­Pointage des courtiers québécois et du ­Pointage des courtiers multidisciplinaires montrent que l’intérêt pour les facteurs ­ESG (environnement, social et gouvernance) est en croissance.

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Alors qu’en 2020, la proportion de représentants qui ne géraient aucun actif orienté vers les stratégies ESG était de 42 % chez les conseillers liés à des courtiers de plein exercice et de 34 % chez les conseillers liés à des courtiers multidisciplinaires en 2023, ces proportions s’établissaient respectivement à 29 % et 15 %, selon les données recueillies lors des deux pointages menés par Finance et Investissement.

En 2023, la part moyenne pondérée de l’actif géré qui cible l’ESG s’élevait à 23,4 % pour les conseillers liés à un courtier de plein exercice et à 14,2 % pour les conseillers liés à un courtier multidisciplinaire. En 2022, ces proportions étaient respectivement de 34,9 % et de 13,5 %, en 2021, de 20,8 % et de 9,6 %, et en 2020, de 15,6 % et de 5,7 %.

Même si on constate que les conseillers liés à des courtiers multidisciplinaires demeurent encore à la traîne par rapport aux conseillers en placement, l’ESG dans le portefeuille de leurs clients affiche, lui, une progression importante.

Cette hausse témoigne d’une adoption grandissante de l’ESG par les conseillers. Et ce, malgré les défis du secteur de l’investissement ­ESG, qui a fait l’objet d’al­légations d’écoblanchiment, soit de peindre en vert des activités ou des entreprises qui ne le sont pas. De plus, les régulateurs encadrent davantage les émetteurs de produits financiers afin qu’ils améliorent la divulgation en lien avec l’ESG.

Malgré ces défis, l’intérêt est là. « C’est l’avenir. C’est ce que la majorité des gens demandent », témoignait ainsi un répondant du ­Groupe ­Cloutier. « ­Pour les jeunes, c’est de plus en plus important. J’ai beaucoup de clients qui me le demandent », disait un autre.

De nombreux défis doivent toutefois encore être affrontés pour que le secteur puisse s’épanouir pleinement. Le premier étant le manque de normes.

« Ça ne veut rien dire. Quelle est la définition d’ESG ? Elle varie d’une personne à l’autre », reprochait ainsi un répondant de ­Valeurs mobilières ­Desjardins. « ­Pour le moment, c’est vrai. Malheureusement, la définition est très subjective », admet ­Ann-Rebecca ­Savard.

Et ce flou fait que nombre de conseillers sont réticents à se lancer dans le domaine, notamment par crainte qu’on les taxe de faire de l’écoblanchiment ou de la publicité trompeuse. De plus, il faut que les noms des produits axés sur l’ESG soient clairs pour qu’investisseurs et conseillers comprennent leur mandat.

Toutefois, il y a plus de discussions sur le besoin de réglementer le domaine, notamment concernant la divulgation. « ­On voit qu’il y a des organismes professionnels qui commencent à se poser des questions et qui disent comment ça devrait être divulgué ou déclaré dans les rapports annuels », rapporte ­Jean Morissette, consultant spécialiste de l’industrie du courtage de plein exercice.

« C’est là où on s’en va, cette année, assure Ann-Rebecca Savard. Il faut juste qu’il y ait un meilleur système qui permette aux conseillers de distribuer ces produits avec confiance. »

Selon elle, les conseillers peuvent déjà se lancer, car l’important avant tout est de comprendre le client et de cibler la façon dont il veut investir ses avoirs. « ­Les enjeux sont plus derrière que devant nous », ajoute-t-elle.

« ­Selon moi, c’est très arbitraire. C’est du marketing, on veut aller chercher de l’argent avec ça », déplorait un conseiller de BMO Nesbitt Burns.

On entend encore souvent ce commentaire, mais Ann-Rebecca Savard estime que ce reproche n’a pas lieu d’être. « Ça a été un peu du marketing pour certains, surtout quand c’était publicisé de la mauvaise façon », ­admet-elle. Toutefois, ­elle-même estime que l’écoblanchiment, puisque c’était cela selon elle, est devenu très complexe depuis que les autorités de réglementation des valeurs mobilières surveillent cela de près.

Aujourd’hui, « ce qui est un coup de marketing est que si tu connais bien ça, tu peux sortir du lot, car encore beaucoup de conseillers ne connaissent pas vraiment ça », ­affirme-t-elle. Elle réitère que l’analyse ESG permet de connaître son client davantage et donc de mieux faire son travail de conseiller.

Intérêt accru des clients

Certaines catégories de clients semblent plus enclines à demander des produits en IR que d’autres. Ainsi, les jeunes et les femmes semblent être particulièrement attirés vers ce type d’investissement.

« ­Pour les jeunes, c’est de plus en plus important. J’ai beaucoup de clients qui me le demandent », rapportait un répondant d’iA Gestion privée de patrimoine.

