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Les ­Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) proposent une solution de rechange à la transmission des états financiers par les fonds d’investissement qui ne fait pas l’unanimité.

Dans une consultation qui s’est terminée à la fin de 2022, une vingtaine de mémoires ont commenté le modèle fondé sur l’accès à cette information. Tous saluent la volonté de modernisation que le modèle démontre, mais les moyens que les ­ACVM mettent de l’avant sont loin de faire consensus.

Le modèle fondé sur l’accès visera en premier lieu les rapports de la direction sur le rendement du fonds (RDRF) et les états financiers. Selon la proposition, il exigerait que les émetteurs affichent les documents sur leur site ­Web désigné et les obligerait à publier et afficher sur leur site Web un communiqué annonçant la disponibilité des documents.

Il y aura également obligation de transmettre sur demande les documents aux porteurs et propriétaires de titres, ou conformément à des instructions permanentes. Le projet, explique l’avis de consultation des ­ACVM, « vise à réduire les frais d’impression et d’envoi postal associés au régime actuel, contribuant à réduire le fardeau réglementaire des émetteurs sans compromettre la protection des investisseurs ».

Le modèle repose sur deux piliers : d’une part, les émetteurs doivent rendre leurs documents facilement accessibles sur leur site et sur ­SEDAR ; d’autre part, les investisseurs doivent être avisés de la disponibilité de ces documents dès leur parution, et cet avis doit être diffusé par voie de communiqué de presse.

La majorité des mémoires saluent l’esprit de la réforme, mais en réprouvent la lettre. « ­Nous n’appuyons pas le modèle proposé […] qui, selon nous, introduit de nouveaux coûts d’opération, des fardeaux réglementaires et des risques de conformité sans réduire de façon sensible les exigences actuelles basées sur les documents papier », écrit ­Fasken. En bref, l’application du modèle contredirait les objectifs qu’il dit vouloir atteindre.

Selon ­FAIR ­Canada, la seule nouveauté du modèle est de remplacer l’exigence actuelle d’émettre des avis annuels aux détenteurs de titres, avis qui leur signale qu’un ­RDRF est disponible, par une exigence de publier un communiqué de presse annonçant que les documents sont disponibles.

Le nouveau modèle risque même d’accroître la diffusion de documents papier, prévoit ­Fasken, car les investisseurs qui ont déjà donné leurs instructions à cet effet verront plus probablement ces mêmes instructions reconduites dans une nouvelle ronde.

Selon ­Fasken, la diffusion par communiqué de presse tente d’imposer au monde des fonds d’investissement un modèle emprunté au monde des entreprises cotées en Bourse qui ne lui correspond pas du tout.

Fidelity objecte que le modèle l’obligerait à produire 665 communiqués par année. « ­Rédiger, approuver, distribuer, afficher et classifier un tel nombre de communiqués chaque année représenterait un investissement considérable de temps et de ressources » qui contredirait l’objectif. L’Institut des fonds
d’investissement 
du ­Canada (IFIC), comme ­Fidelity, propose qu’un manufacturier ne produise qu’un seul communiqué où seraient indiqués tous les fonds qui produisent les ­RDRF à une date précise. Ken Kivenko, président de ­Kenmar ­Associates, considère que ce serait une solution pire et craint que le nouveau modèle réduise l’implication des investisseurs.

FAIR, pour sa part, juge que la voie des communiqués va rater la cible : « ­Le communiqué de presse ne sera tout simplement pas repris par les médias et passera largement inaperçu auprès des détenteurs de titres. »

La réforme veut faire place officiellement aux voies électroniques, mais sans abolir les voies postales traditionnelles. Les investisseurs se verraient offrir la possibilité « de donner l’instruction permanente de recevoir l’une ou l’autre » des deux versions, électronique ou papier.

Fidelity propose de renverser les choses et de faire de la communication électronique la voie par défaut. Elle demande également que, tout comme on recueille aujourd’hui l’adresse postale des investisseurs, on recueille leur courriel et leur numéro de téléphone cellulaire. C’est ce que les courtiers font déjà auprès de leurs clients. Fidelity demande que ces informations soient obligatoirement transmises aux manufacturiers, qui seraient alors en mesure de communiquer électroniquement avec leurs détenteurs de parts.

La proposition de ­Fidelity ouvrirait un canal électronique direct entre manufacturiers de fonds et investisseurs. Ainsi, ils pourraient envoyer directement un avis aux investisseurs signalant qu’un nouveau document a été produit et publié sur leur site et sur ­SEDAR.

Viser l’implication des investisseurs

IFIC et ­Fasken coupent l’herbe sous le pied à tout le projet en demandant que les ­ACVM étudient jusqu’à quel point les investisseurs sont intéressés par les ­RDRF. L’IFIC fait référence à un sondage qu’elle a mené indiquant que seulement de 2,6 % à 3,9 % des investisseurs avaient demandé que les rapports intérimaires et annuels sur les fonds leur soient acheminés de 2017 à 2019.

En effet, la participation des investisseurs est faible. C’est pourquoi ­Kenmar et ­Broadridge pensent que la réforme devrait être l’occasion de chercher à accroître la lecture des ­RDRF. Ainsi, une enquête de ­Broadridge auprès de 2 000 investisseurs canadiens a montré que « la plupart des investisseurs préfèrent être avisés directement par courriel et recevoir automatiquement des informations sommaires tirées des ­RDRF, plutôt que de surveiller des sites ­Web pour des communiqués de presse, chercher le bon ­RDRF et éplucher ce long document pour en tirer des informations pertinentes ».

Broadridge propose donc que les manufacturiers de fonds produisent ce qu’il appelle un « ­Aperçu de fonds ­Plus » et qu’il soit envoyé automatique via courriel aux détenteurs de parts. La réforme atteindrait ainsi deux objectifs plutôt qu’un seul : accroître la littératie financière des investisseurs et réduire les frais de diffusion des manufacturiers.

Où en est l’Autorité des marchés financiers (AMF) par rapport au projet ? ­Elle nous a répondu par voie de courriel que « les ­ACVM souhaitent prendre davantage de temps pour analyser les commentaires reçus ainsi que les développements récents à l’international ». L’AMF ne peut donc préciser en ce moment une date où elle annoncera le fruit de ses réflexions.

Nous avons également demandé à l’AMF si ce projet était un prélude à des changements éventuels qui toucheraient les conseillers : par exemple, ils n’auraient plus à remettre des documents sur les fonds d’investissement à leurs clients, mais seulement leur indiquer un lien renvoyant aux sites des manufacturiers. « ­Ce projet ne vise que les obligations d’information continue des fonds d’investissement », ­répond-elle.