David Lemieux, Photo par Louis-Charles Dumais

« Les crises, je les ai toujours vues positivement. C’est une occasion de démontrer notre valeur. C’est lorsque c’est difficile que l’on voit le plus la valeur du conseiller », lance David Lemieux, vice-président et directeur général à Valeurs mobilières Desjardins (VMD).

Et des vents contraires, ce fils d’entrepreneur en a affronté plusieurs au fil de son parcours.

À commencer lorsqu’il quitte sa ville natale de Princeville, dans les Bois-Francs, pour faire son baccalauréat en administration des affaires à l’Université du Québec en Outaouais. Il vise alors à suivre les traces de son père, qui exploitait une usine active dans l’industrie nautique.

« Princeville, c’est la ville des bateaux. On la qualifiait même de capitale nautique du Canada, illustre David Lemieux. Mais les années 1990-1991 n’ont pas été faciles et, au moment où je faisais mes études, l’usine a fermé. »

David Lemieux se tourne alors vers l’un de ses principaux intérêts : la Bourse. « Mon père avait un compte chez Lévesque, Beaubien et m’en a ouvert un alors que j’avais 14 ou 15 ans. C’est devenu une passion », évoque-t-il.

Or, faire sa place dans le secteur du courtage n’a pas été facile, en raison du contexte économique. Diplômé en 1994, David Lemieux tente d’intégrer Desjardins, où il avait travaillé à temps partiel durant ses études, « mais les débouchés se faisaient rares », relate-t-il.

C’est le groupe Option Retraite qui lui donne sa première chance. David Lemieux, qui a alors 24 ans, rencontre le président-fondateur, Richard Dorval, au début de 1996. Dans les mois qui suivent, il intègre un bureau nouvellement créé dans l’Outaouais.

« Le contexte économique était difficile. Le gouvernement fédéral faisait des coupes de personnel de façon assez importante, ce qui faisait que des gens recevaient des primes de séparation », raconte David Lemieux. Cela lui permet ainsi de bâtir sa clientèle qui, bien qu’elle n’était pas constituées de gens fortunés, se révélait « extrêmement intéressante pour un jeune qui commençait », estime-t-il.

Option Retraite a été « une super belle école. Nous étions parmi les premiers à mettre de l’avant la gestion de patrimoine », témoigne David Lemieux. Rapidement, il cumule les rôles de conseiller en placement (CP) et directeur de succursale. « C’était très valorisant. »

David Lemieux passe 12 ans à Option Retraite. L’affaire Norbourg, dont le détournement d’environ 130 M$ touchant plus de 9 000 investisseurs a fait grand bruit à compter de 2005, marque un tournant. La notoriété négative que cette histoire engendre envers des petites sociétés de gestion de placement indépendantes « joue dans l’esprit des investisseurs ». Option Retraite en souffre, juge David Lemieux. Selon lui, ce triste épisode explique en partie pourquoi « il n’y a plus beaucoup de firmes indépendantes en activité au Québec ».

Cela pousse son associé et lui à envisager d’autres avenues. En mai 2008, une occasion se présente chez Desjardins. David Lemieux y devient directeur pour les succursales de Gatineau et Ottawa.

« Le fit culturel était parfait. J’avais déjà travaillé chez Desjardins et ma mère aussi, dans une caisse de Princeville pendant une trentaine d’années. J’étais à l’aise avec les valeurs de cette organisation. Ce n’était pas un changement effectué pour des dollars, mais pour être bien dans la suite de ma carrière », indique David Lemieux.

Quant à Option Retraite, elle passera sous le contrôle de la Banque Nationale en septembre 2008.

Gérer le chaos

« Je ne me suis jamais dit : Un jour je vais diriger VMD. Je ne suis pas carriériste. Pourtant, les choses sont allées rapidement », raconte David Lemieux.

Son arrivée chez Desjardins coïncide d’abord avec la crise financière de 2007-2008. « Comme j’étais en période de transition, les portefeuilles de mes clients étaient construits de manière sécuritaire afin d’éviter qu’ils ne fluctuent beaucoup, ce qui s’est révélé positif dans le contexte. »

Il ajoute que chaque crise économique permet des apprentissages. « J’ai vécu celle de 1997, puis de septembre 2001, que j’ai trouvée particulièrement brutale. Mais les crises ont toujours été pour moi un moment important de prospection. » L’enseigne de VMD l’aide à en faire.

David Lemieux se définit encore aujourd’hui comme un conseiller en placement. Il possède d’ailleurs toujours son code de représentant, se disant « incapable de s’en départir ». Cela fait pourtant cinq ans qu’il a vendu son book et se concentre sur son rôle de gestionnaire. En 2018, il a d’abord accepté d’assumer la gestion d’une deuxième succursale, située en Abitibi, avant d’être nommé directeur régional en avril 2019.

Prêt à relever ce défi, David Lemieux admet toutefois que cette période « a été tumultueuse ».

VMD est alors engagée dans une restructuration. Bon nombre de dirigeants quittent l’organisation, dont Luc Papineau, vice-président et directeur général de VMD jusqu’en octobre 2019. Au début de 2020, Marc Lauzier, vice-président et directeur régional Centre-du-Québec, quitte à son tour.

