Perspectives 2018
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Comme elle le fait tous les cinq ans, la banque centrale doit annoncer le nouveau cadre de sa politique en 2021. Cette fois-ci, elle a décidé de se tourner vers les Canadiens pour connaître leur opinion.

«Le but de reconfirmer le mandat tous les cinq ans ou d’en proposer un autre, c’est d’aller chercher une certaine légitimité», dit Jocelyn Paquet, économiste à la Banque Nationale. Et cette légitimité serait certainement encore plus forte si la population confirmait le choix de la BdC.

La banque centrale a donc réalisé un sondage, qui s’est terminé le 1er octobre, pour connaître la préférence de la population parmi les cinq options qu’elle-même évaluait, à savoir : le ciblage de l’inflation, le ciblage du niveau des prix, le ciblage de l’inflation moyenne, le ciblage de la croissance du PIB nominal et le double mandat. Le ciblage de l’inflation, l’approche actuelle de la Banque du Canada, fait que l’institution vise que l’inflation soit de 2 %. Si l’inflation augmentait fortement, la Banque tenterait de la ramener à sa cible. Or, la hausse des prix découlant de la flambée serait permanente. Les prix des produits resteraient plus élevés que s’ils avaient simplement augmenté à un rythme de 2 %.

Si la Banque choisissait le ciblage du niveau des prix, elle garderait les taux d’intérêt élevés plus longtemps pour abaisser l’inflation sous la cible et ramener le niveau des prix à sa trajectoire initiale, soit 2 % d’inflation en moyenne.

Le ciblage de l’inflation moyenne est une solution intermédiaire entre les deux précédentes. Si la Banque optait pour cette solution, «elle essaierait d’atteindre un taux d’inflation qui, lorsqu’on en fait la moyenne avec l’inflation des années précédentes, correspondrait à un taux d’inflation cible», lit-on dans le questionnaire du sondage. Elle aurait ainsi plus de temps et de souplesse pour ajuster ses taux d’intérêt.

Le ciblage de la croissance du PIB nominal porterait sur les dépenses totales dans l’économie. Celles-ci peuvent augmenter soit parce que les prix montent (inflation), soit parce que les gens achètent plus de choses (croissance économique). En ciblant un taux de croissance constant du PIB nominal, «nous aiderions à maintenir un niveau de dépenses plus stable», soit en laissant l’inflation augmenter quand l’économie va mal, soit en diminuant l’inflation en période de croissance rapide, d’après la Banque du Canada.

Enfin, «si nous options pour un double mandat, nous ciblerions à la fois l’inflation et un niveau d’emploi durable maximal», en leur accordant une importance égale, d’après le questionnaire.

Alors qu’on attend toujours les résultats du sondage, certains experts nous ont fait part de leur avis.

Vers un maintien de la politique

Tous les indices laissent croire que l’option la plus plausible serait que la BdC reconduise sa politique actuelle.

Selon Jocelyn Paquet, la BdC a remis en question sa politique monétaire en raison de la décision de la Réserve fédérale (Fed) américaine de changer son propre cadre de politique.

Avant, les États-Unis essayaient de combiner un niveau d’emploi maximal avec une inflation à 2 %. Toutefois, au cours des dernières années, l’inflation n’a jamais atteint la cible. La Fed voulait éviter que les Américains s’attendent toujours à une inflation en dessous de la cible, et a donc modifié sa politique monétaire.

Dorénavant, la banque centrale américaine veut atteindre son inflation cible de 2 % sur le long terme. Cela signifie que si l’inflation est à 1 % pendant quelques années, elle devra ensuite dépasser 2 % pour atteindre en moyenne la cible attendue.

De nombreux observateurs se demandent si cela va amener la BdC à modifier sa politique. Mais cette question n’a pas lieu d’être, jugent Jocelyn Paquet et Benjamin Reitzes, directeur, spécialiste en stratégie – taux canadiens et macroéconomie, à la BMO.

Actuellement, la BdC utilise le ciblage de l’inflation, mais ce ciblage est très «flexible», bien plus qu’aux États-Unis, souligne Benjamin Reitzes. Contrairement à nos voisins du Sud, le Canada ne vise pas une inflation à 2 %, mais une inflation contenue dans une fourchette de 1 % à 3 %.

«Cela offre plus de flexibilité et permet de se rapprocher un peu plus de l’objectif d’inflation moyenne, note-t-il. En fait, depuis le renouvellement de la politique en 2016, la BdC a réussi à atteindre son mandat sur le cycle au complet.»