Les personnes âgées semblent être aussi particulièrement sensibles. « ­De façon générale, lorsque tu es plus âgé, tu es moins préoc­cupé par l’accumulation et le rendement », analyse Jean Morissette.

« ­Ma mère estimait que rendue là où elle en était dans sa vie, c’était comme un devoir de bien faire de ce ­côté-là », continue-t-il.

« ­Les clients âgés, qui ont des enfants et des ­petits-enfants, sont très intéressés, car ils veulent que ceux-ci vivent sur une belle planète. Ils désirent laisser un bel héritage à leur famille », nuance Ann-Rebecca Savard.

L’âge semble aussi être un facteur déterminant dans l’utilisation de produits ­ESG chez les professionnels, particulièrement chez les conseillers liés à des courtiers multidisciplinaires. Parmi eux, l’âge moyen des conseillers dont 20 % ou plus des actifs sont orientés vers l’ESG est de 43,8 ans. En comparaison, ceux dont entre 0 et 19 % des actifs sont en ­ESG ont en moyenne 48,6 ans. Ainsi, les
conseillers plus jeunes sont légèrement plus susceptibles d’investir les actifs de leurs clients selon les stratégies ESG.

Les résultats de nos pointages montrent qu’il est davantage probable qu’une partie importante des actifs des clients fortunés et de leurs représentants cible l’ESG. Par exemple, les 20 % des répondants qui affichent l’actif moyen par ménage le plus élevé sont plus enclins à avoir une plus grande proportion de leur actif en ­ESG que leurs pairs (80 % restants).

« ­Il y a ­peut-être une perception que les fonds ­ESG sont moins rentables, mais ils sont aussi considérés comme moins risqués. Les gens fortunés, leur préoccupation, ce n’est pas d’en accumuler plus, mais de ne pas en perdre », analyse ­Jean ­Morissette.

De moins bons rendements ?

Parmi les conseillers et dans la population, l’idée que l’investis­sement responsable est synonyme de moins bons rendements est encore forte, bien que plusieurs études aient démontré le contraire.

­Ann-Rebecca ­Savard cite ainsi la ­méta-étude « ­ESG and Financial Performance : ­Uncovering the Relationship by Aggregating Evidence from 1,000 ­Plus ­Studies ­Published between 2015 – 2020 » de Rockefeller ­Capital Management, qui prouve que ces fonds ne performent pas moins bien que les autres, au contraire.

L’étude conclut toutefois que certaines stratégies ­ESG sont plus efficaces que d’autres. Par exemple, l’intégration de facteurs d’analyse ­ESG performe mieux que l’approche d’exclusion, les entreprises qui s’améliorent sur le plan de l’ESG étant susceptibles de déclasser les leaders en matière d’ESG.

La conseillère rappelle également que la performance n’est pas nécessairement le but de tels produits. Certains clients affirment même qu’ils préfèrent que leurs actifs concordent avec leurs valeurs plutôt qu’ils fassent de hauts rendements.

« ­Ce qui est intéressant est qu’un conseiller va moins justifier ses rendements à un client, mais il va justifier les mandats en arrière. C’est la meilleure façon selon moi de parler à ses clients. Car si tu leur dis : “J’ai eu un rendement de 10 % l’an passé”, que ­va-t-il se passer l’année où ça va mal aller ? ­Tes clients vont aller ailleurs », ­dit-elle.

Pour éviter ce genre de préjugé et de dire n’importe quoi au sujet de l’ESG, la conseillère recommande à tous les professionnels de s’informer sur le sujet et ­peut-être de suivre une formation. Il est ainsi possible de devenir spécialiste en ­IR avec la formation de l’Association pour l’investissement responsable ou de suivre le cours de l’Institut ­PRI et d’obtenir le titre de ­RIAC. Certaines universités offrent maintenant des cours sur le sujet.

Elle suggère également de consulter le site du ­Canadian Investment ­Funds ­Standards ­Committee, qui classe près de 500 fonds en ­IR selon six critères.

« L’IR est la saveur du mois », se moquait un conseiller en placement du ­Pointage des courtiers québécois.

Or, cette opinion est loin d’être partagée. Même les répondants qui n’ont presque pas d’actifs de ce type sont conscients que l’avenir se dirige dans cette direction. « J’ai commencé depuis peu à intégrer ces solutions aux options offertes ; mais ça augmentera beaucoup dans les années qui viennent », confiait un sondé du ­Groupe financier PEAK.

« ­La tendance va continuer. On ne peut plus retourner en arrière. Mais ça va s’ajuster et être fait de façon plus intelligente, ce qui va probablement faciliter le travail de ceux qui achètent ou conseillent les gens dans l’ESG, parce que ça va être plus clair », indique ­Jean ­Morissette.