Le changement d’orientation stratégique déplaît à certains conseillers. Les concurrents de VMD font du maraudage et recrutent des transfuges. C’est le cas de Mary Hagerman, de Montréal, ainsi que de l’équipe d’Alain Robitaille, d’Amos, en Abitibi, notamment, qui se joignent à différents compétiteurs. De la fin de février 2019 à la fin de février 2020, le nombre de conseillers en placement à VMD passe de 237 à 219.

« Lorsqu’on m’a nommé [directeur régional], c’était le chaos chez VMD, convient David Lemieux. Ma carrière aurait pu s’arrêter là si les choses avaient continué dans ce sens, mais nous avons pu rallier les CP qui étaient les leaders chez nous et nous avons réussi à gagner leur confiance. Pour moi, c’est un accomplissement majeur. »

Confiance renouvelée

David Lemieux est d’avis que cette période difficile a été un tournant pour lui et qu’elle a mené à sa nomination à titre de directeur général de VMD l’année suivante. Il est appelé à travailler étroitement avec Marjorie Minet, qui est vice-présidente exécutive, Services-conseils en gestion de patrimoine. Il estime que ce rapprochement lui « a permis de voir comment je pouvais apporter quelque chose à l’organisation ».

Il a fallu reconstruire la partie courtage en valeurs mobilières de l’organisation afin de se donner une structure efficace, mentionne David Lemieux. « VMD, c’est une startup de courtage. C’est une firme qui a 30 ans d’existence, ce qui n’est pas très long dans le domaine. D’autant que l’industrie évolue rapidement, que ce soit en matière de réglementation ou de technologie. Alors, on n’a pas le choix de s’adapter et il fallait se donner des structures. »

Il s’est donc adjoint une équipe de direction pour l’épauler, soit Karina Lafond, vice-présidente et directrice Administration du réseau, Courtage en valeurs mobilières, en janvier 2021, et Julie Ouellet, vice-présidente et directrice nationale des ventes, Courtage en valeurs mobilières, en mars 2022. « Ça a été le point tournant », dit-il.

Parmi les éléments rapidement mis en place, il mentionne une grille de rémunération sur trois ans, ce qui accroît la prévisibilité pour les conseillers (Lire : Paie satisfaisante, mais…), de même qu’un programme de soutien à la relève.

VMD a aujourd’hui stabilisé sa situation, et compte 219 conseillers ayant un code de représentant, lesquels géraient 42,6 G$ à la fin de mars dernier. De fin février 2021 à fin mars 2023, sa part de marché en termes d’actif géré au Québec est stable lorsqu’on la compare à un groupe de sept courtiers menant des activités au Québec, selon le Pointage des courtiers québécois. Durant cette période, l’organisation a crû au même rythme que ses pairs.

VMD ne manque cependant pas de défis. Tout comme ailleurs, le courtier doit améliorer son soutien technologique aux CP afin d’accroître leur productivité et répondre à leurs attentes ainsi qu’à celles des clients dans un contexte de travail hybride. Le dirigeant en témoigne d’ailleurs dans notre dossier.

Selon David Lemieux, la technologie est importante, car elle doit servir d’abord l’humain et non le contraire. Bâtir une relation de confiance avec un client demande du temps. « La valeur du conseiller ou de la conseillère, c’est sa présence. »

Accroître le nombre de CP qui ont un permis de gestion discrétionnaire reste une priorité pour les prochaines années, entre autres parce que ce mode de gestion permet au représentant de gagner du temps utile à servir ses clients.

La gestion discrétionnaire est aussi une manière de s’adapter à l’augmentation de la charge réglementaire pour les conseillers, dont la hausse de la documentation à remplir.

« Les [nouvelles] réglementations sont lourdes à mettre en place. Ça amène évidemment un fardeau supplémentaire dans le travail des conseillers qui vient peut-être un peu empiéter sur leurs relations humaines avec les clients », ajoute-t-il. Il convient que la conformité reste « un peu le miroir de ce que les clients s’attendent de nous ».

Augmenter le nombre de conseillères, qui s’établit à 21 % des CP de VMD, est une priorité, affirme David Lemieux. Avec environ 40 % de conseillères adjointes, VMD dispose ainsi « d’un bassin de relève plus féminin » qui deviendra avec le temps propriétaire de blocs d’affaires. « Pour nous, ça augure très bien et on continue nos efforts. »

Au sujet de l’investissement responsable (IR), David Lemieux signale que l’engagement de la vice-présidence service-conseil en gestion de patrimoine, incluant VMD, est de former 100 % de ses employés en IR. Donc, autant le personnel en lien direct avec les clients, comme les gestionnaires de patrimoine, que le personnel administratif, que ce soit des adjoints ou des assistants.

VMD désire gagner des parts de marché, insiste David Lemieux. Pour y parvenir, la firme prévoit notamment encore une fois mettre l’accent sur la gestion discrétionnaire. « On tend à avoir des clients de plus en plus fortunés. Le marché, la réglementation nous dirigent vers la gestion discrétionnaire. »

Desjardins a également identifié certains pôles de croissance en Ontario afin d’y développer une présence plus importante. « On désire y faire grandir le nombre de CP, mais on ne cherche pas nécessairement à acheter des books, comme ce fut le cas dans le passé. On veut trouver des gens qui partagent et incarnent nos valeurs, qui embarquent dans ce qu’on construit avec Desjardins ».