Au cours des prochains mois, la BdC va soumettre les cinq cadres d’inflation qu’elle envisage à différents tests théoriques et mathématiques pour déterminer lesquels sont les plus efficaces pour engendrer une croissance économique, une inflation et un niveau d’emploi optimaux.

Un atelier a déjà été organisé le 26 août dernier pour présenter les résultats préliminaires. Et parmi les cinq cadres proposés dans le sondage, trois seulement sont considérés comme étant les plus performants : le cadre actuel, le ciblage de l’inflation moyenne et le double mandat.

Il faut toutefois noter que le meilleur cadre selon les tests mathématiques ne sera pas forcément celui que la BdC choisira.

En effet, ce sont les membres du conseil de direction de la BdC qui prennent la décision, et ceux-ci ont d’autres considérations, explique Jocelyn Paquet. Ils veulent notamment que le message soit facile à comprendre. «Pour la Banque du Canada, il est important que les citoyens comprennent quel est son mandat», souligne l’expert.

Jocelyn Paquet et Benjamin Reitzes pensent donc que le cadre actuel sera maintenu. «C’est un cadre relativement facile à comprendre. C’est moins évident pour le ciblage de l’inflation moyenne. Aux États-Unis, les gens posent déjà des questions : « Vous dites être prêts à dépasser l’inflation, mais jusqu’où êtes-vous prêts à aller et combien de temps êtes-vous prêts à dépasser ce 2 % ? »« commente Jocelyn Paquet.

Dans cette même optique, Benjamin Reitzes souligne qu’il est également très difficile d’expliquer le ciblage du niveau des prix et le ciblage de la croissance du PIB nominal. Il pense donc que le conseil de direction de la BdC rejettera ces deux options.

Toutefois, Benjamin Reitzes n’est pas fermé à la possibilité que la Banque introduise une sorte de double mandat, et qu’elle vise également un niveau d’emploi durable maximal dans son mandat actuel.

Cette option du double mandat est d’ailleurs celle que privilégierait Raymond Kerzérho, directeur de la recherche chez PWL Capital. «Il faut comprendre que l’inflation et l’emploi seront à tour de rôle plus problématiques. Ainsi, un mandat 50/50 n’empêche pas une plus forte priorisation à court terme de l’un ou l’autre des deux paramètres selon le contexte», explique-t-il.

Benjamin Reitzes note toutefois que l’emploi et l’inflation sont liés. «Si vous obtenez un taux d’emploi super fort et que les salaires augmentent beaucoup, cela entraîne l’inflation et vice versa», précise-t-il.

«En fin de compte, on en revient vraiment à l’inflation. C’est pourquoi le statu quo semble avoir plus de sens, avec peut-être quelques astuces», conclut-il.

Selon Raymond Kerzérho, il est complexe de déterminer qui est avantagé par une politique de ciblage de l’inflation. L’inflation suit actuellement «une trajectoire baissière, et il y a donc un risque de se retrouver avec une inflation négative, ce qui n’est bon pour à peu près personne, sauf peut-être quelques spéculateurs», dit-il.

«Selon mes indicateurs, nous nous dirigeons tout droit vers des taux d’inflation inférieurs à 1 %, et la Banque aura beaucoup de difficulté à atteindre le 2 %. Je m’explique mal que de nombreux experts prévoient toujours 2 % à long terme», ajoute-t-il.

Pour sa part, Benjamin Reitzes estime qu’en suivant une politique de ciblage de l’inflation, on a tendance à exclure d’autres problèmes potentiels. «Vous ne vous concentrez pas nécessairement autant sur la stabilité des marchés financiers et des marchés d’actifs.» Il songe à ce qui s’est passé en 2000-2001 et en 2006 aux États-Unis, lorsque la Fed n’a rien fait pour refroidir les marchés, car il n’y avait pas d’inflation.

Selon lui, la façon dont la BdC applique cette politique est toutefois moins problématique. En ayant une inflation cible plus flexible, la BdC peut se concentrer également sur le marché financier.

De son côté, Jocelyn Paquet juge que si la BdC adoptait le ciblage de l’inflation moyenne comme aux États-Unis, elle pourrait potentiellement maintenir les taux d’intérêt plus bas plus longtemps. Tous les emprunteurs pourraient bénéficier de cette situation.

Dans une politique de ciblage de l’inflation, la BdC pourrait devenir plus restrictive plus rapidement. Les épargnants, et non les personnes endettées, seraient alors probablement les gagnants, souligne Jocelyn Paquet.

Toutefois, les analystes de la Banque Nationale ne s’attendent pas à une remontée importante des taux au cours des 18 à 24 prochains mois.